«Je jure d'observer la Constitution…» Les élus progressistes oseront-ils encore prêter serment selon cette formule si la Constitution européenne est adoptée ? Pas sûr, si on examine la manière dont cette dernière bétonnerait l'Europe antisociale.
1. Vous voudriez travailler moins d'heures par semaine ou prendre votre prépension pour qu'on puisse engager un chômeur en contrepartie ? Minute. La Constitution européenne soumet les droits sociaux à la «création des conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie». De plus, elle prône «la flexibilité de la main-d'oeuvre et du marché du travail». Elle donne ainsi une base constitutionnelle à la politique antisociale menée par l'Union européenne depuis plus de 20 ans. Par exemple au projet de la Commission européenne d'autoriser la semaine de travail de… 65 heures.
2. Vous êtes un adversaire acharné de la directive Bolkestein, selon laquelle le secteur des services y compris la santé et l'enseignement serait soumis à la concurrence ? Pas si vite. La Constitution européenne donne une base constitutionnelle à cette directive. Elle stipule en effet que la liberté de circulation des services est une «valeur fondamentale» de l'Union européenne. Selon cette «valeur», des entreprises de services des pays à bas salaires pourraient travailler dans tous les pays aux conditions sociales de leur pays d'origine.
3. Vous trouvez qu'il faudrait fixer un salaire minimum pour tous les travailleurs de l'Union? Ou qu'il faudrait taxer les grosses fortunes? Doucement. La Constitution européenne exige l'unanimité des 25 Etats membres pour toute législation sociale et fiscale. Autant dire que vous pourrez attendre quelques siècles avant de faire adopter de telles mesures.
4. Vous trouvez qu'il faudrait améliorer les services publics pour que ceux-ci répondent mieux aux attentes de la population ? Oh là. La Constitution légalise le démantèlement des services publics au profit de grands groupes financiers et de leurs actionnaires. D'ailleurs, le terme «services publics» est banni de cette Constitution et remplacé par «services d'intérêt économique général». Les entreprises prestant ces services sont soumises aux règles de concurrence. Elles ne seront plus que des pompes à fric pour les multinationales.
5. Vous trouvez que l'Etat devrait débloquer un peu d'argent pour sauver les gares et bureaux de poste menacés de fermeture ? Attention. La Constitution européenne interdit définitivement à un Etat de fournir «des aides qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises». L'Etat, actionnaire de la Poste ou la SNCB, ne pourra pas injecter plus d'argent que ne donnerait pas un propriétaire privé guidé par le profit.
6. Vous trouvez qu'il faudrait reprendre les meilleurs droits sociaux et démocratiques garantis par les différentes Constitutions nationales, afin d'en faire profiter tous les citoyens de l'Union ? Du calme. La Constitution européenne, à l'inverse, représente une harmonisation vers le bas de ces droits. Elle place par exemple le droit au lock-out patronal à côté du droit de grève. Elle remplace le «droit à l'emploi» par «le droit de travailler et de chercher un emploi». Elle ne contient pas le droit à la pension, aux allocations de chômage, à un revenu minimum, au logement, à l'avortement…
7. Vous trouvez qu'il faut mettre des freins à l'ultralibéralisme ? Qu'il faut un certain contrôle public plutôt que tout le pouvoir au marché ? Stop. La Constitution européenne affirme que la politique économique est conduite «conformément au respect du principe d'une économie de marché où la concurrence est libre».
8. Vous trouvez que les citoyens devraient avoir plus leur mot à dire dans les décisions politiques ? On se réveille. La Constitution européenne ne change pas la situation actuelle, à savoir : la Commission et le Conseil des ministres, qui ne sont pas élus, gardent le pouvoir de faire des lois et de les appliquer. Le Parlement européen n'a rien à dire en matière monétaire, commerciale et de la concurrence. En guise de démocratie participative, la Constitution offre bien un droit de pétition. Mais si vous réunissez le million de signatures nécessaires, cela ne servira qu'à «inviter» la Commission à faire des propositions. Sachant que celles-ci devront respecter la Constitution. Et, pour couronner le tout, cette Constitution ne peut être remise en cause qu'à l'unanimité des 25 Etats membres.
9. Vous rêvez d'une Europe construisant une politique de paix et menant une politique plus indépendante des Etats-Unis ? Dans quel film ? La Constitution européenne accélère la militarisation de l'Union et lui permet de s'engager dans des opérations militaires offensives, même à des milliers de kilomètres de ses frontières. Et, précise la Constitution, elle «respectera les obligations découlant du Traité de l'Atlantique Nord (Otan) pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre du Traité de l'Atlantique Nord». En clair, l'Europe est soumise aux USA à travers l'Otan.
10. Vous trouvez que l'Europe devrait mener un commerce plus équitable avec les pays du tiers monde ? Ben voyons. La Constitution européenne exige l'application de ses principes libéraux au monde entier à travers l'Organisation mondiale du commerce et d'autres institutions internationales. En d'autres termes: vive le pillage du tiers monde.
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Les Belges, des demeurés?
Au moins huit pays de l'Union européenne organisent une consultation populaire sur la Constitution européenne. Pas la Belgique : socialistes et chrétiens-démocrates n'en veulent pas. D'après le président du PS, la question est trop compliquée pour la soumettre au peuple. Faut croire que les Belges sont des demeurés comparés à leurs voisins.
Puis, ajoute-t-il, le Vlaams Belang risquerait de transformer la consultation en un referendum pour ou contre l'adhésion de la Turquie. Avec cet argument, il ne faudrait plus organiser d'élections puisque le Vlaams Belang en profite à chaque fois pour diffuser son venin raciste.
Disons surtout qu'un large débat renforcerait l'opposition du monde syndical et même socialiste au soutien du PS à cette Constitution qui touchera de plein fouet les travailleurs.
9 mars 2005