Le tabou des victimes civiles dans le collimateur
Modifier les conventions internationales, à commencer par celles de Genève, et « redéfinir » le concept de « combattant pour la liberté » pour le rapprocher le plus possible de celui de « terroriste ». C’est avec ces objectifs, masqués par la conférence « Nouveaux champs de bataille, vieilles lois », que les chercheurs de l’International Institute for Counterterrorism (Ict) et de la Maxwell School of Citizenship and Public Affairs (Syracuse University), en juillet dernier, se sont réunis à l’Interdisciplinary College de Herziliya, à côté de Tel Aviv.
La rencontre avait été fixée à Chicago un an avant, par Boaz Ganor, directeur de l’Ict, et par Mitchel Wallerstein, président de la Maxwell School, pendant qu’Israël était engagé dans son offensive contre le Liban. C’était les jours où les civils libanais mourraient par dizaines dans les attaques israéliennes lancées officiellement contre le Hezbollah, et le gouvernement de Ehud Olmert était critiqué par les organismes humanitaires.
Ganor, à la tête de ce qui est considéré comme un lieu de culte de l’establishment politico-militaire israélien, et Wallerstein réfléchissaient sur la nécessité de réinventer les lois qui font une distinction nette entre militaires et civils, établissant pour ces derniers le droit à la protection pendant les conflits.
Ils s’interrogeaient sur comment conduire une « guerre moderne » contre des (présumés) terroristes dans des centres habités, sans se préoccuper des « dommages collatéraux », c’est-à-dire des civils tués. Israël invoque depuis longtemps de nouveaux accords pour rompre les liens posés par les conventions internationales, de façon à avoir les mains libres dans les Territoires occupés palestiniens. La récente décision du gouvernement Olmert de déclarer Gaza « entité ennemie » a été le signal évident de ce désir d’opérer sans devoir se préoccuper davantage de savoir s’il y a des civils avec les miliciens armés dans les zones d’intervention. Il a en cela le plein appui des Usa qui se sentent limités dans l’exécution des opérations « anti-terroristes » en Irak.
« Pendant les réunions et séminaires qui se sont tenus dans les mois suivants à Chicago – a précisé Ganor – nous avons discuté de la modification de la Convention de Genève et des Protocoles de La Haye qui ne sont plus adaptés au champ de bataille asymétrique que nous avons aujourd’hui devant nous ». Guerre asymétrique est la définition employée par les adeptes de la modification radicale des conventions internationales en vigueur, pour décrire les conflits entre Etats nationaux et les dits non–Etats, à savoir les « terroristes » (mouvements de libération, organisations de guérilla et autres).
« Les Conventions de Genève ne sont pas une vache sacrée et nous avons le droit moral de les réexaminer à la lumière des dangers et des menaces qu’affrontent nos pays (Israël et Usa) », a expliqué le directeur de l’Ict, allant au coeur du problème : au nom de la guerre au terrorisme on peut agir sans gêne, même contre des infrastructures civiles (eau, énergie électrique) à Gaza et en Cisjordanie, tout comme à Bagdad et dans le reste de l’Irak, sans déchaîner de condamnations internationales à chaque fois que des innocents sont touchés. «Il est important surtout –a précisé Ganor- d’établir la différence entre ceux qui font des attaques (dans une zone habitée, NDR) contre des forces armées ennemies et ceux qui frappent délibérément des civils ».
Ganor, en substance, veut légitimer les options militaires qui, dirigées contre des hommes armés, massacrent aussi des civils. Une tentative contestée par l’avocat de droit humanitaire Michael Sfard, consultant d’Amnesty International. « En guerre – a-t-il déclaré- il y a deux catégories d’êtres humains : des civils et des militaires, en créer d’autres n’amènerait qu’à des massacres de personnes innocentes ».
Edition de samedi 6 octobre 2007 de il manifesto
http://www.ilkmanifesto.it/Qotidiano-archivio/06-Ottobre-2007/art49.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio