Pascal Lottaz est un universitaire suisse spécialisé dans l’étude de la neutralité en relations internationales. Il s'est entretenu avec Michel Collon sur la "vérité" diffusée par les médias occidentaux qui s'effrite sous la pression de chercheurs indépendants, de documents divulgués et de la réalité vécue.
Pendant des décennies, l’Occident a contrôlé le récit. Les guerres étaient déguisées dans le langage de la liberté, les invasions vendues comme des missions humanitaires, le public recevait de nobles mensonges habillés de patriotisme et d’un emballage médiatique sophistiqué. Mais cette ère touche à sa fin. Alors que des fissures s’ouvrent dans le paysage médiatique occidental, les élites paniquent, non pas parce qu’elles ont perdu leurs bombes, mais parce qu’elles perdent le contrôle du récit. Et sans le récit, l’empire s’effondre.
Dans une conversation avec le journaliste belge et écrivain pacifiste Michel Collon pour Neutrality Studies, nous avons analysé les nombreux mensonges médiatiques que l’Occident a inlassablement cultivés au cours des dernières décennies. La vraie bataille n’est pas à Gaza, ni dans le Donbass, ni en mer de Chine méridionale ; elle est dans votre tête. C’est la lutte pour décider qui définit la vérité, la victimisation et la violence. La bonne nouvelle, c’est qu’en ce moment même, les anciens narrateurs perdent le contrôle.
Les cinq mensonges qui vendent toute guerre
C’est un manuel tellement éculé qu’il devrait insulter quiconque y prête attention.
Étape 1 : Cacher les véritables motifs, que ce soit le gaz naturel, le pétrole, les minéraux ou la terre des Palestiniens. Dites qu’il s’agit de sauver des femmes ou de combattre le terrorisme, et le tour est joué.
Étape 2 : Effacer et réécrire le passé. Oubliez les frontières coloniales, les coups d’État de la CIA ou les décennies de sanctions qui ont détruit un pays. Et surtout, assurez-vous de souligner que le monde a commencé le 7 octobre, et pas un jour plus tôt.
Étape 3 : Diaboliser la cible. Qu’il s’agisse de Saddam, Kadhafi, Assad ou Poutine, peignez-les en fous, démons, voire en Hitler réincarné. Si quelqu’un ose vous contredire, traitez-le de sympathisant nazi moderne. Tout ira bien.
Étape 4 : Renverser les rôles et se poser en victime ; déplacez la menace vers le camp enseveli sous les décombres. Affirmez que chaque crime que vous commettez est la conséquence des actes de votre victime. Déclarez que ne pas vous armer équivaut à commettre un génocide.
Et enfin, cerise sur le gâteau : monopoliser le micro. Réduisez au silence les dissidents et bloquez les points de vue alternatifs. Si quelqu’un remet en question la guerre, traitez-le de complice ou de complotiste.
C’est un manuel vieux comme le monde. La tragédie de cette génération, c’est qu’on nous a élevés en pensant que nous avions laissé tout cela derrière nous. Que nous étions désormais objectifs, que nous avions désormais accès à l’information, que nous étions désormais assez éduqués pour reconnaître les divers pièges des empires maléfiques. Eh bien, devinez quoi ? L’Europe et l’Amérique du Nord. Ils vous ont encore eus.
Les gens perçoivent les fissures, très lentement. Des histoires inventées de bébés décapités aux fausses attaques chimiques et aux tireurs embusqués lors de manifestations, la « vérité » diffusée par les médias occidentaux s’effrite sous la pression de chercheurs indépendants, de documents divulgués et de la réalité vécue. Pourtant, le grand public avance avec lenteur, paresse, et n’a certainement pas envie d’affronter une autre vérité qui dérange : nous sommes tous complices de crimes de guerre. Une fois de plus.
Quand la gauche devient le Ministère de la guerre
Surtout, le silence du prétendu Occident « progressiste » est terrifiant. Autrefois, des millions de personnes manifestaient contre la guerre. Aujourd’hui, le mouvement anti-guerre a été pratiquement anéanti, ou pire, coopté, surtout concernant la guerre russo-ukrainienne et la frénésie de réarmement en Europe. Des partis qui défendaient jadis la paix soutiennent désormais les budgets militaires et l’exportation d’armes, tant que les bombes flottent sous un drapeau « libéral ». Le problème n’est pas seulement la droite. C’est la gauche intellectuelle qui s’est pliée à la machine de guerre, répétant les discours impérialistes au nom de la démocratie.
Et les dissidents ? Écrasés. Julian Assange a pourri en prison pendant 10 ans pour avoir exposé les crimes de guerre américains via WikiLeaks ; Edward Snowden est en exil pour avoir révélé la surveillance de masse illégale de l’Agence de sécurité nationale (NSA). De nouvelles voix sont réduites au silence, comme celle du média Red, dont le fondateur est à présent sous sanctions de l’UE. L’objectif est clair : éradiquer le mouvement contre la guerre avant qu’il ne puisse renaître.
Ce n’est qu’en dehors de la bulle médiatique occidentale qu’existe une opposition publique suffisante contre ces farces. En Amérique latine, en Afrique et dans une grande partie de l’Asie, les gens ne font plus confiance à la « communauté internationale » qui n’apparaît qu’avec des sanctions ou des soldats. Ils connaissent le schéma. Ils l’ont vécu. Et ils voient clair dans l’hypocrisie.
La vérité renaît là où tombaient les bombes
L’empire ne s’effondrera pas parce qu’il manquera d’armes. Il ne tombera que lorsqu’il manquera de croyants. De plus en plus de gens doivent comprendre qu’on ne peut pas construire la paix avec des deux poids, deux mesures. On ne peut pas condamner une occupation tout en en finançant une autre. On ne peut pas défendre la démocratie en écrasant la dissidence. Ce n’est que lorsque l’hypocrisie deviendra évidente pour une grande majorité en Occident que nous pourrons arrêter cette machine de guerre, en la privant de tout financement.
Michel Collon est visionnaire et réaliste, car il comprend que les fondements d’un monde meilleur ne sont pas si compliqués, seule leur mise en œuvre l’est : construire des médias populaires. Des médias fondés sur la vérité, pas sur des arguments. Qui intègrent les voix du Sud Global à la conversation. Qui exposent la machinerie derrière chaque discours guerrier et chaque silence médiatique. Qui traduisent, éduquent et connectent. C’est là que nous devons aller, d’une manière ou d’une autre.
Pascal Lottaz est un universitaire suisse spécialisé dans l’étude de la neutralité en relations internationales. Il est actuellement professeur assistant au Waseda Institute for Advanced Study de Tokyo et enseigne également les relations internationales à la Waseda University ainsi que la politique européenne contemporaine à la Temple University (Japan Campus). Il a aussi occupé le poste de professeur associé à la Faculté de droit de l’Université de Kyoto et au Centre Hakubi.
Source originale: Observatorio de la crisis
Traduction par Bernard Tornare