Amérique Latine en Résistance : Le retour de Lula

Éditorial / Lula à la présidence: défis et obstacles

 

Luis Inacio “Lula” da Silva a remporté l’élection présidentielle brésilienne le 30 octobre. Moins de trois ans après avoir été libéré de prison, Lula revient au palais présidentiel pour un troisième mandat. Il avait été condamné suite aux accusations de corruption passive présumée et de blanchiment d’argent dont il avait fait l’objet, accusations qui ont été annulées par la suite par la Cour suprême fédérale en raison d’irrégularités de procédure.

L’ancien dirigeant syndical de 77 ans est parvenu à s’imposer (50,90 %) dans un second tour très serré, face au candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro (49,10 %) qui devient le premier président brésilien battu lors d’ une tentative de réélection au cours des 24 dernières années.

Lula a annoncé qu’il allait gouverner “pour l’ensemble des 215 millions de Brésiliens”, ainsi a-t-il assuré que deux pays “n’existent pas”. Néanmoins, les résultats électoraux montrent que ce ne sera pas facile : le pays est divisé par deux visions opposées. En outre, un Congrès et trois États importants (Sao Paulo, Minas Gerais et Rio de Janeiro) sont dominés par le bolsonarisme.

Suite aux résultats, Bolsonaro a gardé un silence de 44 heures qui a tenu le pays en haleine face à la menace de ne pas reconnaître le résultat des élections. Ses partisans ont bloqué 167 routes fédérales dans 17 des 27 États du pays pendant trois jours. De plus, ils se sont rassemblés devant les casernes pour demander une “intervention militaire”.

Mais peu à peu les bolsonaristes sortent de leur état de déni. Bien que l’armée ait donné des signaux ambigus et regorge d’extrémistes, il est clair que le haut commandement n’est pas intéressé par une aventure à la Trump aux États-Unis.

En fait, Bolsonaro n’a pas explicitement accepté la victoire de la gauche, mais il a autorisé le début de la transition gouvernementale. Ainsi, l’équipe de Lula, dirigée par le futur vice-président, Geraldo Alckmin, est déjà à Brasilia pour préparer l’événement qui aura lieu le 1er janvier.

Au cours de son séjour dans la capitale, il a tenu diverses réunions pour discuter du budget, un sujet fondamental pour pouvoir tenir les promesses faites lors de la campagne.

Parmi les plus importantes figurent le maintien du programme d’aide économique Auxilio Brasil – qui s’appellera à nouveau Bolsa Familia, comme Lula l’avait baptisée en 2003 – et l’augmentation du salaire minimum réel.

Mais Lula, qui a déjà conclu des compromis avec divers secteurs de la bourgeoisie brésilienne, hérite d’un pays dans des conditions bien pires que celles qu’il a connues lors de ses précédents mandats. L’année 2021 s’est clôturée avec une inflation qui a atteint 10,06%, le pire chiffre depuis 2015, ce qui a fortement affecté le pouvoir d’achat des Brésiliens, notamment des plus pauvres. De fait, le Brésil est à nouveau frappé par la faim qui touche déjà plus de 30 millions de personnes. Le Congrès représentera un autre obstacle pour Lula: il est issu des élections législatives du 2 octobre et se compose d’une majorité beaucoup plus à droite, conservatrice et liée à Bolsonaro.

Le Parti libéral (PL) d’extrême droite est devenu la première force à la fois à la Chambre ( avec 99 des 513 députés) et au Sénat ( avec 14 des 81 sénateurs). Si ses partis alliés sont pris en compte, le bolsonarisme pourra constituer une opposition réelle et déterminée dans les deux chambres. De son côté, le Parti des travailleurs (PT), que Lula a cofondé en 1980, compte 68 députés et si l’on y ajoute les partis qui ont fait partie de sa coalition, il atteindrait 120 sièges.

Ainsi, Lula tentera de retrouver l’importance que le Brésil avait acquis au niveau international durant son mandat. Bolsonaro laisse en effet un Brésil isolé , surtout, en raison de son alignement excessif sur l’ancien président américain Donald Trump – ceci, au détriment de la Chine (son principal partenaire commercial, devant les États-Unis) – et sur les pays gouvernés par la droite conservatrice.

La politique environnementale du président sortant a également contribué à cet isolement; elle a eu des conséquences dévastatrices en Amazonie, ce que le nouveau gouvernement va maintenant chercher à inverser.

En résumé, Lula et la gauche brésilienne ont de grands défis devant eux. Sur ce terrain miné, la volonté d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre devra être la boussole. Alors que la campagne a été une période marquée par la volonté de « ne se faire aucun ennemi », la présidence devra se concentrer avant tout sur le fait de ne pas perdre la base.

Et cette présidence représente également une seconde chance pour le continent: celle de miser sur un modèle d’intégration régionale qui combattra de plus en plus contre l’hégémonie impérialiste des Etats-Unis.

 

Brèves

 

Venezuela / Maduro et Petro se rencontrent à Caracas

 

Maduro et Petro. (Prensa Presidencial)

Le président vénézuélien Nicolas Maduro a reçu son homologue colombien, Gustavo Petro, à Caracas, lors d’une rencontre qu’il a qualifiée de “fructueuse”, “de bon augure” et “ayant donné de bons résultats”.

Les présidents ont évoqué les relations commerciales et économiques, la réouverture progressive de la frontière, ainsi que “la sécurité et le fonctionnement en bonne et due forme” de la zone frontalière.

Sur ce point, M. Petro a annoncé des accords pour reprendre la coopération en matière de renseignement et pour “combattre durement” le trafic de drogue. Maduro a également annoncé son souhait de voir le Venezuela réintégrer le bloc économique de la Communauté andine (CAN), proposition faite par Petro au début de son mandat.

 

USA / La CIDH enquête sur la patrouille frontalière 

 

La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) va examiner le cas d’Anastasio Hernandez Rojas, un immigrant mexicain décédé en 2010 après avoir été agressé par des agents de la patrouille frontalière nord-américaine.

Cet organisme espère parvenir bientôt à une résolution finale d’un procès qui a débuté 12 ans après le meurtre et qui a été entravé par la dissimulation continue de faits par Washington.

Quelle qu’en soit l’issue, les experts en droits de l’homme estiment que cette affaire crée un précédent en matière d’abus brutal de la part de la police des frontières aux États-Unis, car il s’agit de la première affaire de ce type à être examinée par la CIDH.

 

Pérou / L’opposition attaque Pedro Castillo

 

Pedro Castillo. (El Comercio)

L’opposition péruvienne a lancé une nouvelle campagne pour démettre le président Pedro Castillo de ses fonctions. Les forces de droite demandent l’inhabilitation du président pour “trahison”.

Cette “opportunité” pour l’opposition est venue des récentes déclarations de M. Castillo en faveur d’une ouverture sur la mer pour la Bolivie, demande historique du pays voisin. Une commission parlementaire proposera l’inhabilitation de Castillo pour cinq ans. Des milliers de Péruviens ont manifesté le 5 novembre pour demander la démission du président.

L’ancien leader syndical s’est vu confronté à de nombreux problèmes pour gouverner, et les changements successifs de gouvernement l’ont laissé de plus en plus isolé.

 

Colombie / Petro critique l’ “échec” des conférences sur le climat

 

Le président colombien Gustavo Petro a sévèrement critiqué les conférences COP des Nations-Unies consacrées au changement climatique.

Dans son discours à la COP 27 qui s’est tenue en Égypte, M. Petro a appelé au démantèlement du système des institutions internationales, à la fin des combustibles fossiles et à la planification économique pour sauver l’humanité de ces “temps d’extinction”.

Le dirigeant colombien, qui a fait de la défense de l’environnement une priorité de son programme politique, a également appelé à la mise en œuvre de programmes concrets de défense de l’Amazonie avec d’autres pays de la région, comme le Brésil et le Venezuela.

 

Équateur / Attentats dans plusieurs régions du pays

 

Crise pénitentiaire en Équateur. (Expreso)

Le président équatorien Guillermo Lasso a étendu l’état d’urgence déjà en vigueur dans les provinces de Guayas et Esmeraldas à la ville de Santo Domingo de los Tsachilas, où des attentats ont été signalées, notamment l’utilisation de voitures piégées près de stations-service.

M. Lasso en a attribué la responsabilité à la “narco-criminalité”, en réponse à l’opération de police menée à la Prison du Littoral de Guayaquil, où une émeute avait fait plus d’une dizaine de blessés parmi les agents et où des armes, des munitions et des explosifs avaient été saisis.

Le président équatorien a assuré que l’objectif des opérations menées dans les prisons est de “mettre fin” à leur état de “quartiers généraux du crime”.

 

Interview

 

Haïti / Lautaro Rivara : « Il existe un pacte pour rendre invisible la mobilisation du peuple haïtien »

 

Lautaro Rivara, journaliste et sociologue, analyse la convulsive réalité qui règne en Haïti alors que grandissent les rumeurs d’une nouvelle intervention militaire étrangère. Il nous explique les différents calculs politiques, la paramilitarisation du pays et la volonté concertée de rendre invisible le peuple qui s’est organisé.

On parle de plus en plus d’une possible intervention militaire étrangère en Haïti. À quoi jouent le gouvernement (autoproclamé) d’Ariel Henry, d’une part, et les États-Unis, de l’autre ?

Il faut tout d’abord rappeler que c’est Ariel Henry, le Premier ministre par intérim d’Haïti, qui a appelé à une occupation militaire internationale du pays au motif d’y assurer la sécurité, de combattre les gangs armés, de débloquer les ports actuellement sous le contrôle des groupes paramilitaires et, également, pour faire face à une recrudescence de l’épidémie de choléra sur l’île.

Ariel Henry cherche à mettre en œuvre un plan prétorien pour sauver un gouvernement non élu démocratiquement et totalement délégitimé par une suite de manifestations massives qui ont rassemblé des foules énormes et qui durent désormais depuis des mois. Ce genre d’intervention internationale est indispensable pour que ce gouvernement se maintienne au pouvoir et pour que les élites qu’il représente puissent poursuivre leur politique de pillage et de mise à sac du pays.

Cette demande d’intervention peut présenter une sorte de vernis de légitimité et de souveraineté, mais il faut la voir fondamentalement comme une orientation dictée par les États-Unis eux-mêmes et leurs alliés occidentaux. Du point de vue nord-américain, les arguments sont un peu plus complexes. D’un côté, l’administration démocrate se trouve dans l’obligation d’intervenir sur un territoire qu’elle considère en quelque sorte comme un “lac intérieur” et de protéger un allié géopolitique qui lui a été utile ces dernières années. Et en même temps, les États-Unis et ses alliés, comme le Canada, doivent aussi défendre les intérêts économiques réels de leurs entreprises, dans des secteurs tels que l’exploitation minière ou l’agriculture.

Les médias tout comme les gouvernements occidentaux ont évoqué le problème des “gangs armés” dans le pays. Comment pourrait-on comprendre ce phénomène de manière moins vague et moins biaisée par les intérêts ? Quels groupes ou États tirent les ficelles derrière ce qui est visible ?

Cette question des gangs armés, en Haïti, de ces groupes criminels très organisés et quasiment paramilitaires, est plus complexe que ce que nous disent les grands groupes de presse.

Ces groupes organisés existent depuis longtemps. Ce n’est pas un phénomène nouveau ni strictement haïtien. Il s’agissait néanmoins d’un phénomène de basse intensité qui s’est développé très rapidement au cours de ces dernières années, depuis 2018; il a coïncidé avec un cycle de mobilisations populaires massives contre le gouvernement de l’ancien président Jovenel Moïse et contre les politiques néolibérales “recommandées” par le FMI. C’est à ce moment-là que commence une infiltration de mercenaires, de nombreux nord-américains se trouvant parmi eux, équipés d’armes de gros calibre comme s’ils se préparaient à une guerre.

C’est dans ce contexte que ces petits gangs commencent à se renforcer, à trouver un financement, à accéder à des armes de gros calibre, puis ils se sont regroupés. C’est ainsi qu’est né le G9, l’une des «fédérations» les plus puissantes du pays, qui contrôle des quartiers très densément peuplés de la capitale; elle joue désormais un rôle qui n’est plus purement criminel, mais aussi clairement politique. Dans des communautés que j’ai pu visiter, on m’a expliqué que les actions et les massacres perpétrés par ces gangs armés visaient à empêcher les appels à manifester et à protester. Il existe des liens publiquement connus entre le crime organisé et le gouvernement; ils s’ajoutent à la relation internationale avec les États-Unis qui fait le lien avec le trafic d’armes opéré précisément depuis la Floride.

Le paramilitarisme n’est pas un phénomène nouveau dans la région. Il a été mis en œuvre dans des pays comme la Colombie ou des républiques d’Amérique centrale. Il se peut que l’élément le plus brutal et sinistre dans le cas d’Haïti soit que ce modèle d’insécurité planifiée, de gouvernance bestiale par le biais du paramilitarisme, ait été mis en place de façon beaucoup plus rapide.

Actuellement, quelle est la situation de l’opposition et des mouvements sociaux en Haïti ? Bien que le mécontentement et la mobilisation soient considérables, il semble qu’il manque une coordination qui permettrait de rassembler les forces.

L’opposition populaire et les mouvements sociaux sont généralement totalement absents des analyses délivrées par les médias hégémoniques lorsqu’ils relatent ce qui se passe dans le pays. Il existe un pacte tacite pour rendre invisibles les capacités politiques, associatives et mobilisatrices du peuple haïtien, afin d’en déduire, de façon plus ou moins linéaire et évidente, que la solution aux problèmes du pays pourrait venir de quelque intervention étrangère, soit militaire soit via des ONG ou des organisations internationales.

En Haïti, le mouvement social, évidemment, a été durement affecté par le paramilitarisme. Ce mouvement social avait repris des forces après la très longue occupation du pays par les troupes des Nations Unies ; un processus de recomposition sociale était en cours, un élan de remobilisation populaire et, surtout, un processus de construction d’une union entre les différentes organisations politiques, sociales, des secteurs religieux et même des entrepreneurs. Ainsi s’est créé le dénommé Forum Patriotique de Papaye qui, par la suite, a élargi son assise.

On a vu la création du dénommé Accord de Montana, auquel ont adhéré plus de 300 organisations haïtiennes qui couvrent un très large spectre. Leur revendication est la mise en place d’un gouvernement de transition capable de faire face aux défis les plus urgents et de procéder également à une réforme politique qui conduise, par exemple, à la tenue d’élections honnêtes et transparentes. Ces secteurs organisés continuent de travailler, et il est très clair que la population haïtienne cherche une solution souveraine à cette crise, solution qui exclut l’odieuse médiation des acteurs internationaux.

 

Résistance contre le coup de 2019 en Bolivie.

 

Veines ouvertes / Coup en Bolivie

 

En novembre 2019, l’OEA, les grands médias et l’extrême droite bolivienne ont conspiré, avec le soutien des États-Unis, pour organiser un coup d’État et renverser le gouvernement d’Evo Morales en Bolivie.

Grâce à un récit de “fraude électorale” qui s’avéra par la suite totalement faux, des forces fascistes reçurent l’appui de la police et de l’armée pour prendre le pouvoir. Un gouvernement autoproclamé dirigé par Jeanine Áñez fut installé; il déclencha une vague de répression contre les partisans d’Evo et de son parti, le MAS.

Toutefois, Añez et les extrémistes ne parvinrent pas à empêcher la victoire électorale du MAS un an plus tard.

 

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Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Sylvie Carrasco.

 

Source: Investig’Action

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