Charles Onana dépose plainte contre Kagame

Ce lundi 7 octobre s’ouvre le procès du politologue et journaliste d’enquête Charles Onana devant la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris. Accusé de « propos négationnistes remettant en cause le génocide des Tutsis au Rwanda » par la LDH, la FIDH et Survie-France, Onana rejette l’accusation infamante. Plus fort : il dépose plainte contre le président du Rwanda, Paul Kagame, pour « menace de mort » à son encontre…    

De 1998 à 2023, Charles Onana a publié 26 livres dont 7 qui portent sur l’Afrique des Grands lacs (République Démocratique du Congo, Rwanda et Burundi). Parmi ses ouvrages d’enquête, fourmillant d’archives, de docs exclusifs et de révélations, il y a celui-ci : « Rwanda : la vérité sur l’opération turquoise » (Editions l’Artilleur, 2019).

C’est à travers cette somme de 500 pages que les célèbres associations françaises de défense des droits humains (LDH et FIDH) estiment avoir décelé des « contestations de crime de génocide ». Depuis des années, Charles Onana rejette inlassablement ces accusations dans nombre d’entretiens audiovisuels  ou même devant le Sénat français. Rien n’y a fait : son procès en correctionnelle démarre ce 7 octobre et se terminera le 11 octobre. Notons que l’ex-colonel belge des casques bleus de l’ONU au Rwanda en 1994, Luc Marchal, 66 ans, viendra témoigner à la barre en faveur d’Onana (dont il a préfacé le livre précité sur l’opération turquoise).  

Pour celles et ceux qui méconnaissent ou ignorent tout des controverses politico-journalistiques autour du génocide rwandais (1994), voici les récits anti-Onana des plaignants FIDH et Survie-France auxquels s’opposent, notamment, celui de milliers de Congolais ou celui de son éditeur.

Ainsi, chacun pourra se forger librement son opinion sur la pertinence ou non des poursuites judiciaires intentées contre le journaliste d’enquête franco-camerounais. En attendant, sur Investig’Action, la parole est à « l’accusé » qui a décidé de contre-attaquer, sur le plan judiciaire, le plus puissant et le plus dangereux de ses adversaires.

Investig’Action : Quels sont les motifs de la plainte que vous avez déposée auprès du procureur de la République, le 4 octobre dernier, contre le président Paul Kagame ?


Charles Onana :
Les propos tenus devant un parterre de journalistes et de militants, le 13 juillet 2024 au Rwanda, en plein meeting électoral, par M. Kagame ont été sans ambiguïté à mon égard.

Tout d’abord, il m’a traité de « négationniste ». Je ne sais pas ce que cela veut dire.  Ensuite, il a déclaré que des gens comme moi « vont mourir ». Qu’est-ce que cela veut signifie ?!

Qu’il entend administrer la mort à des chercheurs comme moi qui ne récitent pas ses louanges et qui, surtout, dénoncent ses crimes de guerre et ses crimes contre l’humanité, perpétrés en 1994 au Rwanda, lorsqu’il s’emparait du pouvoir dans un effroyable bain de sang ? Manifestement, ceux qui, selon lui, osent dénoncer les viols et l’holocauste que ses milices et ses troupes commettent en RDC méritent de trouver la mort.


I’A : Pour quelles raisons avez-vous déposé cette plainte, inédite en France de la part d’un journaliste, et qu’en attendez-vous ?


Charles Onana :
Je considère qu’un chef d’État est supposé avoir un minimum de tenue. Il n’a pas à menacer de tuer des personnes qui s’expriment. Il semble l’avoir fait, en 1998, contre son ministre de l’intérieur Seth Sendashonga. Ce dernier a été criblé de balles au volant de sa voiture par un agent de l’ambassade du Rwanda à Nairobi, capitale du Kenya, et Paul Kagame s’en était réjouis publiquement…

De même, son responsable des services de Renseignements extérieurs, Patrick Karegeya, avait été étranglé dans sa chambre d’hôtel, en Afrique du Sud, et sa ministre des Affaires étrangères de l’époque, Louise Mushikiwabo – aujourd’hui secrétaire générale de la Francophonie -, tout comme Kagame lui-même, avaient tenu des propos outranciers à l’encontre de la victime. Ce qui avait choqué profondément les Autorités américaines et le rapporteur de l’ONU, Maina Kiai. Cette façon de traiter les êtres humains est très curieuse, mais habituelle au Rwanda depuis la prise de pouvoir de l’armée patriotique rwandaise dirigée par Kagame.

Je considère, pour ma part, que je n’ai pas à accepter les menaces de mort de monsieur Kagame qui a l’air de se prendre pour Dieu sur terre. Mon avocat, Me Philippe Prigent, et moi-même avons donc jugé que, si ce type de propos était d’une grande banalité au Rwanda, il était anormal que je tolère cela. Nous avons donc décidé de saisir le procureur de la République.

I’A : Votre livre Rwanda : la vérité sur l’opération turquoise a décidé vos détracteurs de passer « à la vitesse supérieure » en vous assignant en justice. Qu’est- ce qui les effraient ou les dérangent tant dans votre enquête ?

 
Charles Onana : En réalité, M. Kagame et l’Etat rwandais avaient déjà déposé deux plaintes contre moi, en 2002, pour mon livre intitulé « Les secrets du génocide rwandais » (Editions Duboiris). Un ouvrage écrit avec mon ami Déo Mushayidi, rescapé du génocide Tutsi. Deux jours avant le procès, j’ai déposé 4000 documents de preuve auprès du juge : Kagame ainsi que l’Etat rwandais ont retiré leur plainte.

 Je rappelle que mon ami Mushayidi est aujourd’hui incarcéré à vie au Rwanda, en partie pour avoir co-signé ce livre. Il est dans un état de santé très préoccupant. Je crains pour sa vie et lance un appel aux Autorités belges pour qu’elles demandent à pouvoir voir Déo Mushayidi dont toute la famille exterminée en 1994 lors du génocide.

Cet appel est un cri d’alarme car les associations qui prétendent défendre les rescapés Tutsi ont abandonné Déo Mushayidi entre les mains de Kagame. Voici 14 ans qu’il croupit dans une prison-mouroir au Rwanda pour ses opinions et aucune organisation des droits humains n’a cherché à le rencontrer de peur de subir le courroux de Kagame.

Le livre sur Turquoise, qui a été préfacé par le colonel belge Luc Marchal, commandant des casques bleus de l’ONU en 1994 au Rwanda, explique à partir des cartes d’Etat-majors, notamment celles de la CIA et de la Direction du renseignement militaire français, que Paul Kagame a planifié l’invasion de la République Démocratique du Congo (RDC) en 1994 en y poussant massivement des millions de réfugiés rwandais.

L’objectif de cette pression militaire sur les populations était de vider le Rwanda de la majorité hutu que Kagame qualifie, dans sa quasi-totalité de « génocidaire ». Une fois cette population envoyée de force en RDC, Kagame a prétexté que ces « génocidaires » constituaient une menace pour le Rwanda et qu’il fallait les déloger du Congo.

Voilà comment Kagame a pu envoyer des troupes et des milices en RDC, en 1998, pour piller les ressources minières de ce pays jusqu’à ce jour. C’est à partir des archives officielles du Pentagone et de la Maison-Blanche que j’ai pu comprendre le mensonge de Kagame sur ces fameux « génocidaires ». On dirait que les « génocidaires » poussent comme des champignons autour des mines de diamants, de coltan et de cassiterite à l’Est du Congo…


I’A : La terreur que fait régner Paul Kagame depuis 30 ans, tant au Rwanda qu’en Europe, les assassinats politiques qui, à tort ou à raison, lui sont attribués, incitent nombre de critiques – africains comme européens – à garder le silence ou à « faire profil bas ». Preuves à l’appui, vous faites le contraire depuis plus de 20 ans, quasiment seul et sans soutien ou protection institutionnels… Craignez-vous aujourd’hui davantage pour votre sécurité ?


Charles Onana : Kagame est un spécialiste du renseignement et il détient des informations compromettantes sur un certain nombre de responsables africains et occidentaux. Il peut les faire chanter et c’est l’une des clefs de leur silence sur ses crimes.

Tout le monde le laisse faire parce qu’il a toujours bénéficié des réseaux d’affairistes proches de l’ancien président Bill Clinton aux États-Unis et de sa proximité avec l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Ce dernier est même devenu le conseiller de Paul Kagame dans les activités minières en Afrique. C’est la première fois, dans l’histoire de la Grande-Bretagne, que l’on voit un ancien Premier ministre devenir conseiller d’un petit pays africain pauvre, spécialisé dans le pillage des ressources minières en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest.

Malgré les dizaines de rapports de l’ONU qui dénoncent les massacres et les viols massifs de centaines de milliers de femmes à l’est de la RDC, personne ne lève le petit doigt ! Dès que vous parlez de Kagame et du fait qu’il viole allégrement le droit international en occupant militairement le territoire congolais, certains baissent honteusement la tête et vous disent qu’il « développe le Rwanda »… Quelle réponse !


I’A : Si, aux yeux des sceptiques, vous deviez choisir deux exemples de votre crédibilité et de votre bonne foi journalistique, lesquels seraient-ils ?


Charles Onana : Je n’ai absolument rien à prouver. J’ai eu accès aux archives de l’Elysée, à de très nombreux documents confidentiels de l’Union européenne et découvert beaucoup de correspondances envoyées au conseil de sécurité de l’ONU par les rebelles que dirigeait Paul Kagame en 1994.

Je dirais seulement que les Congolais ont déjà connu un massacre de plus de 10 millions de personnes : un véritable holocauste. Et tout le monde se tait…

Lorsqu’en 1994, le Rwanda a connu un massacre de 800 000 personnes, tous les médias ont crié au « Plus jamais ça ! » Dans la foulée, un Tribunal Pénal International (TPI) a été créé.  Que faut-il faire pour que l’on éprouve un peu de compassion pour le peuple congolais qui est exterminé sous le regard indifférent de la communauté internationale ?

Faut-il que les Congolais soient tous exterminés par les troupes et les milices de Kagame pour réagir ? Faut-il que la RDC soit détruite comme le Soudan pour réveiller nos consciences ?

Le blanc-seing que l’Occident donne à Kagame en le laissant exterminer les populations congolaises et piller ce grand pays est un acte criminel inqualifiable.


I’A : En poursuivant votre travail d’enquête, estimez-vous prolonger l’œuvre de feu le journaliste Pierre Péan, également accusé, au soir de sa vie, de « complotisme » et/ou de « négationnisme » suite à la publication de ses enquêtes sur le Rwanda ?

 
Charles Onana : J’ai beaucoup travaillé avec Pierre Péan. C’était un ami auprès duquel j’ai beaucoup appris et je l’ai encouragé à enquêter sur le Congo-Zaire. Nous avons partagé de bons moments mais aussi des moments difficiles en travaillant sur ce dossier tragique de la région des Grands Lacs.

Qui sont ceux qui parlent de « complotisme » et de « négationnisme » au sujet des Grands lacs ? En général, ceux qui luttent avec acuité pour entretenir le mensonge sur les causes des massacres de masse qui ont cours dans cette région depuis 30 ans.

Ce sont aussi ceux qui s’obstinent à défendre Kagame et son système d’homicides volontaires. Ni moi, ni Pierre Péan, n’avons jamais traité personne de « complotiste », mot barbare qu’utilisent ceux qui ne veulent pas que l’on découvre et expose les comploteurs qui détruisent l’humanité au Rwanda, au Congo et au Burundi.


I’A : Votre travail bénéficie du soutien d’une large partie de la communauté congolaise (en RDC et diasporas), et de certains médias et journalistes indépendants : cela sera-t-il suffisant pour vous rendre justice et défendre votre droit à la liberté d’expression ?


Charles Onana : Je n’en suis plus là et me moque éperdument de ce que certains pensent de mon travail. Il n’y a pas à me rendre justice.

Je crois que le plus important est que ceux qui peuvent avoir une conscience humaine évoluée refusent qu’un seul individu, qui se croit mandaté et protégé par la communauté internationale, continue d’exterminer des populations qui ne lui ont rien fait.

Toutes ces populations, du Rwanda et du Congo, ont le droit de vivre dignement des ressources naturelles de leur pays et sur la terre de leurs ancêtres.

La culture de bandits et de criminels de guerre qui se propage partout dans la région des Grands Lacs africains n’honore ni l’Afrique ni l’Occident. 30 ans après le génocide du Rwanda, qui peut nous expliquer sans bégayer pourquoi on laisse se perpétrer cet holocauste au Congo ?


Propos recueillis par Olivier Mukuna

Source : Investig’Action


Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.