Le 17 octobre, peu avant 19h, une explosion frappait l’hôpital al-Ahli à Gaza. L’établissement baptiste abritait de nombreux blessés, mais aussi des civils qui fuyaient les bombardements et pensaient y trouver refuge. La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre et a suscité une vive colère partout dans le monde. Israël a rapidement été accusé de crime de guerre. Devant le tollé international, l’État colonial a rapidement démenti les faits en rejetant la faute sur le Hamas ou le jihad islamique qui aurait manqué un tir de roquette. Les médias en sont restés à : « Israéliens et Palestiniens se rejettent la faute ». Fin de l’histoire ?
Dans cette affaire assez compliquée, essayons de voir claire pour une meilleure compréhension. Contrairement à d’autres médiamensonges, la presse mainstream a peut-être donné dès le début la bonne information…
Nous voyons par exemple le New York Times titrer « Une frappe israélienne tue des centaines de personnes dans un hôpital, d’après les Palestiniens » et le World Street Journal : « Une frappe israélienne sur un hôpital à Gaza, tue plus de 500 personnes, d’après les autorités palestiniennes ».
Malgré les précautions d’usage, au regard des accusations portées, le coupable est clairement désigné. Ces deux journaux se ravisent assez rapidement et changent leur titre. Difficile d’accuser Israël d’un tel massacre sans subir d’énormes pressions.
Le bilan est terrible. Un véritable carnage qui entrainent des manifestations monstres dans le monde entier. Personne ne peut cautionner ce qui est considéré unanimement comme un crime de guerre. L’hôpital est un lieu protégé où en plus des blessés et malades, de nombreux Palestiniens se sont réfugiés avec leur famille.
La bonne question à se poser, c’est pourquoi des journaux qui sont toujours alignés sur le narratif des Etats-Unis – et donc d’Israël – ont condamné précipitamment leur protégé ?
Quels éléments avait-on pour se prononcer sur les événements ? Evidemment, il y avait les déclarations des Palestiniens horrifiés, mais aussi une vidéo de l’explosion sur l’hôpital qui était très explicite et authentifiée par le Wall Street Journal.
Un sifflement strident et une déflagration énorme, caractéristiques d’une puissante bombe qui arrive à vive allure sur son objectif. En fait, sans être des spécialistes, les observateurs ont tout de suite compris que de tels engins de guerre n’étaient pas entre les mains de la résistance palestinienne.
Imaginer que le Hamas dispose de bombes capables d’arriver à de telles vitesses sur des cibles israéliennes et de provoquer une telle destruction, ce n’est pas une information crédible.
Que disent les experts sur ces images impressionnantes qui ont circulées rapidement sur les réseaux sociaux ?
Dylan Griffith est un spécialiste des armes et vétéran de l’armée US de la guerre en Afghanistan : « Nous avons à faire à une munition américaine standard. Si vous avez un minimum d’expérience sur le sujet, vous savez qu’une des munitions les plus utilisées est ce qu’on appelle une JDAM (ndlr : Joint Direct Attack Munition). Cette bombe aérienne peut être guidée ou non. Les images me laissent penser que c’est bien une JDAM qui explose sur l’hôpital. Le son est caractéristique et aussi la façon dont la bombe frappe verticalement la position. Une vidéo a d’ailleurs été postée où des images d’une frappe en Afghanistan d’une JDAM de 500 kg est comparée à celle de l’hôpital. Pour moi, c’est une munition guidée parce que tu entends le sifflement des corrections des ailerons pendant la descente sur l’hôpital. Tout projectile qui possède ce système d’ailerons à l’arrière produit un bruit similaire. Ce n’est pas certain, mais il semblerait bien que la bombe ait frappée exactement où elle devait frapper. »
Avec de tels éléments disponibles immédiatement, difficile de rejeter la faute sur le Hamas. Il fallait donc démolir cet argumentaire rapidement.
Les premières images du parking de l’hôpital, en plein jour, publiées le lendematin matin, ont été l’occasion de blanchir l’armée israélienne. Il y a eu manifestement une explosion et un incendie. On y voit des véhicules détruits. Mais la zone concernée est relativement restreinte, ce qui peut paraitre incompatible avec le bilan fourni par ministère de la Santé de Gaza. Le bilan officiel est alors de 471 morts.
Le cratère montré sur les photos n’est pas caractéristique des bombes de 500 kg qui laisse des trous de plusieurs mètres.
En analysant les photos de l’impact et du parking, la Direction du renseignement militaire français (DRM) a estimé que l’hypothèse la plus probable serait une roquette palestinienne ayant explosé avec une charge d’environ 5 kilos.
Si à première vue l’argument est imparable, il existe des explications techniques fournit par l’officier militaire à la retraite et spécialiste des munitions Engin Yigit dans une interview au Daily Sabah « Il y a une forte probabilité que l’attaque ait été menée avec une bombe guidée MK-84. Un kit de guidage peut être fixé à l’avant ou à l’arrière de la bombe, permettant une frappe précise. La bombe peut exploser, soit à l’impact, soit à une hauteur souhaitée au-dessus de la cible avant de toucher le sol (…) Les bombes peuvent ne pas créer de cratères là où elles explosent (…) La hauteur à laquelle la bombe explose peut être réglée par l’utilisateur ».
L’enquête du New York Times
L’armée israélienne a donné d’autres « preuves » qui se sont avérées bien fragiles. Dont une qui été contredite par une enquête minutieuse du New York Times qu’on ne peut pas soupçonner de sympathie pour la cause palestinienne. Les images d’Al Jazeera qui étayaient la version israélienne n’ont aucun lien avec ce qui a causé l’explosion à l’hôpital. Le projectile filmé a en fait exploser dans le ciel à environ trois kilomètres de là.
Pour rappel, les images d’Al Jazeerah, filmées en direct montraient un projectile traversant le ciel et explosant dans les airs. Quelques secondes plus tard, une autre explosion était aperçue au sol. Les responsables israéliens et étasuniens ont soutenu qu’il s’agissait d’une roquette palestinienne qui auraient mal fonctionné et serait retombée au sol, provoquant l’explosion mortelle à l’hôpital Al-Ahli.
L’enquête du New York Times ne conclut pas pour autant sur la responsabilité définitive d’un des deux camps. Mais elle remet en cause un élément principal mis en avant pas les responsables israéliens et repris par tous leurs soutiens.
Le New York Times maintient cependant que le scénario de la roquette palestinienne défectueuse tombée avec du carburant non utilisé sur le parking de l’hôpital reste plausible. Cette hypothèse ne résiste pourtant pas à l’examen de la vidéo de l’explosion qui n’est d’ailleurs pas analysée par le journal étasunien. Une roquette qui subit une panne ne tombe pas verticalement avec une telle vitesse sur une cible. On aurait plutôt à faire à un phénomène de chute libre qui n’a rien à voir avec les images.
L’enregistrement audio
Pour appuyer sa thèse, Israël a dévoilé un enregistrement audio, affirmant qu’il s’agissait d’un échange entre un combattant du Hamas et un autre du Jihad islamique. La discussion tournant autour de qui est le coupable de la frappe. Le Hamas ou le Jihad ?
Il semblerait que les services secrets israéliens auraient subitement retrouvé leur capacité à espionner le Hamas. Capacités qui avait totalement disparu avant les événements du 7 octobre.
L’enregistrement a été qualifié de grossier par certains experts : le “ton, la syntaxe, l’accent et les expressions sont absurdes.” De plus, les membres du Hamas n’utilisent pas de téléphones portables, parce qu’ils savent qu’ils sont surveillés. Ils ne donnent pas précisément les sites d’où ils tirent des roquettes. Ils utilisent plutôt des chiffres ou des codes.
Notons que de nombreux articles analysant les faits et faisant porter le chapeau au Hamas ont eu tendance à ne pas évoquer cet enregistrement. La preuve parait effectivement assez bancale.
D’aucuns diront qu’elle a été produite dans la précipitation, plus pour convaincre l’opinion publique que des experts aguerris.
Israël ne tire pas sur des hôpitaux
Selon le ministère palestinien de la Santé, l’hôpital al-Ahli al-Arabi était l’un des nombreux hôpitaux de la bande de Gaza à avoir été averti par Israël d’un possible bombardement. L’armée israélienne avait d’ailleurs demandé à tous les hôpitaux du nord de Gaza et du centre de la ville de Gaza de procéder à une évacuation. Le personnel a refusé de quitter les lieux, affirmant qu’il serait « impossible » de transporter les malades et les blessés.
Au total, au moins 22 hôpitaux ont reçu ce type de menace depuis le 7 octobre.
L’hôpital a d’ailleurs été touché par une roquette israélienne quelques jours avant. Deux étages supérieurs du centre, qui abrite les services d’échographie et de mammographie, ont été gravement endommagés et quatre membres du personnel de l’hôpital ont été blessés dans cette explosion. La frappe s’est produite à 7h30, le samedi 14 octobre soit 3 jours avant le bombardement qui a choqué l’opinion mondiale.
Rappelons enfin qu’Israël s’est défendu d’attaquer des hôpitaux. Mais des chiffres alarmants prouvent le contraire. Au 28 octobre, 116 membres du personnel médical sont morts dans les bombardements, 25 ambulances ont été détruites et 57 établissements de santé ont été pris pour cible.
Le bilan des victimes
Dans le bombardement de l’hôpital al-Ahli, le nombre de victimes est d’ailleurs un autre sujet à caution. Le ministère de la Santé de Gaza dresse le bilan final de 471 morts. Mais selon le « responsable d’un service de renseignement européen » qui reste anonyme, l’explosion meurtrière n’aurait causé la mort que de “quelques dizaines” de personnes… C’est le grand écart, si on peut se permettre l’expression devant un tel drame.
Le ministère de la Santé est pourtant une source fiable puisque il publie tous les jours un bilan précis des victimes. Ses chiffres ont toujours résisté à l’examen minutieux de l’ONU et même d’Israël lors des guerres précédentes. Par exemple, le ministère de la Santé de Gaza a déclaré que 2 310 Palestiniens avaient été tués lors de la guerre de Gaza en 2014. Le décompte de l’ONU pour le conflit était légèrement inférieur (2 251) et l’estimation israélienne était de 2 125.
Dernièrement, Biden a accusé les Palestiniens de mentir sur les victimes civiles lorsqu’il a été confronté au nombre massif d’enfants victimes dans les bombardements israéliens. Les États-Unis et Israël ont commencé à mettre en doute le nombre de victimes provenant du ministère de la Santé de Gaza, car l’enclave est dirigée par le Hamas.
Le ministère palestinien de la Santé a alors publié les noms de milliers de Palestiniens tués depuis le 7 octobre. Le rapport qu’il a mis en ligne énumère les noms, les âges, les sexes et les numéros d’identification de 6 747 personnes (à la date du 25 octobre). Il indique que 281 corps supplémentaires n’ont pas encore été identifiés. (A noter que le bilan au 28 octobre est de 8 005 personnes tuées dont 3 324 enfants uniquement dans la bande de Gaza).
Il est vrai qu’après les quelques déconvenues subies par Israël sur la véracité de ses preuves, le fait de nier le bilan humain lui permet de se dédouaner. Un bombardement de Tsahal avec du matériel de guerre ultra moderne et puissant aurait fait beaucoup plus de victimes. C’est donc forcément une roquette du Hamas qui est tombée ce soir-là sur l’hôpital. La vidéo de la frappe ne va pourtant pas dans ce sens…
Source: Investig’Action
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