« J’étudie le droit, et j’ai pas mal de problèmes… D’abord parce que je travaille au centre 5 jours par semaine, et ensuite par ce qu’on me fait constamment des problèmes au checkpoint : parfois, je ne peux pas aller présenter un examen, ou assister aux cours, parce que les soldats israéliens me confisquent ma carte d’identité et puis s’en vont (…) »
Et donc, Ribal, qui es-tu ?
Oh !… C’est difficile de répondre à ce genre de question… Je n’aime pas parler de moi, je préfèrerais vous parler d’Al-Rowwad, de la Palestine, de la situation. Mais je vais le faire, pour vous : je m’appelle Ribal, je viens d’avoir 19 ans, je suis en seconde à l’université Al-Quds, Jérusalem. J’étudie le droit… Je fais beaucoup de choses : je travaille dans le camp en tant que coordinateur des activités organisées par le centre Al-Rowwad, je suis également formateur, j’anime l’atelier théâtre et l’atelier de Dabka, la danse palestinienne traditionnelle.
Le centre Al-Rowwad a démarré en 1998, avec un petit groupe de théâtre dont l’objectif était de parler de la situation en Palestine et d’essayer de changer l’image que les gens pouvaient en avoir. Je faisais partie de ce groupe de départ, puis j’ai rejoint le groupe-danse et, petit à petit, nous avons développé d’autres activités à Al-Rowwad jusqu’à ce que ce centre devienne ce qu’il est aujourd’hui…
Je crois profondément que si on veut faire quelque chose pour les Palestiniens, si on veut changer la situation en Palestine, il faut commencer par créer des activités, qu’il y ait des activités organisées librement par et pour les Palestiniens, pour les enfants d’ici…
J’étudie le droit, et j’ai pas mal de problèmes… D’abord parce que je travaille au centre 5 jours par semaine, et ensuite par ce qu’on me fait constamment des problèmes au checkpoint : parfois, je ne peux pas aller présenter un examen, ou assister aux cours, parce que les soldats israéliens me confisquent ma carte d’identité et puis s’en vont, et je dois rester là, à attendre pendant 3 ou 4 heures qu’ils se décident à me la rendre. A d’autres moments, le checkpoint est tout simplement fermé, ce qui signifie que personne ne peut passer et aller à l’université ou ailleurs. Oui, ça me pose pas mal de problèmes au niveau de mes études… J’ai décidé d’étudier le droit pour plusieurs raisons. J’avais d’abord pensé étudier la politique mais je me suis dit qu’ensuite, je ne pourrais travailler que dans ce domaine. J’ai donc changé d’avis et je me suis tourné vers le droit pour pouvoir travailler sur la situation des Palestiniens et de la Palestine du point de vue juridique, du point de vue des lois internationales. Parce que nous avons besoin de ces lois internationales en Palestine : il n’y a, en effet, aucune loi ici qui soutienne ou défende les Palestiniens, qui dise aux Israéliens qu’ils ont tort, que ce pays appartient aux Palestiniens et non aux Israéliens… C’est pour cela que j’ai choisi d’étudier le droit. Et puis, j’ai envie de continuer à faire du théâtre, de la danse, et avec le droit, c’est possible : je peux décider d’en faire, de ne plus en faire, et donc, plus tard, je pourrai continuer à travailler au centre Al-Rowwad si je le souhaite…
Dis-moi : quelles sont les choses qui te rendent furieux ?
Ah… Ici, en Palestine : que des Israéliens tuent des Palestiniens, ou leur rendent la vie impossible. Ce qui s’est passé à Gaza il y a 2 mois, par exemple, ça nous a tous rendu furieux… Je suis furieux si je dois aller à l’université et que je découvre que les soldats ont décidé de ne pas ouvrir le checkpoint et qu’ils me disent : retourne dans ton camp !… Je ne veux pas parler que de moi, mais… Parfois, mon amie me dit que je ne suis pas agréable, et elle a raison, je râle. Mais c’est la situation qui me rend comme ça : il y a une telle discrimination ! On ne peut aller nulle part, impossible de sortir et d’aller voir sa copine, ni de faire quoique ce soit d’ailleurs… Chaque fois que vous voulez parler de vous, vous en arrivez à parler de la situation en Palestine. Je vous donne un autre exemple : là, je suis furieux parce que, hier, les passeports n’étaient toujours pas prêts, et ça, c’est uniquement parce que nous sommes palestiniens. Pour n’importe qui d’autre, ça prend 2-3 jours, maximum une semaine, pour obtenir un visa. Nous, ça nous prend 4 ou 5 semaines… Et ce système me fâche, pourquoi, c’est comme ça ?…
Pourquoi aviez vous besoin de passeports ?
Parce que notre troupe de théâtre part demain en Autriche pour y présenter notre projet… Je devais absolument les avoir hier, parce qu’aujourd’hui, c’est jour férié et le consulat autrichien à Tel Aviv est fermé. Et j’étais fâché parce qu’on en avait besoin… Pas pour sortir de Palestine et aller nous amuser ou visiter un endroit particulier, mais parce que notre groupe part en Autriche pour aller parler de notre situation, montrer ce qui se passe ici, en Palestine, au travers de notre pièce de théâtre…. Ce ne sont pas juste des vacances, on ne va pas là-bas pour rigoler, dormir, se lever et aller ici ou là… On y va pour parler de la situation des Palestiniens !
Vous avez souvent l’occasion d’aller à l’étranger ?
Bien sûr que non… Il y a bien trop de démarches à faire. Il faut savoir qu’on n’obtient pas les visas des Autrichiens : on doit d’abord aller à Tel Aviv avec nos passeports, et là les Israéliens vérifient tous les noms : vous, OK, vous pouvez avoir un visa. Vous, non, pas de visa… Les gens s’imaginent peut-être qu’on reçoit les visas de l’Autriche. C’est faux, on les reçoit d’Israël. C’est Israël qui donne ou non son feu vert, et ensuite seulement les Autrichiens vérifient les noms et tout… Les Autrichiens, en fait, ne savent rien de moi, ni de ce que je fais en Palestine. Qui leur donne toutes ces informations ? Israël, bien sûr. C’est pour cette raison que certaines personnes ne peuvent pas se rendre en Jordanie ou aux USA : simplement parce que Israël le leur refuse… Et ensuite, il y le checkpoint de Jéricho… Oui, il y a vraiment trop d’obstacles… Une fois qu’on a obtenu les visas, on doit encore passer par Jéricho où tout le cinéma recommence : on re-vérifie tous les passeports, les noms, les visas… C’est trop difficile…. C’est la même chose en Jordanie, on a des problèmes,et dans les autres pays arabes, même topo… Les Palestiniens sont contrôlés, re-contrôlés : « Où allez-vous ? »… « Vous allez faire quelque chose à l’étranger pour les Palestiniens ? »…
Il y a 3 ans, j’ai été arrêté à l’aéroport en Jordanie. On m’a demandé pourquoi j’allais en France, c’était en 2006. J’ai dit, pour aller danser. Ils m’ont regardé : « Pas pour aller jouer une pièce de théâtre sur la situation en Palestine ? »… Ils savaient tout sur moi, sur le centre Al-Rowwad et sur ce que nous allions faire en France !… La même chose est arrivée en 2008. J’étais allé en France, à Bordeaux. Quand je suis rentré, je me suis fait arrêté ici, à un checkpoint et ils m’ont dit : « Tu parles bien de la Nakba… » (*1948, la « catastrophe », du point de vue palestinien). Je leur ai répondu que j’avais été présenter un spectacle de danse et de théâtre. Ils m’ont dit, « Non, tu as parlé de la Nakba, à Bordeaux ». J’ai dit, oui, parce que, de toutes façons, ils savent tout de moi. Comment ? Je ne sais pas… Ils savent tout, ce que je ferai demain matin, qu’à 7h30 ou 8h, on partira d’Al-Rowwad pour aller à Jéricho… C’est ça, la situation en Palestine : nous sommes dans une grande prison… Avant de faire quoique ce soit, je dois savoir qu’Israël est au courant de chacun de mes faits et gestes…
Source :
Ce texte est disponible dans son intégralité sur taayoush.be
Le groupe Taayoush est constitué d'une dizaine de jeunes Belges qui se sont rendus en Palestine occupée en avril 2009 et 2011 afin de partager le quotidien de jeunes réfugiés palestiniens. La publication du livre La Belle Résistance et des récits de voyage 2009 et 2011 répond à la promesse de porter en Belgique la parole, le regard et l’existence de chacune des personnes rencontrées là-bas, par-delà le mur et les préjugés qui nourrissent la peur de l’autre, le rejet ou l’indifférence.