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Le Rwanda va-t-il annexer Goma ?

Goma est tombée aux mains du groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda. Alors que le gouvernement congolais parle d'une "déclaration de guerre", l'Occident reste presque immobile. Une action sera-t-elle entreprise pour arrêter l'annexion ?

Le 27 janvier 2025, le groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, a pris le contrôle de la ville de Goma, à l’est de la République démocratique du Congo. Goma compte 1,5 million d’habitants et est entourée de centaines de milliers de déplacés.

C’est une nouvelle flambée dans une guerre oubliée qui, depuis 1996, a coûté la vie à pas moins de six millions de personnes. Nous parlons donc ici du conflit le plus meurtrier des dernières décennies.

Une guerre oubliée


Le M23 est une armée rebelle qui prétend défendre les droits de la communauté tutsi congolaise, « un éternel prétexte à la guerre. Kigali et les rebelles invoquent leur sort à chaque poussée de fièvre régionale » écrivait Colette Braeckman il y a près de vingt ans.

Les tensions ethniques dans la région ont des racines profondes, remontant au génocide rwandais de 1994, dont les causes profondes remontent à la colonisation belge. Après ce génocide, des milices hutues (responsables du génocide) ont traversé la frontière pour entrer au Congo, ce qui a entraîné des conflits persistants entre Tutsis et Hutus dans la région.

Mais ce sont surtout des motivations économiques qui jouent un rôle important dans l’agression du M23. L’est du Congo est en effet extrêmement riche en ressources telles que l’or, l’étain et le coltan.

Ces richesses sont utilisées par l’armée rebelle comme source de revenus en contrôlant les mines, en taxant le commerce et en exportant illégalement des minéraux vers des pays voisins comme le Rwanda. Cela leur procure des ressources financières considérables chaque mois.

Le rôle du Rwanda ne doit pas être sous-estimé. Le M23 a des liens étroits avec le gouvernement rwandais, qui, selon des rapports de l’ONU, soutient le groupe pour maintenir son influence et accéder aux ressources précieuses du Congo.

Le Rwanda utilise ce mouvement comme un moyen de contrôle stratégique sur la région. Selon l’ONU, le Rwanda a envoyé des milliers de soldats au-delà de la frontière, y compris des missiles sol-air, des tireurs d’élite, des véhicules blindés et des unités spéciales.

Le fait que le M23 puisse opérer aussi facilement s’explique par la faiblesse du gouvernement congolais. L’est du pays est depuis des années marqué par une mauvaise gouvernance, la corruption et une présence limitée du gouvernement central. Dans ce vide, le M23 peut prospérer.

Panique

La prise de la ville par le M23 a provoqué une panique massive parmi les habitants. Goma est un centre médical pour la région. En raison des hostilités, la prestation de soins médicaux est presque à l’arrêt, ce qui menace de provoquer une catastrophe humanitaire.

De plus, les préoccupations concernant le risque de guerre régionale augmentent. Le président congolais considère la prise de Goma comme une “déclaration de guerre”. Et ce n’est pas exagéré.

Le groupe rebelle M23 fait partie de l’Alliance de la rivière Congo, une coalition de groupes rebelles et de partis politiques dirigée par Corneille Nangaa. Cette alliance vise à renverser le gouvernement congolais. La chute de Goma est peut-être, tout comme la chute d’Alep en Syrie, le début de la prise de pouvoir dans tout le pays.

Quoi qu’il en soit, lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU le dimanche 26 janvier, le secrétaire général António Guterres a appelé au retrait immédiat des rebelles et a souligné la nécessité d’une coopération internationale pour désamorcer le conflit.

Intérêts occidentaux

Un récent rapport des Nations Unies indique que le Rwanda cherche à occuper la région autour de Goma « à long terme », un euphémisme pour parler d’annexion. Compte tenu de ce rapport, les signaux d’alarme devraient être au rouge dans les capitales occidentales. Mais ce n’est pas le cas. Il y a bien des condamnations, mais aucune sanction n’est prise ou annoncée.

C’est pourtant ce qu’il faudrait faire. L’Occident peut facilement rappeler le Rwanda et le M23 à l’ordre. Le gouvernement rwandais dépend fortement de l’aide étrangère. Au moins un tiers du budget de l’État provient de l’aide des donateurs, et le pays dépend également d’une réputation positive pour attirer les touristes et les investisseurs.

En 2012, le M23 avait déjà occupé Goma, mais sous la pression occidentale, l’armée rebelle s’était retirée au bout de dix jours. Il est très incertain que cela se reproduise aujourd’hui, compte tenu des enjeux importants en jeu.

Tout d’abord, il y a le facteur du coltan. C’est une ressource essentielle pour, entre autres, les smartphones, les ordinateurs portables, l’aérospatial et les systèmes GPS. Entre 60 et 80 % des réserves mondiales de coltan se trouvent dans l’est du Congo.

En 2023, le Rwanda a exporté 2 070 tonnes de coltan, ce qui en fait le plus grand exportateur mondial. Parmi les principaux clients figurent la Chine, les États-Unis et plusieurs pays européens. La Chine possède une avance technologique dans le raffinage du coltan et a également constitué d’importantes réserves.

L’Occident ne veut pas mettre en péril l’importation de ce minéral indispensable et, par conséquent, ne voudra pas trop contrarier le président Kagame du Rwanda.

Pour l’Europe, une autre raison s’ajoute : Kagame est également utile à ses intérêts sur le continent africain. Par exemple, l’Union européenne a versé 40 millions d’euros à l’armée rwandaise pour une mission au Mozambique. La France insiste pour que les troupes rwandaises restent dans le nord du Mozambique afin de protéger les installations gazières offshore de TotalEnergies contre les rebelles islamistes.

En outre, l’UE et ses États membres investissent plus de 900 millions de dollars au Rwanda via le programme Global Gateway.

Sous le précédent gouvernement conservateur, le Royaume-Uni envisageait d’envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda pour décourager l’immigration illégale.

Pour les États-Unis, le Rwanda joue un rôle de contrepoids face à l’influence croissante de la Chine et de la Russie en Afrique, notamment parce que le pays semble privilégier la coopération avec les nations occidentales. À une époque où la Chine et la Russie étendent leur influence en Afrique, Washington utilise son partenariat avec Kigali pour renforcer la présence des États-Unis dans la région.

En un sens, le Rwanda joue en Afrique le rôle qu’Israël joue au Moyen-Orient. Il est donc peu probable que l’Occident utilise son influence pour rappeler à l’ordre le Rwanda et le M23, comme cela s’était produit en 2012.

Comme l’écrit Jason Stearns dans le Financial Times : « Les intérêts nationaux, la migration et les investissements commerciaux pèsent plus lourd que les questions humanitaires. (…) Pas étonnant que la Russie devienne de plus en plus populaire parmi les Congolais. »


Source : De wereld morgen

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