Le panorama politique actuel en Bolivie est extrêmement tendu. Cependant, et bien que les menaces externes n’aient pas manqué ces derniers temps, ce qui se déroule actuellement est une guerre interne au sein de l’État et du Mouvement vers le Socialisme (MAS), avec deux protagonistes de premier plan : le président Luis Arce et l’ancien président Evo Morales.
Evo Morales a été contraint de quitter le pays lors du coup d’État de 2019. Celui-ci avait été précédé d’une abjecte campagne menée par l’Organisation des États Américains (OEA) autour d’une supposée « fraude électorale » qui s’est avérée être totalement fausse. S’ensuivit une dictature autoproclamée, dirigée par Jeanine Áñez, courte mais sanglante marquée par le déchaînement de mouvements fascistes menés par Luis Fernando Camacho.
Cependant, et malheureusement pour les États-Unis, le régime d’extrême droite ne disposait pas d’appui assez solide pour pouvoir se maintenir au pouvoir, et ce, malgré son recours à une violence extrême. Des élections ont donc eu lieu, le MAS en est sorti vainqueur et il est revenu au pouvoir. Le candidat, soutenu par Evo et, de manière unanime, par le parti, était l’ancien ministre de l’Économie Luis Arce, sous la vice-présidence de David Choquehuanca.
L’histoire semblait reprendre son cours. Le mouvement avait permis, pour la première fois, à la majorité indigène de se sentir représentée et dirigeait à nouveau la destinée de la nation. La Bolivie retrouve la voie de la stabilité et de la croissance économique, elle renoue avec les initiatives d’intégration régionale. Quant à Áñez et Camacho, ils doivent répondre de leurs crimes devant la justice.
Mais, peu à peu, les tensions ont commencé à monter. Morales est revenu d’exil et une question s’est immédiatement posée: quel serait son avenir politique? Le fait qu’il puisse assumer un rôle quelconque dans le gouvernement d’Arce n’était pas recommandé: sa présence deviendrait inévitablement le centre des attentions.
Evo a lancé certaines initiatives d’intégration et de solidarité internationale mais ses intentions se sont très rapidement révélées : son projet était de se présenter à nouveau à la présidence en 2025, le problème étant que ni Arce ni son camp n’approuve cette éventualité.
Ce qui a commencé comme une guerre froide s’est transformé en un conflit ouvert. Les critiques de Morales envers le gouvernement et en réponse aux accusations de déstabilisation d’Arce se sont intensifiées. Rapidement, des accusations et des enquêtes pénales ont été lancées contre des membres de leurs familles respectives pour « narcotrafic”.
L’étape suivante a été l’expulsion d’Arce et de Choquehuanca du MAS, et l’existence d’une direction fermement pro-Evo. Le parti a tenu un congrès et nommé l’ex-président candidat pour les prochaines élections.
En réponse à cela, le Tribunal Suprême Électoral (TSE) bolivien a déclaré illégal ce congrès pro-Evo, tandis que le Tribunal Constitutionnel a annulé la réélection indéfinie pour rendre impossible une nouvelle candidature de Morales.
La tentative de coup d’État du 26 juin aurait pu offrir aux deux dirigeants l’occasion d’identifier le véritable ennemi : la droite fasciste soutenue par l’impérialisme. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit. Tandis qu’Arce renforçait sa position grâce à sa réponse déterminée, Morales et ses partisans ont répandu la (dangereuse) théorie selon laquelle tout cela avait été une mise en scène de la part du président.
Au cours des derniers mois, les tensions n’ont pas cessé de croître. Evo Morales a annoncé une marche de milliers de personnes vers La Paz, en bloquant des routes afin d’imposer ses exigences au gouvernement. La marche a été stoppée à El Alto où de violents affrontements ont eu lieu entre les deux camps. Finalement, elle est arrivée à La Paz avec un « ultimatum » de changement de ministres, qu’elle a ensuite retiré.
Presque en même temps, les partisans d’Arce, y compris la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), ont entamé une veille pour faire pression sur les législateurs « pro-Evo » afin qu’ils soutiennent une série de mesures proposées par le gouvernement. La mobilisation a été levée au bout de 10 jours et n’a connu qu’un succès partiel.
Le dernier chapitre en date a été la (ré)ouverture d’une enquête contre Evo Morales pour supposé abus sur mineur et trafic d’êtres humains. L’ex-président affirme qu’il s’agit d’un « mensonge de plus » et que l’affaire a déjà été examinée et classée en 2020.
Il reste moins d’un an avant les élections présidentielles et générales en Bolivie. Y aura-t-il une voix sensée ou un sens commun collectif pour freiner cette guerre fratricide ? Est-ce que le mouvement le plus transformateur de l’histoire récente de la Bolivie remettra le pays à la droite parce que les égos individuels auront pris le dessus ?
La montée de l’extrême droite à l’échelle mondiale est une réalité qui doit être analysée et affrontée avec tous les efforts collectifs possibles. Espérons qu’en Bolivie le MAS ne perde pas de vue l’horizon.
Traduit par Ines Mahjoubi. Relecture par Sylvie Carrasco.
Source: Investig’Action