Avant la création d’Israël, il y avait des Palestiniens musulmans et chrétiens, ainsi qu’une minorité de Palestiniens juifs (d’ailleurs tout aussi méfiants à l’égard du projet sioniste que leurs autres compatriotes). Mais depuis 1948, les colons sionistes sont parvenus à créer un amalgame entre les termes « juif » et « sioniste ». Depuis, ils poursuivent inlassablement leur projet de nettoyage ethnique à l’encontre des Palestiniens non juifs. Car c’est de cela qu’il s’agit. Et si le monde réalisait qu’Israël tue et déplace des gens uniquement parce qu’ils ne sont pas juifs, toute la propagande israélienne s’effondrerait. (IGA)
Si Israël se voyait dépouillé de son récit particulièrement élaboré, il ne resterait plus que le remplacement violent d’une population indigène par une “tribu” juive importée.
C’est ce à quoi les partisans d’Israël doivent se confronter. Certes, des millions d’évangélistes de la fin des temps peuvent dire “Amen !” à ça, mais un jour les apparences s’évaporeront, révélant ce que signifie réellement le “droit à l’existence” revendiqué par Israël.
Ce qui fait obstacle à cette prise de conscience, c’est le vocabulaire – le contrôle des mots utilisés pour expliquer le soi-disant conflit israélo-palestinien, en particulier le mot “conflit” lui-même. La manipulation du vocabulaire est la clé de l’impunité d’Israël et de l’assurance de la complicité du public occidental pour ses crimes. La critique de ce langage est donc une évidence pour ceux qui luttent pour la justice.
Pourtant, la construction linguistique la plus élémentaire qui empêche le public de saisir pleinement la nature des crimes d’Israël a échappé à un examen approprié : le terme même de “Palestiniens” en tant que cible des crimes d’Israël. Oui, ils sont tous Palestiniens, bien sûr, mais bien que le fait d’être Palestinien soit depuis longtemps synonyme de ce qui les place dans la ligne de mire d’Israël, cette équation masque une vérité profonde : leur “crime” n’est pas d’être Palestiniens, mais de ne pas être juifs. Cacher ce fait est essentiel pour la propagande israélienne.
L’objectif du sionisme, à savoir la création d’un État “juif” dans l’ensemble de la Palestine historique, a toujours nécessité l’expulsion des populations autochtones, à l’exception des Juifs originaires de Palestine. Lorsque les premiers colonisateurs sionistes sont arrivés en Palestine, ils ont trouvé une population palestinienne composée d’une petite minorité de Juifs, le reste étant musulman, ou chrétien. Aux yeux de ces colons, le fait que ces derniers ne soient pas juifs constituait un obstacle à l’objectif de “pureté” ethnique du sionisme.
De plus, les Juifs palestiniens n’étaient pas des convertis volontaires, comme l’a montré l’éminent historien Ilan Pappé. Ils étaient aussi méfiants à l’égard du sionisme que leurs compatriotes musulmans et chrétiens. Au fil du temps, cependant, les sionistes ont réussi à les intégrer dans leur projet messianique. Pourtant, en novembre 1945, les Britanniques signalaient encore que les Juifs originaires des États du Levant appréhendaient le sionisme et se montraient solidaires de la population arabe locale.
Le rêve sioniste : une terre ethniquement “pure”
Le terme “palestinien” suggère une association géographique – des personnes dont l’héritage et l’identité culturelle proviennent de la Palestine historique, qu’elles soient nées dans le pays ou qu’elles appartiennent à la diaspora. Lorsqu’un public déjà endoctriné par le discours israélien entend qu’il y a des problèmes entre Israël et “les Palestiniens”, cela crée un sentiment erroné de marchandage territorial conventionnel, renforcé par le fantôme d’une Autorité “nationale” palestinienne.
Cette analyse trompeuse disparaît toutefois lorsque l’on remplace l’appellation “Palestiniens” par celle de “non-Juifs” ou “Palestiniens non-juifs”. Les Juifs palestiniens ne sont pas les seuls Juifs arabes que les sionistes ont intégrés dans leur projet colonial. Les sionistes ont travaillé dur, voire violemment, pour transplanter en Palestine des Juifs arabes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, ce qui a profité au sionisme au-delà de ce qu’ils pouvaient apporter à Israël en tant que colons. Pendant la période du mandat britannique, les Juifs sionisés du Moyen-Orient (par exemple, les juifs yéménites) ont été particulièrement efficaces dans les campagnes de terreur des sionistes, du fait même qu’ils se fondaient dans les populations indigènes et pouvaient donc opérer partout, sans éveiller les soupçons.
Une fois que le mouvement sioniste a réussi à créer son soi-disant “État juif” en 1948, l’identité palestinienne elle-même est devenue un handicap, une preuve accablante à effacer. Aujourd’hui, la déshumanisation dont l’Occident fait preuve envers les Palestiniens au profit d’Israël est telle que la réponse du Congrès américain aux massacres d’Israël (comme lors de l’opération “Bordure protectrice” de 2014) consiste à augmenter le financement d’Israël.
Si on veut éveiller le public occidental au lent génocide des Palestiniens, il faut lui exposer les rouages du mécanisme qui a permis de l’en rendre complice par son soutien docile.
Israël se présente comme “l’État juif” afin d’appuyer ses prétentions messianiques et sa mainmise sur l’identité juive – en fait, pour parvenir à faire passer les propos contre l’État pour des propos contre les Juifs. Comme l’a dit Ben-Gourion lui-même lors d’une réunion organisée en 1941 pour planifier la prise de contrôle de la Palestine par les sionistes, il s’agit d'”être un juif”.
C’est pour faire de la Palestine historique le foyer de cette “race” juive – une “nationalité” mondiale définie par la filiation par le sang, dont Israël est seul à dicter les paramètres, et pour laquelle les mariages mixtes entre Juifs et non-Juifs sont interdits – qu’Israël a condamné des millions d’êtres humains à divers niveaux d’apartheid, confinés dans des bantoustans et des camps de réfugiés.
C’est pour cela que cet État tue si facilement, que les milices sionistes ont dépeuplé quelque 500 villages en 1948 et que des millions de personnes se désespèrent aujourd’hui dans des camps. S’ils avaient été juifs – qu’ils soient Palestiniens, Arabes ou autres -, ils auraient reçu une maison dont le propriétaire aurait fait l’objet d’un nettoyage ethnique parce qu’il n’était pas juif.
« Tués parce que non-juifs », les mots qui changent tout
Ainsi, l’identification précise des victimes du sionisme met en évidence non seulement le fascisme racial d’Israël à l’égard des Palestiniens, mais aussi son fascisme racial en tant que crime profond contre les Juifs, détournant l’identité juive pour servir son culte de la suprématie ethnique.
À mon avis, rien de ce qui se passe entre le Jourdain et la mer Méditerranée, ou dans les camps d’internement (“camps de réfugiés”) qui parsèment la région, ne peut être compris si l’on ne met pas cette question à l’avant-plan. L’État israélien exploitera le terme “juif” – par exemple, en contraignant les médias à qualifier les colonies d’apartheid de Cisjordanie de “districts juifs” afin d’instiller l’idée que si l’on s’oppose à ces derniers, c’est parce qu’ils sont juifs. Mais le public est délibérément laissé dans l’ignorance quant au fait que les véritables habitants dudit “district” sont ces enfants qui jettent des pierres et qui sont expulsés de force parce qu’ils ne sont pas juifs.
Si le public n’était pas maintenu dans l’ignorance, l’effet serait rapide et profond. Imaginez un reportage sur la Grande marche du retour d’il y a quelques années, lorsque les habitants de Gaza ont produit une démonstration purement symbolique du retour dans leurs propres maisons légales dont ils avaient été ethniquement nettoyés. On pourrait lire quelque chose comme : « Les personnes qui tentent de rentrer chez elles continuent d’être abattues par des snipers israéliens parce qu’elles ne sont pas juives. »
Ou encore, lorsque l’armée israélienne fait irruption dans un camp de réfugiés à 3 heures du matin et abat un jeune de 15 ans, nous pourrions avoir une description précise comme celle-ci : « Des soldats israéliens sont entrés dans le camp d’al-Arroub, l’un des camps d’internement dans lesquels Israël enferme les non-Juifs, et ont exécuté un adolescent qui les avait défiés. »
Ou sur les bantoustans et le contrôle des déplacements : « Ce matin, une mère de trois enfants a perdu sa bataille contre le cancer, après qu’Israël l’eut empêchée à plusieurs reprises d’accéder à des soins médicaux, parce qu’elle n’était pas juive. »
Ou encore sur le nettoyage ethnique habituel : « Les forces israéliennes ont poursuivi leur chasse aux derniers non-Juifs dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est occupée, forçant aujourd’hui deux de ces familles à quitter leurs maisons pour les remplacer par des Juifs. »
Il n’y a là aucune tendance à l’interprétation dans la façon de rapporter ces faits. Il s’agit juste de résumés directs et factuels de ce qui se passe et des raisons qui sous-tendent ces faits.
Si les médias rendaient compte de la situation en Palestine avec une telle précision, l’ensemble du projet sioniste échouerait rapidement. Ils ne le feront pas – pas en premier lieu, pas tant que nous ne serons pas assez nombreux à le faire.
Thomas Suarez est un chercheur en Histoire basé à Londres. Il a notamment publié « Comment le terrorisme a créé Israël » aux éditions Investig’Action.
Source: The Electronic Intifada
Traduit de l’anglais par CV pour Investig’Action