Ingénieur statisticien économiste de formation, Hubert Kamgang a dirigé le Département des Statistiques et de l’Informatique de l’Union douanière des Etats d’Afrique centrale (UDEAC) à Bangui. Il est aujourd’hui président de l’Union des Populations africaines, un parti politique de l’opposition au Cameroun.
Olivier Ndenkop : Début avril 2016, les ministres des Finances de la Zone franc, les gouverneurs des Banques centrales, les présidents de la CEMAC et de l’UEMOA, le ministre français des Finances et le représentant du FMI se sont réunis à Yaoundé au Cameroun. Que peut-on retenir de cette rencontre ?
En octobre 2015, répondant au chef de l’État tchadien, Idriss Déby Itno, qui avait auparavant critiqué les règles de la zone franc, Michel Sapin, ministre français des finances, avait déclaré que « la zone franc n’est pas figée. C’est une zone qui est dynamique. Et s’il y a de la part des uns ou des autres, au niveau académique ou au niveau politique, des propositions d’évolution, eh bien nous en discuterons tous ensemble, avec cet esprit de respect et d’égalité. » Bien des gens attendaient donc que la réunion des ministres des finances et des gouverneurs de Banque centrale qui s’est tenue les 08 et 09 avril 2016 à Yaoundé enregistre « au niveau politique des propositions d’évolution ». Manifestement, il n’en a rien été. Finalement, c’est vous de la presse qui avez, au cours de la conférence de presse de clôture, posé des questions sur ce sujet. Personnellement, je n’ai rien retenu, sinon que le statu quo a été maintenu, et que les populations africaines de la zone franc vont continuer de subir la répression monétaire dénoncée au niveau académique par Joseph Tchundjang Pouémi dans son livre Monnaie, Servitude et Liberté – La répression monétaire de l’Afrique (Éditions Jeune Afrique, Paris, 1980).
Plusieurs analystes et autres leaders d’opinion avaient annoncé un débat de fond sur l’avenir du franc CFA au cours de la Réunion de Yaoundé. Il n’en a rien été. Comment comprendre que ces derniers ne se soient pas mobilisés pour exiger que l’avenir du franc CFA soit inscrit à l’ordre du jour?
Posez cette question à ceux que vous dites avoir annoncé leur intention de se mobiliser « pour exiger que l’avenir du franc CFA soit inscrit à l’ordre du jour », selon vos propres termes. Quant à nous, notre parti, l’Union des Populations Africaines (UPA – Parti de l’avant-garde panafricaniste), demande au peuple camerounais de lui donner le pouvoir afin qu’il solde le compte du colonialisme en sortant le Cameroun de la zone franc.
3- Michel Sapin, le ministre français des Finances est-il sincère lorsqu’il déclare au terme de la Réunion de Yaoundé le 9 avril 2016 que « La France ne décide pas de l’avenir du FCFA » ?
Cette réponse du ministre français est révélatrice d’un certain agacement face aux accusations de néocolonialisme dont son pays fait l’objet à propos justement de cette affaire. Il appartient aux pays africains concernés de décider de l’avenir du franc CFA ! L’article 25 de l’accord de coopération en matière économique, monétaire et financière du 13 novembre 1960 à Yaoundé entre la France et le Cameroun stipule en effet que « La qualité d’État indépendant et souverain acquise par le Cameroun lui confère le droit de créer une monnaie nationale et un institut d’émission qui lui soit propre. » La Mauritanie et Madagascar, pour ne citer que ces deux exemples, sont bien sortis de la zone franc, et le ciel ne leur est pas tombé dessus.
Pourquoi les États africains ne puisent-ils pas dans leurs réserves de devises (14 milliards d’euros en 2015) logés dans le Trésor français via le Compte d’opérations pour limiter les conséquences de la chute des prix des matières premières qui grève actuellement les budgets?
Posez ces deux questions à ceux qui sont aux affaires ! Nous n’aurons pas d’état d’âme quand nous serons au pouvoir.
Comment la monnaie peut-elle permettre à un pays souverain de faire face à la chute des cours des produits d’exportation comme c’est le cas actuellement ?
Les cours des matières premières, déterminés par la loi de l’offre et de la demande mondiales, sont en général fixés en dollars américains. Ce qui veut dire qu’ils ne sont pas corrélés au taux de change de la monnaie du pays producteur. Si les pays producteurs sont organisés en cartels, ils peuvent s’entendre pour offrir sur le marché les quantités qui correspondent au prix qu’ils désirent. En revanche, les produits manufacturés sont susceptibles d’être compétitifs avec une monnaie souveraine gérée avec doigté. Voilà pourquoi il faut s’industrialiser, mais là c’est une autre paire de manches. L’industrialisation n’est envisageable en Afrique que dans les conditions dégagées par Cheikh Anta Diop, auteur de Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire (Présence Africaine, Paris).
Vous êtes partisan d’un abandon pur et simple du franc CFA. Cette logique n’est-elle pas suicidaire pour les économies peu compétitives et extraverties des pays de la Zone franc?
L’article 26 de la constitution du Cameroun fait du régime de l’émission de la monnaie un domaine de la loi. Je ne vois pas en quoi appliquer la constitution serait suicidaire.
Que pensez-vous des autres solutions alternatives comme : l’arrimage du CFA à un panier de devises ou la « Monnaie binaire » de l’économiste et statisticien camerounais Dieudonné Essomba?
L’arrimage du franc CFA à un panier de devises ne constitue en rien une alternative, aussi longtemps que la France aura le droit de veto dans la définition de la politique monétaire. Quant à Dieudonné Essomba qui est un de mes amis, il est partisan d’une monnaie souveraine « binarisée », c’est-à-dire en deux versions, l’une convertible, l’autre non convertible. Il ne défend plus le CFA binaire. Tout ceci étant dit, la solution définitive se trouve dans la mise en œuvre du panafricanisme. Il n’y a pas d’alternative ! Et nous avons créé l’Union des Populations Africaines (UPA – Parti de l’avant-garde panafricaniste) pour conquérir le pouvoir afin d’utiliser les moyens de l’État à cet effet. Le titre de notre ouvrage (Hubert Kamgang, Le Cameroun au XXIe siècle – Quitter la Cemac, puis œuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États-Unis d’Afrique, Éditions Renaissance Africaine, Yaoundé, 2000) résume la vision de l’UPA. Nous lançons un vibrant appel à la jeunesse, afin qu’elle s’empare de l’UPA qui a la seule vision valable du Cameroun et de l’Afrique. Les jeunes doivent s’engager dans l’action en faveur de leur avenir en adhérant sans plus tarder à ce parti qui a pour objectifs :
- La libération immédiate du Cameroun du néocolonialisme, c’est-à-dire le parachèvement de l’indépendance se traduisant par la création d’une monnaie camerounaise propre, préalable à notre indépendance économique ;
- La création des États-Unis d’Afrique plus tard, afin que les Africains ne soient plus humiliés, exploités, massacrés comme ils le sont depuis cinq siècles.
L’heure des bâtisseurs d’une grande Nation africaine a sonné, et la jeunesse est interpellée. Le néo-panafricanisme doit servir de bannière à la jeunesse camerounaise et africaine, qui ne doit pas se laisser paralyser par la gestion du quotidien, par les difficultés du moment.
Source : Le Journal de l’Afrique, Investig’Action