Editorial: Guaidó mis échec et mat ?
Le 5 janvier dernier, Luís Eduardo Parra, député de l’opposition et ex membre du parti Primero Justicia (Justice en Premier), a prêté serment comme nouveau président de l’Assemblée Nationale (AN) du Venezuela. Il a obtenu 81 voix sur 140 voix exprimées, c’est-à-dire la majorité simple, au cours d’une séance extraordinaire avec, à l’ordre du jour, l’élection du Bureau de l’Assemblée.
Au même moment, l’opposant Juan Guaidó et une partie des députés qui le suivent, avaient décidé de tenir une séance parallèle au siège d’El Nacional, quotidien d’opposition à Nicolas Maduro, séance au cours de laquelle l’auto-proclamé « président par intérim », qui jouit du soutien des États-Unis, a affirmé avoir été réélu Président de l’Assemblée Nationale par 100 voix.
Le nombre total des élus au Parlement du Venezuela est de 167 députés. Il est donc mathématiquement impossible que les deux camps disent la vérité. Alors que Parra n’a pas publié la liste des députés qui ont voté pour lui, Guaidó, à ce qu’il semble, a eu recours à des députés résidant à l’étranger (certains même sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par la Justice) et aux suppléants des députés de l’opposition qui ont voté en faveur de son rival. Les deux ont néanmoins assisté, le mardi 7 janvier, à la séance de l’Assemblée pour délibérer.
Parra et ses partisans ont traité les questions à l’ordre du jour, notamment la pénurie de carburants et la libération des prisonniers politiques. Guaidó et ses partisans, eux, ont réitéré la prestation de serment en tant que président de l’Assemblée Nationale et également en tant que « président en charge » de la nation pour une année supplémentaire. Selon Parra, lors de son élection comme nouveau président de l’Assemblée Nationale, 140 députés étaient présents dans l’hémicycle au moment du vote et 10 autres sont arrivés en fin de séance, ce qui fait un total de 150 députés ; or sa candidature n’a obtenu que 81 voix. Mais le fait que 81 députés aient voté pour Parra ne signifie pas que désormais le quorum nécessaire sera 81. Il convient de faire la distinction entre le nombre de voix exprimées et le nombre de députés présents. Un petit nombre de députés qui n’ont pas voté en faveur de Parra ont assisté à la séance du 7 janvier alors que d’autres ont assisté à la séance organisée par Guaidó.
Pour l’adoption de lois organiques, l’approbation de la démission de directeurs ou la prise de quelconque autre décision importante, le résultat de vote exigé par le règlement est particulier : il faut obtenir soit les trois cinquièmes des votes de l’Assemblée (c’est-à-dire 100 députés) dans certains cas, soit les deux tiers (111 députés) du total dans d’autres. Apparemment, ni l’Assemblée « officielle » ni l’Assemblée « parallèle » n’auront la possibilité d’atteindre ces chiffres. Les autres décisions ordinaires sont adoptées à la majorité absolue des présents; ainsi, si 85 députés sont présents en séance, 43 voix suffisent pour approuver la décision en débat.
Sous la conduite de Parra, il se pourrait que le nouveau Bureau de l’Assemblée accélère l’élection d’un nouveau Conseil Electoral National lequel serait appelé à convoquer de nouvelles élections législatives en 2020. Cette question qui fut un des principaux sujets débattus par la Table du Dialogue National qui a réuni le parti au gouvernement actuel et quelques-uns de partis minoritaires d’opposition, question également portée par l’opposition ces derniers temps, obtient ainsi une base institutionnelle pour mieux avancer.
Les élections législatives à venir, en 2020, placeront les secteurs radicaux de l’opposition et Guaidó devant un sérieux dilemme : en y participant, ils légitimeront un processus électoral mis en place par le « régime » ; en n’y participant pas, ils perdront définitivement tout espace institutionnel. Il existe, en effet, un secteur de plus en plus large de l’opposition qui comprend que le coup de Guaidó a définitivement échoué et c’est pourquoi ils essayent de reprendre pied dans le « jeu » démocratique.
Autre priorité, tant pour le gouvernement que pour l’Assemblée, c’est le chapitre de l’économie. L’exécutif de Maduro est en train d’adopter un certain nombre de mesures libérales pour offrir de meilleures possibilités de profits au secteur privé et essayer ainsi d’attirer des investisseurs prêts à braver les sanctions des États-Unis. Cependant, les modifications de la législation concernant les entreprises mixtes, pour revenir par exemple aux contrats de services dans l’exploitation pétrolière, doivent être approuvées par l’Assemblée Nationale. Cette fenêtre est donc à nouveau ouverte.
Par ailleurs, les derniers épisodes ont permis à Guaidó de recevoir maintes déclarations de soutien de la part des pays qui l’avaient « reconnu », en premier lieu les États-Unis. Aussi bien le secrétaire d’Etat Mike Pompeo que certains autres politiciens, tous réaffirment leur soutien au leader de l’opposition et brandissent des menaces de nouvelles sanctions. Le gouvernement de Donald Trump s’étant embourbé dans une escalade de tensions au Moyen Orient suite à l’assassinat du général iranien Qassem Suleimani, le Venezuela est sorti momentanément de son planning. Guaidó sait également comment tirer profit des gros titres de la presse mainstream, essentiellement internationale, en montant des « shows ». On le voit ainsi escalader la clôture du Parlement pour faire mine d’y entrer de force (bien qu’il soit tout à fait libre d’y entrer par la grande porte). Une autre fois, il force un cordon de police pour mettre en place « son » Parlement. Mais son aptitude à mobiliser ses partisans, manifestement, s’avère nulle, preuve en est l’absence presque totale de manifestants dans la rue malgré ses appels insistants à le soutenir les 9, 10 et 11 janvier.
Nous assisterons, ces prochaines semaines, à de nouvelles disputes autour de leur légitimité respective entre, d’une part, l’Assemblée « officielle » qui cherchera à avancer sur des questions législatives et, d’autre part, l’Assemblée « parallèle » de Guaidó qui cherchera à renforcer sa position grâce au soutien international. Mais ce ne sera cependant qu’une situation transitoire appelée à ne durer que jusqu’aux prochaines élections au Parlement du Venezuela.
Brèves
Colombie / Encore des assassinats de leaders sociaux
Quatre leaders sociaux colombiens ont été assassinés ces derniers jours lors de nouveaux épisodes de violence paramilitaire en Colombie.
Emilio Campana et Oscar Quintero ont été assassinés à Putamayo, alors que Mireya Hernandez a été assassinée à Huila et Virgilia dans le Cauca. Cela porte à plus de 150 le nombre de leaders, hommes et femmes, assassinés en 2019.
La Commission de la Vérité, établie dans le cadre des accords de paix entre l’Etat colombien et la guérilla dissoute des FARC, a exigé du gouvernement des mesures urgentes pour protéger la vie des leaders sociaux ainsi que celle des communautés menacées par la violence principalement à l’ouest du pays.
Puerto Rico / État d’urgence après le séisme
La gouverneur de Puerto rico, Wanda Vazquez Garced, a déclaré l’état d’urgence dans l’île après une série de fortes secousses sismiques qui se sont produites dans les premiers jours de janvier.
La secousse la plus forte a eu lieu mardi 7 janvier, avec une magnitude de 6,4. Les tremblements de terre ont provoqué un mort et huit blessés, en plus de dommages matériels importants. Les autorités vont à présent s’occuper des dommages causés aux infrastructures.
Puerto Rico avait été durement touchée par un ouragan en 2017 qui avait causé la mort de près de 3000 personnes et des dommages à hauteur de 90 millions de dollars.
Bolivie / Le MAS va livrer une nouvelle bataille électorale
Le Tribunal Suprême Électoral (TSE) a annoncé que les prochaines élections générales se tiendront le 3 mai. Néanmoins, la date limite pour les inscriptions des candidats est fixée au 3 février.
Ainsi, le Mouvement pour le Socialisme (MAS), à la tête duquel se trouve Evo Morales, a annoncé qu’il fera connaître son candidat le 19 janvier prochain.
Parmi les plus sûrs d’être nommés se trouvent: Diego Pary, qui a été le dernier chancelier d’Evo, et Andronico Rodriguez, dirigeant des paysans “cocaleros” de Cochabamba.
De son côté, l’opposition est divisée entre Luis Fernando Camacho ( leader du Coup d’état) et le gouverneur de la Paz, Felix Patzi.
Pérou / Enfin, un nouveau Congrès
Les élections législatives au Pérou auront lieu le 26 janvier, après que le président, Martin Vizcarra, ait dissout le Congrès le 30 septembre dernier.
Près de 25 millions de péruviens sont appelés aux urnes pour élire un nouveau Congrès qui fonctionnera jusqu’en juillet 2021, pour achever la période du parlement dissout.
Les enquêtes soulignent que la moitié de l’électorat ne sait toujours pas pour qui il votera.
L’état a interdit aux Partis de payer contre de la publicité dans les médias. Par contre, il a souscrit une frange publicitaire à la radio et à la télévision d’un temps égal pour chaque formation politique.
Cependant, cette règle ne s’applique pas pour internet et les réseaux sociaux, où les candidats de l’extrême droite ont diffusé des contenus discriminatoires et de fausses informations.
Equateur / Un nouvel obstacle pour Correa
La justice équatorienne a entamé un procès contre l’ex-président Rafael Correa pour “corruption”. Elle enquête sur un supposé réseau de paiements de la part de plusieurs entreprises au parti Alianza Pais contre l’obtention de contrats.
La corruption est un délit imprescriptible, selon le code pénal équatorien, qui peut être jugé en l’absence de l’accusé. Cela signifie que le procès peut avancer jusqu’à la sentence même si le président n’est pas présent devant les tribunaux.
Ce fait pourrait avoir un impact sur l’horizon politique de l’ex-président; celui-ci avait annoncé récemment son intention de revenir sur le devant la scène pour les élections qui se dérouleront en 2021 en Equateur.
Interview
Mexique / Ana Esther Ceceña: «Nous avons des menaces d’intervention territoriale de la part des États-Unis»
Le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a célébré avec ses partisans en décembre sa première année aux commandes du pays. Mais des milliers de personnes se mobilisent également contre son administration. Ana Esther Ceceña, économiste mexicaine, experte en géopolitique, nous offre un bilan modéré de ces mois.
Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a terminé sa première année de gouvernement dans une relative stabilité. Quel bilan peut-on faire de son mandat jusqu’à maintenant?
Au cours de cette première année, on pourrait dire qu’il a réussi à établir certaines lignes, une certaine voie de travail pour le gouvernement, qui consiste en partie à restaurer l’état de droit perdu au cours des six dernières années. Bien qu’il y ait eu des tentatives très claires pour ce faire, il est évident que le système judiciaire du pays est très difficile à réorienter, entaché qu’il est par la corruption et les pratiques clientélistes, ce qui rend très difficile la mise en place des conditions d’exercice de la justice de façon appropriée. Cependant, des instruments relativement nouveaux ont été créés, ou du moins activés dans cette administration autour notamment de la recherche de victimes de disparition ou de criminalité organisée. Des fosses avec des corps ont été découvertes un peu partout, et les personnes qui se sont battues pour que leur proches retournent chez eux sont en train d’avoir une certaine réponse.
Récemment, AMLO a déclaré que “la base de la transformation du Mexique a déjà été établie”. Quelles ont été ces bases, par exemple, en matière économique ou de sécurité?
En termes économiques, l’économie n’a pas chuté comme certains l’avaient prévu, mais elle n’est pas non plus très saine ni très active. Des accords ont été conclus avec des entrepreneurs de différents types, il existe un conseil patronal érigé en conseil du gouvernement, de grands projets et des travaux d’investissement notamment au niveau des infrastructures sont annoncés dans la région sud du Mexique. L’un d’eux est l’équivalent d’un canal de Panama près de la frontière américaine et l’autre est l’invasion infrastructurelle de la péninsule du Yucatan, là où se trouvent les plages des Caraïbes et un grand nombre de sites archéologiques de la culture maya. Raison pour laquelle plusieurs communautés mayas dans cette région sont contre ces projets parce qu’elles croient qu’ils vont endommager leurs modes de vie et leur organisation sociale, ainsi que l’équilibre écologique de cette jungle.
En termes de sécurité, le bilan n’est pas très satisfaisant. La criminalité a augmenté, le nombre d’homicides est en hausse et il ne semble toujours pas y avoir de perspective de contrôle de ce phénomène très ancré dans la société. Cela semble être le plus grand défi du gouvernement, gouvernement qui subit également de très fortes pressions de la part des États-Unis, à cause du système commercial existant (avec sa grande part d’illégalité). Pendant ce temps, le contexte mondial menace avec la récession, ce qui est très dangereux pour le Mexique car nous sommes fortement dépendants de l’économie américaine.
En ce qui concerne la politique étrangère, AMLO a radicalement changé la position de ses prédécesseurs par rapport au Venezuela par exemple. Nous avons également pu apprécier sa réaction solidaire face au récent coup d’État en Bolivie. Les relations du Mexique avec les États-Unis ont-elles également changé?
L’une des grandes réalisations de ce gouvernement c’est le fait que la politique étrangère ait retrouvé sa tradition historique de non-intervention, de respect des peuples. L’un des premiers faits a été le changement de politique concernant le Venezuela. Mais, le gouvernement américain est très hostile au Mexique, très agressif et la question du mur frontalier est encore d’actualité. Trump a déjà été autorisé à réaliser une partie du mur et affirme que ce n’est que le début. Au-delà du verbiage de Trump, les migrants mexicains subissent un traitement inhumain, en particulier les enfants. Plusieurs d’entre eux sont morts en captivité dans d’horribles prisons séparés de leurs parents. Cela menace le fonctionnement général du pays, où nous avons une dynamique migratoire très intense à la frontière nord, qui est une soupape d’échappement pour l’économie mexicaine. L’argent provenant des envois de fonds a déjà dépassé les revenus du pétrole, de sorte que le fonctionnement de l’économie en dépend largement.
À cela, il faut ajouter que dans le nord du pays, le plus grand gisement de lithium au monde a été découvert, et qu’il existe déjà des sociétés, une anglaise et une chinoise, qui gèrent le projet d’exploitation. Mais cette zone est la voie du transfert de drogue. C’est également une région frontalière, et Trump dit que, comme au Mexique, il n’y a pas de contrôle sûr de la criminalité, ils se doivent d’intervenir. Il y a déjà eu un meurtre d’une famille binationale dans la région, et beaucoup pensent que cela a été provoqué pour pouvoir intervenir dans la région. Ce fait a aidé Trump à insister sur le fait qu’il serait très bon pour l’Amérique du Nord d’entrer dans le pays, nous avons donc directement des menaces d’intervention territoriale, que nous ne devons pas sous-estimer.
Venas abiertas: ¡Revolución!
Le 1er janvier 1959 est resté dans l’histoire comme le jour du triomphe de la Révolution cubaine. Après une campagne de guérilla contre un adversaire militairement plus fort, les “barbudos” conduits par Fidel Castro et le “che” Guevara ont accumulé les succès jusqu’à forcer le dictateur Fulgencia Batista à s’enfuir.
La révolution, qui a rapidement assumé son caractère socialiste, n’a pas tardé à être la cible des agressions les plus variées de la part des Etats-Unis, cette grande puissance menacée par le projet d’une société différente si près de ses côtes.
Cuba a marqué de notables avancées sociales dans le domaine de l’Éducation et de la Santé, de même, elle a affirmé son admirable vocation internationale, en combattant côte à côte avec d’autres mouvements de libération. L’Empire a tout essayé, mais la révolution continue!
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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.
Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Ines Mahjoubi.
Source : Investig’Action