La Serbie est le théâtre d'un vaste mouvement de protestations dont le terreau est légitime, particulièrement pour la jeunesse. Mais la Serbie a aussi été le laboratoire des révolutions colorées et garde encore un réseau très actif d'acteurs inféodés au soft power étasunien. Y a-t-il un risque de voir les revendications populaires détournées pour servir un agenda dont les objectifs ne sont pas démocratiques? (I'A)
Dans le camp euro-atlantiste aux abois et déstabilisé par l’élection de Donald Trump, l’espoir semble s’estomper de voir le régime de Kiev gagner la guerre ouverte engagée depuis 2014 par Ukrainiens interposés face à la Russie. Mais, en parallèle, les pressions multiformes et tous azimuts n’ont jamais cessé et se sont intensifiées notamment en Géorgie, en Moldavie, en Roumanie, en Slovaquie et en Serbie où toutes les opportunités de déstabilisation de gouvernement “hors doctrine occidentale” ont été et sont exploitées.
La Serbie est une cible naturelle, car elle est candidate à l’Union européenne, réfractaire à l’OTAN et qu’elle refuse d’imposer des sanctions à la Russie, son premier crime. Son gouvernement a pourtant condamné l’intervention de la Russie en Ukraine en cohérence avec ce qu’elle considère comme le vol de sa province du Kosovo. Les États-Unis ont d’ailleurs mis récemment sous sanctions financières l’entreprise pétrolière serbe NIS, vitale pour le pays, dont Gazprom Neft est actionnaire majoritaire depuis 2008 (1).
Son deuxième crime, dont l’origine est antérieure au 24 février 2022, est de maintenir son refus face aux fortes pressions occidentales visant à obtenir la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, cette province du sud de la Serbie occupée par l’OTAN (KFOR) sous mandat onusien qui a déclaré son indépendance le 17 février 2008. Il faut rappeler que cette opposition est partagée par une majorité d’États membres de l’ONU dont 5 pays de l’UE, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie, la Slovaquie et Chypre. La population serbe est très largement hostile à l’OTAN qui avait copieusement bombardé la Serbie, Kosovo compris, lors de son agression non validée par l’ONU en 1999. D’autre part, le sentiment populaire en Serbie, largement perceptible, est marqué par un profond respect et pour certains, un sentiment de fraternité avec la Russie et sa population.
Le gouvernement serbe accuse des acteurs étrangers d’alimenter la révolte. L’argument est balayé par l’opposition et les manifestants, ce qui est de bonne guerre. Pourtant, quelques faits laissent entendre que les troubles qui ont éclaté en Serbie tout particulièrement depuis le printemps 2023 ne viennent pas de nulle part et que ce mouvement n’est pas aussi spontané qu’on veut le laisser croire.
En 1998 la Serbie avait vu naître le mouvement Otpor, créé avec le soutien de l’organisation américaine National Endowment for Democracy (NED) ainsi que la Fondation Soros et USAID qui ont joué un rôle moteur dans le renversement de Slobodan Milosevic (2). Srdja Popovic, leader du mouvement Otpor, se lance à la conquête du monde en créant une autre organisation CANVAS (Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies) qui propose son savoir-faire dans une cinquantaine de pays, dont la Géorgie (pour Kmara), la Biélorussie (pour Zubr), l’Ukraine (pour Pora), la Russie, l’Iran, le Zimbabwe, le Vietnam ou encore le Venezuela contre les gouvernements Chavez puis Maduro. En janvier et février 2011, on voit dans les rues du Caire le symbole de Otpor brandi par des étudiants égyptiens (3).
L’organisation Otpor déclare qu’il n’existe pas de révolution spontanée réussie et que tout se joue dans la planification et les tactiques employées. Sa méthode se décline en quatre phases : analyse de la situation, conception de l’opération, l’exécution, et enfin les aspects techniques tels que la logistique et la communication. Belgrade dispose donc bel et bien d’un noyau expérimenté doté de moyens financiers pour mener des actions offensives de déstabilisation gouvernementales (4).
Jusqu’à l’arrivée de Donald Trump aux affaires, le dispositif était soutenu par le réseau des médias d’opposition. United Media qui dispose en Serbie d’un portefeuille étendu et diversifié comprenant des télévisions, des portails en ligne, dont notamment la plateforme d’opposition NOVA S, des éditions imprimées, des agences de publicité et un réseau de distribution. Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) officiellement financée par le Congrès des États-Unis et la CIA est également active en parallèle avec l’incontournable réseau de l’Open Society de Georges Soros.
Le levier principal repose sur l’exaspération palpable d’une partie croissante de la population et de la jeunesse face à la corruption systémique bien présente dans le champ économique et social qui est au cœur des principales attaques des mouvements d’opposition au gouvernement du président Vucic. Parmi les principaux déclencheurs qui ont mené aux protestations de masse, il y a eu les fusillades dans des écoles de Belgrade (3 mai 2023) et Mladenovac (4 mai 2023), l’opposition au projet de forage par la méga-société Rio Tinto d’une mine de Lithium dans la vallée du Jadar puis, plus récemment, l’effondrement de la toiture de la gare de Novi Sad avec ses 17 victimes, dont 15 morts.
Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire d’être un fin géostratège pour voir deux agendas non convergents entre des aspirations qu’on peut qualifier de légitimes – principalement de la jeunesse serbe – et les objectifs cachés de déstabilisation voire de renversement du gouvernement serbe, quitte à créer une situation suffisamment chaotique pour faire perdre à la Fédération de Russie un partenaire “non hostile” dans les Balkans.
Faut-il voir la marque d’un agenda euro-atlantiste derrière le radicalisme et le jusqu’au-boutisme des dirigeants du mouvement de contestation qui s’opposent à tout compromis ou solution démocratiques proposés par le gouvernement ? On notera que le président Aleksandar Vucic, qualifié par les médias occidentaux de dirigeant autoritaire, voire dictatorial, a cédé devant plusieurs revendications des protestataires, a remanié son gouvernement, propose même un référendum et de nouvelles élections que l’opposition rejette, car elle redoute que cette consultation se transforme en plébiscite, dénonçant par avance un mécanisme démocratique truqué. La revendication de destitution du gouvernement actuel au profit d’un gouvernement de transition ou “gouvernement d’experts” selon les revendications exprimées par certains leaders de cette révolution colorée en construction lui donne des aspects inquiétants de préparation d’un coup d’État, ce qui n’a pas échappé aux débats dans les médias en Serbie (5).
Source: Investig’Action
Notes:
- Euronews 14/12/2024 : “Washington va sanctionner la principale compagnie pétrolière de Serbie” https://fr.euronews.com/my-europe/2024/12/14/washington-va-sanctionner-la-principale-compagnie-petroliere-de-serbie
- Monde diplomatique – janvier 2005 : Dans l’ombre des « révolutions spontanées » https://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/GENTE/11838
- Monde diplomatique décembre 2019 Changements de régime clés en main https://www.monde-diplomatique.fr/2019/12/OTASEVIC/61096
- Code Chavez, CIA contre Venezuela, Eva Golinger, édition Oser dire, 2006 Préface de Michel Collon p. 20, 27-32.
- NOVOSTI – 2.02.2025 » Derrière tout ça il y a Soros ! » C’est une révolution colorée, il peut y avoir une intervention étrangère et des victimes pour renverser Vučić. https://www.novosti.rs/vesti/politika/1456333/iza-svega-stoji-soros-antic-upozorio-ovo-obojena-revolucija-moze-doci-strane-intervencije-zrtava-kako-srusili-vucica
Pingback: