BRICS : dédollariser le système monétaire

Le programme de prêts de la Nouvelle Banque de Développement des BRICS a été rendu public, fin mars, et celui-ci est sans précédent. Cet objectif politico-monétaire ambitionne de rattraper le temps perdu et de rééquilibrer le système financier planétaire, toujours sous la coupe du FMI et de la Banque Mondiale (I’A).


C’est à l’occasion d’un Forum sur l’Intégration Asiatique – qui s’est tenu dans la ville de Bao, en République populaire de Chine, le 28 mars – que le vice-président de la New Développement Bank, Monsieur Zhou Qiangwu, a rendu public le programme de prêt de la Banque des BRICS, la New Development Bank

C’est un montant de 5 milliards de dollars de prêts pour l’année 2024 qu’a annoncé le vice-président de l’institution : « Malgré les défis rencontrés pendant la période de l’épidémie du COVID, l’activité de la banque est maintenant revenue à la normale, ce qui permet d’envisager des projets d’envergure pour l’année 2024 pour un montant total de 5 milliards de dollars ».

Rappelons que cette banque, créée en 2015 par les pays membres des BRICS, se donne pour objectif de soutenir les économies émergentes et les économies en développement, tant pour les pays membres des BRICS que dans d’autres régions du monde.

Ce soutien aux économies émergentes se réalise par l’accès à des financements à moindre couts pour réaliser des projets d’infrastructures et des projets de développement. Plus globalement, la banque des BRICS est une tentative de rééquilibrer le système financier international, basé sur le FMI et la Banque Mondiale, qui est considéré comme dépendant de l’unilatéralisme états-unien.

Il s’agit donc de constituer une alternative au FMI et à la Banque Mondiale qui imposent, pour leurs prêts, des conditionnalités qui réduisent la souveraineté nationale des États emprunteurs.


Renforcement de cinq pays


L’entrée dans les BRICS, en janvier dernier, de cinq nouveaux États – l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Iran, l’Égypte et l’Éthiopie – est un facteur important du renforcement de la capacité d’action financière de la banque commune.

En 2023 la banque des BRICS avait décidé de diminuer ses prêts en dollars et d’augmenter ses prêts en monnaie locale afin de réduire la dépendance envers le dollar états-unien. Présentant le bilan de cette action, le vice-président de la banque a souligné que l’année 2023 a été celle de la première émission d’obligation de la banque des BRICS en monnaie sud-africaine, le Rand.

Deux obligations ont ainsi été émise en Rand : l’une à échéance de 5 ans pour un montant d’un milliard de Rand (soit 52.3 millions de dollars) ; l’autre à échéance de 3 ans pour un montant de 500 millions de rand.

L’objectif de la banque est de parvenir pour la fin 2026 à des prêts en monnaie locale atteignant 30 % de l’ensemble des prêts de la Banque. Des projets d’émission d’obligation sont d’ores et déjà prévus en monnaie russe, Brésilienne ou des Émirats Arabes Unis.

Ces émissions en monnaie locale visent « à être une alternative au système financier mondial. Jusqu’à présent c’était un système unipolaire, il sera remplacé par un multipolaire ». Le vice-président de la Banque a réaffirmé le choix de la banque de respecter la souveraineté politique de chaque pays. Aucune conditionnalité politique n’est en conséquence associée aux prêts octroyés par la banque.

Se libérer progressivement du dollar


Depuis sa création, la banque des BRICS a déjà financé une centaine de projets d’infrastructure pour un montant de 33 milliards de dollars. Cependant les deux tiers de ces prêts ont été accordés en dollars car c’est dans la monnaie états-unienne que se trouvent encore les plus grands gisements de liquidité. C’est la raison pour laquelle l’émission  d’obligation dans les diverses monnaies nationales des pays membres est devenue une priorité. Il s’agit tout simplement de se libérer de la dépendance au dollar qui reste dominant sur le marché financier mondial.

A l’heure actuelle la Chine est largement en tête des marchés en monnaie locale avec une émission de la banque des BRICS en Yuan de 13 milliards de yuans. Après l’émission en rand sud-africain, évoquée ci-dessus, l’année 2024 devrait également être celle de la première émission d’obligation en Roupie, la monnaie indienne.

Les propos du vice-président de la banque des BRICS, l’annonce du montant inédit de 5 milliards de dollars des prêts pour 2024 et de la poursuite de la conversion des prêts en monnaie locale, confirme le projet annoncé de dédollarisation progressive de l’économie mondiale.

Abordant cet enjeu, début avril, lors d’une visite en Chine, le président du Brésil, Lula da Silva, expliquait que « la Nouvelle Banque de Développement s’est imposée comme un outil de réduction des inégalités entre pays riches et pays émergents, qui se traduisent par l’exclusion sociale, la faim, l’extrême pauvreté et l’immigration forcée. Les besoins de financement non satisfaits des pays en développement étaient et sont toujours énormes. L’absence de réformes efficaces des institutions financières traditionnelles a limité le volume et les modalités des prêts accordés par les banques existantes. »


Souverainisme monétaire


La première utilité de la banque des BRICS est donc l’accès au financement ; que les pays occidentaux soumettent à une série de critères rendant pour de nombreux projets le financement impossible. Plus grave, rappelle Lula, à ces critères drastiques s’ajoutent des conditionnalités politiques qui portent atteinte à la souveraineté nationale.

 Autrement dit, les prêts de la banque mondiale et du Fond Monétaire International sont un outil de mises en dépendance des économies des pays du Sud.

« Pour la première fois, une banque de développement d’envergure mondiale est créée sans la participation des pays développés […]. Elle est donc libérée des chaînes et des conditionnalités imposées par les institutions traditionnelles et plus encore : elle a la possibilité de financer des projets dans les monnaies locales. La nouvelle banque de développement a un grand potentiel de transformation en ce sens qu’elle évite aux pays émergents de se soumettre aux institutions financières traditionnelles qui veulent nous gouverner sans en avoir le mandat », estime le président brésilien.

Enfin souhaitant la création la plus rapide d’une monnaie des BRICS, le président Lula a également précisé : « Chaque soir, je me demande pourquoi tous les pays sont obligés de commercer en dollars. Pourquoi ne pouvons-nous pas commercer dans notre propre monnaie ? Pourquoi n’avons-nous pas la volonté d’innover ? Qui a décidé que le dollar était la monnaie, après que l’or a disparu en tant que parité ? Pourquoi n’était-ce pas le yen ? Pourquoi pas le real ? Pourquoi pas le peso ? ».

Si le chemin est encore long avant de pouvoir se libérer significativement du dollar – qui domine l’économie mondiale -, les projets de la banque des BRICS indique que cela n’est pas une utopie mais un projet réalisable, pour peu que la conscience des intérêts communs l’emporte.


Saïd Bouamama


Pour aller plus loin :

Louis de Catheu, Comment le Sud veut financer le Sud, Le grand Continent, du 26 avril 2023, consultable sur le site : https://legrandcontinent.eu

Cédric Amoussou, La banque des BRICS va prêter un montant astronomique en 2024, La nouvelle tribune du 28 mars 2024, consultable sur le site : https://lanouvelletribune.info


Source : Investig’Action

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