Dans une interview accordée au journal français L’Opinion, le Président Abdelmadjid Tebboune assène ses vérités à Paris. « La balle, dit-il, est désormais dans le jardin de l’Élysée, afin de ne pas tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable ».
Dans un contexte de tensions diplomatiques aigües entre Alger et Paris, le président Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé, hier, sur les colonnes du quotidien français, L’Opinion, dans un entretien exclusif. Précis et percutant, le chef de l’État n’a éludé aucune question et déclaré : «Nous perdons du temps avec le président Macron.» Affirmant que la relation de l’Algérie avec la France risque d’atteindre un point de non-retour, Abdelmadjid Tebboune a explicité sa déclaration : «Je maintiens le cheveu de Mu’awiya», affirmant «faire beaucoup» pour ne pas «tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable» avec la France. «Le climat est délétère», dira le chef de l’État pour décrire l’état actuel des relations avec la France, affichant sa grande déception : «Nous perdons du temps avec le Président Macron. Nous avions beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel. C’est pour cela que nous avons créé, à mon initiative, une commission mixte pour écrire cette histoire qui nous fait encore mal. Et pour dépolitiser ce dossier.» Et d’ajouter : «Mais plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu. Il y a ces déclarations hostiles tous les jours de politiques français comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’ ‘’Etat voyou’’ ou du petit jeune du Rassemblement national qui parle de ‘’régime hostile et provocateur’’. Et ces personnes aspirent un jour à diriger la France… Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays.»
Questionné si la reconnaissance de la «marocanité du Sahara» était à l’origine de la crise entre l’Algérie et la France, le chef de l’État a répliqué : «Nous avons parlé avec le Président Macron plus de 2 heures 30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier (…) Il m’a alors annoncé qu’il allait faire un geste pour reconnaître la «marocanité» du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai alors prévenu ‘‘Vous faites une grave erreur! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre. Et vous oubliez que vous êtes un membre permanent du Conseil de sécurité, donc protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé’’.»
Dénonçant fortement «une campagne systématique de dénigrement», menée par la droite et l’extrême droite françaises, le chef de l’État a répondu à ces nostalgiques de l’Algérie françaises qui réclament aujourd’hui la suspension de l’octroi des visas, la dénonciation des accords sur la circulation des personnes, le gel de l’aide et des transferts financiers. À ceux qui accusent l’Algérie d’utiliser la Guerre de Libération comme une rente mémorielle, le Président Tebboune rappelle qu’«honorer ses ancêtres», ce n’est pas une rente mémorielle. D’ailleurs «jusqu’à aujourd’hui, la France commémore encore ses soldats et résistants tombés dans la guerre contre l’Allemagne, ses cinéastes font des films (…) Et vous voudriez nous interdire d’effectuer notre propre travail de mémoire ? Ce qui s’est passé chez nous est unique en Afrique. C’est le seul cas de colonisation de peuplement où l’on a amené des Européens par bateau sur un sol étranger pour en faire une terre française. Nos résistants ont été massacrés par centaine de milliers… ».
À Marine Le Pen qui a affirmé qu’il «faut faire avec l’Algérie ce que Trump a fait avec la Colombie», la réponse du Président a été cinglante : «(…) Les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force. II y a encore dans l’ADN de ce parti des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats. Et comparaison n’est pas raison, les relations entre les États-Unis et la Colombie n’ont rien à voir avec les nôtres. Les Américains n’ont pas colonisé l’Amérique latine. Et Donald Trump cherche à régler une question migratoire. Moi, je m’interroge sur la manière dont Madame Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir, veut-elle une nouvelle rafle du Vel d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? L’Algérie est la troisième économie et la deuxième puissance militaire africaine. Nous sommes conciliants, nous allons doucement, nous sommes prêts à dialoguer, mais le recours à la force est un non-sens absolu.»
Quant à l’aide au développement, le chef de l’État a dû sûrement esquisser un sourire en répondant à l’eurodéputé de Reconquête, Sarah Knafo : «Cela relève d’une profonde méconnaissance de l’Algérie. C’est de l’ordre de 20 à 30 millions par an. Le budget de l’État algérien est de 130 milliards de dollars et nous n’avons pas de dette extérieure. Nous finançons chaque année 6.000 bourses africaines pour venir étudier chez nous, une route de plus d’un milliard de dollars entre notre pays et la Mauritanie et venons d’effacer 1,4 milliard de dette à douze pays africains. Nous n’avons pas besoin de cet argent qui sert avant tout les intérêts d’influence extérieure de la France.»
Les gesticulations de Bruno Retailleau n’ont pas été oubliées par Abdelmadjid Tebboune, qui a assuré que ce dernier a voulu faire un coup politique en forçant l’expulsion de l’influenceur «Doualemn», tout en reprochant à Paris de donner «la nationalité ou le droit d’asile» à des criminels algériens en col blanc et subservifs. «Nous aimerions aussi que la France accède à nos demandes d’extradition, comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne. Or, curieusement, nous constatons que Paris donne la nationalité ou le droit d’asile à des personnalités qui ont commis des crimes économiques, ou qui se livrent à de la subversion sur le territoire français. Certains, d’après nos informations, ont même été recrutés par vos services comme informateurs.»
Le Président a dénoncé, par ailleurs, l’instrumentalisation faite des accords de 1968, qualifiés de «coquille vide, pour rallier les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade».
Abdelmadjid Tebboune a affirmé que «le dossier de la décontamination des sites nucléaires est obligatoire sur les plans humain, moral, politique et militaire».
Il a laissé entendre que la coopération sécuritaire pourrait reprendre, mais prévient : «Il appartient à la France de traiter les cas des jihadistes qui se sont radicalisés sur son territoire».
Questionné, enfin, s’il était disposé à reprendre le dialogue, à condition qu’il y ait des déclarations politiques fortes, le Président répond : «Tout à fait. Ce n’est pas à moi de les faire. Pour moi, la République française, c’est d’abord son Président. Il y a des intellectuels et des hommes politiques que nous respectons en France, comme Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Dominique de Villepin, qui a bonne presse dans tout le monde arabe, parce qu’il représente une certaine France qui avait son poids. II faut aussi qu’ils puissent s’exprimer et ne pas laisser ceux qui se disent journalistes leur couper la parole et les humilier, particulièrement dans les médias de Vincent Bolloré, dont la mission quotidienne est de détruire l’image de l’Algérie. Nous n’avons aucun problème avec les autres médias, qu’ils soient du secteur public ou privé.»
Source: El Moudjahid