Personne n’oserait imaginer Floyd Landis ou Lance Armstrong prendre la tête d’un grand débat sur la lutte contre le dopage. Pourtant, nul ne semble s’offusquer que Bernard-Henri Lévy soit devenu la référence de celui sur la place de la morale en politique nationale ou internationale et de la refondation de la gauche.
Pascal Boniface / IRIS / 22 octobre 2007
Comment comprendre que quelqu’un qui n’a jamais exprimé de préoccupations sociales puisse jouer ce rôle ? Comment expliquer surtout que celui dont plusieurs livres d’auteurs différents ont mis à jour les multiples mensonges (de ses rencontres avec Massoud, à sa ceinture noire de judo) puisse encore être crédible ? Sans doute suis-je d’une naïveté infantile, mais je pensais qu’on ne pouvait être à la fois un menteur multirécidiviste et se prendre pour une figure morale. Comment quelqu’un ayant une pensée binaire (bien-mal, ami-ennemi, eux-nous), puisse passer pour un intellectuel incontestable ? Comment expliquer que dans un pays qui n’est pas totalitaire, nul ne se sente la force de refuser de l’inviter pour évoquer son livre ? De deux choses l’une, soit les journalistes vedettes qui le font n’ont entendu parler d’aucun des ouvrages qui méthodiquement ont démonté le système BHL, et on peut se poser des questions sur leur compétence. Soit ils invitent néanmoins BHL en connaissance de cause et c’est leur conscience professionnelle qui est en cause. Certes, c’est probablement la simple prudence qui les pousse à agir ainsi. Pourquoi risquer de se fâcher avec un homme qui a à la fois la rancune tenace et de solides appuis dans le monde des affaires, de la presse et de l’édition, qui récompense les services rendus et punit sévèrement ce qu’il considère comme des outrages ? Mais où est alors le respect dû au public ? Est-il éthiquement acceptable de le tromper par peur des représailles de BHL ou dans l’espoir de ses renvois d’ascenseur ?
A chaque fois que BHL a été interviewé, il l’a été avec admiration et déférence. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n'a pas été poussé dans ses retranchements face à ses nombreuses contradictions, à ses manquements et erreurs pourtant dûment répertoriés. Et les quelques fois où il n’était pas le seul invité, les précautions semblent avoir été prises pour qu’aucun autre participant ne puisse présenter le risque de l’attaquer frontalement.
Comment expliquer que quelqu’un qui, ouvertement ou insidieusement, fait la chasse à ceux qui avaient pour défaut de ne pas l’admirer assez, ou qui ont commis le crime de critiquer ses deux passions les plus sincères (lui-même et Israël) puisse passer pour un héros de la liberté ?
Pour BHL, l’anti-américanisme est « la métaphore de l’antisémitisme ». Cela n’est pas faux, mais pas dans le sens qu’il invoque. De plus en plus en effet, ceux qui critiquent la politique extérieure américaine sont traités d’anti-américains de la même façon que ceux qui critiquent le gouvernement israélien sont accusés d’antisémitisme. C’est-à-dire qu’on pratique un amalgame entre la critique de l’action d’un gouvernement et l’hostilité ou la haine face à un peuple. Le tout, bien-sûr en proclamant le principe de la liberté de critiques dont il veut se conserver le monopole pour en fait l’exercer assez peu. Pourquoi célébrer autant les Etats-Unis et essayer d’interdire au maximum toute critique de sa politique extérieure ? Pourquoi cette accusation infamante (et censée être disqualifiante) d’antiaméricanisme par mimétisme avec l’accusation d’antisémitisme ? Certes en 1985 BHL avait déjà signé une pétition en faveur des « contras » nicaraguayens dont le texte émanait d’une officine de la CIA (1). Mais au-delà de cette ancienne connexion, il est un autre motif qui pousse BHL à diaboliser ceux qui critiquent les Etats-Unis. Tout simplement parce que malgré tous ses défauts, le gouvernement Bush a l’immense avantage de n’avoir jamais exercé de pressions sur le gouvernement israélien. Que les Etats-Unis, par exemple, mettent en pratique le rapport Baker, qu’ils cessent d’être des soutiens inconditionnels du gouvernement israélien, et BHL sera moins pro-américain.
BHL déploie une énergie considérable à nier que le conflit israélo-palestinien est un problème stratégique majeur. Il a même été jusqu’à écrire que c’était au Darfour que se jouait le choc des civilisations. Pourtant, c’est bien la grille de lecture du conflit israélo-palestinien qui détermine tous les jugements qu’il peut émettre sur la scène nationale. Il est pour la paix, mais fait toute confiance au gouvernement israélien pour la mettre en œuvre sans pressions extérieures. Ceux qui sont d’accord avec lui sur ce point sont des figures morales. Ceux qui ne le sont pas sont des antisémites. Car si BHL se dit pour la paix et en faveur de la création d’un Etat palestinien, il entend non seulement n’exercer aucune critique à l’égard du gouvernement israélien et de surcroît s’avère implacable pour ceux qui osent le faire.
BHL est en fait partagé entre son désir d’apparaître comme un intellectuel universaliste et sa dérive communautariste qu’il ne parvient pas à maîtriser. En effet, il n’applique pas les mêmes critères aux différents conflits et crises en cours et à celui du Proche-Orient, ce qui devrait donc l’empêcher de se revendiquer comme intellectuel universaliste. Il prouve au contraire son communautarisme. Il s’insurge à juste titre, que l’on ne montre plus des images de la répression birmane, mais s’insurge à l’inverse qu’on puisse montrer des images de la répression des Palestiniens. Il condamne à juste titre les bombardements de populations civiles tchétchènes par l’aviation russe mais condamne ceux qui critiquent les bombardements de l’aviation israélienne sur la population palestinienne ou libanaise. Au cours de la guerre du Liban, il s’est même ému que l’on puisse juger disproportionnée la réaction israélienne à l’enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens, ce qui était pourtant la critique minimale à apporter, les différentes organisations humanitaires, parlant elles de crimes de guerres (tant pour le Hezbollah que pour l’armée israélienne par ailleurs). Il soutient le principe de liberté totale d’expression pour Redeker, mais celui d’interdiction totale pour Ramadan de pouvoir s’exprimer en France. Ecartelé entre sa prétention universaliste et sa réalité communautariste niée , BHL s’en sort en tirant à boulets rouges sur ceux qui dans leurs réflexions, leurs écrits mettent en avant cette contradiction.
Tant qu’il n’y aura pas une paix juste au Proche-Orient, BHL ne pourra pas concilier son universalisme affiché et son communautarisme, c’est pourquoi il est aujourd’hui extrêmement agressif. La meilleure défense, c’est l’attaque. Le communautarisme de BHL est déjà en soit problématique. Loin d’en être gêné, il fait porter la critique sur ceux qui, réellement universalistes, ont la même grille de lecture pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qu’il s’agisse du Proche-Orient, du Caucase ou de l’Asie. C’est proprement inacceptable. Ce que BHL appelle l’antisémitisme de gauche, c’est tout simplement ceux qui estiment que le conflit du Proche-Orient ne fait pas exception aux règles de droit international et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, même en tenant compte d’une histoire particulièrement douloureuse du peuple juif. BHL se transforme alors en maccarthyste, je suis personnellement bien placé pour en témoigner. Parce qu’il ne souhaite pas que la France ait une politique active au Proche-Orient ou marque son indépendance face aux Etats-Unis, il traite de maurrassien toute personne coupable de vouloir l’inverse. De Régis Debray à Rony Brauman, en passant par Jean-Pierre Chevènement et Henri Guaino (2), il veut disqualifier ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, utilisant les arguments moraux non pas pour débattre, mais pour censurer. BHL a le droit de ne pas aimer une France affirmant son autonomie stratégique, mais pas de taxer de racistes ceux qui ne partagent pas ses vues. Une fois encore, la morale est évoquée pour brouiller les cartes et pour des desseins peu dignes.
BHL est un symbole actif de cette coupure entre le peuple et les élites. BHL est nu moralement. Courtisane et craintive, la majorité de la presse fait semblant de le voir richement vêtu et s’ébahit devant le faste de ses habits neufs. Le public, lui, est partagé entre l’écœurement et la rigolade.
Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques. Il vient de publier « 50 idées reçues sur l’Etat du monde aux éditions Armand Colin.
1 Cf. « une imposture française » Nicolas Beau, Olivier Toscer, les Arènes, page 141 et suivantes.
2 Qu’il attaque curieusement pour avoir contribué à rédiger le discours de Dakar, mais prend bien garde de s’en prendre à Nicolas Sarkozy qui l’a prononcé.
Source : IRIS
http://www.iris-france.org/…
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Pascal_Boniface.221007.htm