Le livre noir de Gaza a été écrit par Agnès Levallois en collaboration avec d’autres personnalités (Rony Brauman , Leïla Bourguiba , Jonathan Gagher, Guillaume Ancel, Peter Harling (1) afin de laisser une mémoire de ce qu’il s’est passé à Gaza entre le 7 octobre 2023 et mai 2024. Comme le signale la vice-présidente de l’institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMo) : « Le livre noir commence à Gaza, dans ses portes fermées à double tour » et sur laquelle « l’armée israélienne a largué plus d’explosifs que n’en contenaient les bombes atomiques qui ont décimé Hiroshima et Nagazaki pendant la seconde guerre mondiale ».
Des documents, des rapports provenant de différentes ONG (israéliennes, palestiniennes, françaises, européennes) ont été recensés dans le livre pour commencer à faire mémoire. Ce recensement des attaques ciblées sur la population civile, les humanitaires, les journalistes, les infrastructures médicales, le personnel soignant, les écoles, les lieux de cultes, atteste du non-respect d’Israël en terme de droit international humanitaire. Parmi les ONGs israéliennes, palestiniennes, françaises, européennes : Amnesty international, Al-Haq, B’Tselem, le bureau des nations unions pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), Euro-Mediterranean, Human Rights Monitor (HRM), le fonds des nations unies pour l’enfance (UNICEF), Médecins sans frontières, l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’organisation des nations unies (ONU), Oxfam, Palestinian Center for Human Rights, Physicians for Human Rights, Reporters sans frontières, Médecin du monde …
Avant d’entrer dans le recensement des horreurs commises sur la population gazaouie et sur la ville à Gaza depuis le 7 octobre , Rony Brauman prend la plume pour appuyer sur le fait qu’on ne peut décontextualiser cette journée du « samedi noir » de la colonisation, de l’apartheid que subissait le peuple palestinien. Il rappelle que « les pères fondateurs d’Israël, tout à leur tâche de chasser la population autochtone de Palestine, n’étaient cependant pas aveugles à la réalité qu’ils créaient. Il cite Moshé Dayan, chef d’état-major de l’armée israélienne en 1956: « N’accusons pas aujourd’hui les tueurs. Pourquoi devrions-nous nous plaindre de leur haine brûlante envers nous ? Voici huit ans ( depuis la nakba de 1948) que depuis le camp de réfugiés de Gaza, ils nous voient construire notre patrie sur la terre et les villages où ils vivaient, où leurs pères et leurs ancêtres vivaient .»
La préface de l’ex-président de Médecins sans frontières permettra de placer « les massacres du 7 octobre » dans le contexte des multiples agressions et massacres subis par le peuple palestinien depuis la Nakba ; des faits historiques qui concernent l’ensemble de la Palestine historique et pas uniquement Gaza. Notons que les auteurs du livre ont voulu rassembler les faits et les preuves qui se sont produits exclusivement à Gaza après le 7 octobre, en occultant volontairement la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Cependant, la « réponse de l’État sioniste » face aux attaques du 7 octobre y a exacerbé les violences, les arrestations, les vols de terre et meurtres dans l’ensemble de la Palestine.
Le lecteur pourra se poser les questions suivantes :
– Comment nos médias ont pu (encore) invisibiliser ces preuves des actes génocidaires, contraires au droit humanitaire international et portant atteinte à leur profession (ensemble des journalistes assassinés par Israël pendant l’exercice de leur fonction et/ou sciemment visé parce que journalistes) ?
– Comment certains États alliés de l’entité sioniste vont-ils justifier leur complicité au génocide, à l’écocide, et à l’urbicide ?
Le livre est composé de différents chapitres tous aussi édifiants les uns que les autres par le recensement de témoignages et de rapports des ONG internationales, palestiniennes, israéliennes et autres organisations (ONU) attestant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ces rapports accessibles au public, et donc à nos médias qui ne les relayent pas, ont été transmis aux instances internationales et aux gouvernements. Mais quand il s’agit de « la seule démocratie du Moyen-Orient », on se tait !
En outre, le livre recense, notamment, des citations prononcées par des responsables israéliens attestant de la volonté de ne pas se soumettre au droit international humanitaire, à commettre des attaques contre les civils et des crimes contre l’humanité. L’ introduction (une guerre sans fin), rappelle la genèse du « conflit », la Nakba, les prémices du nettoyage ethnique de la Palestine, les multiples tentatives de réduire au silence le nationalisme palestinien, les révoltes du peuple palestinien (Intifada), le refus de négociation des Israéliens et l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Israël. Jusqu’à ce jour pour tenter d’éradiquer définitivement la « question palestinienne ».
Comme le rappelle Agnès Levallois, la vice-présidente de l’institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMo), consultante Moyen-Orient et chargée de cours à SciencesPo, le nettoyage ethnique est un processus continu depuis 1948 mais qui connaît une accélération depuis le 7 octobre :
– par la déshumanisation de la population palestinienne : l’ensemble de la population palestinienne est considérée comme étant « des animaux humains » ; pour justifier les massacres (génocide) sur l’ensemble de la population
– par le projet sioniste d’annexion de toute la Palestine historique : accélération des destructions de bâtiments civils, villes et villages en vue d’implanter de nouvelles colonies
– par l’acharnement à délégitimer l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, créée en 1949 pour protéger les réfugiés de la Nakba en attendant le retour chez eux…). Or si l’UNRWA n’existe plus, le droit au retour des réfugiés palestiniens et leur descendance depuis la Nakba de 1948 devient impossible…
– le non-respect du droit international humanitaire par Israël « grâce » à la complicité de son allié américain.
L’ordonnance de la Cour internationale de Justice (CIJ) du 26 janvier 2024 demande à Israël d’ « empêcher la commission de tout acte entrant dans le champ d’application de la Convention sur le génocide », mais aussi « de pendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide », « autoriser l’accès humanitaire à gaza ». Malheureusement, comme le signale Human Rights Watch (HRW) (7 mai 2024) « Israël bafoue les ordonnances de la CIJ, pourtant juridiquement contraignantes en faisant obstacle à l’entrée d’aide humanitaire et de services vitaux à Gaza ».
Chapitre I : un territoire en état de siège ou rendre Gaza invivable, sans porte de sortie ( Agnès Levallois)
La volonté de destruction de Gaza par Israël n’ a pas débuté de 7 octobre. Mais par :
1) le blocus israélien depuis 2007 qui a rendu inhumaines les conditions de vie des Palestiniens (B’Tselem,26 février 2023 , HRW « la prison à ciel ouvert »),
2) les différentes opérations israéliennes qui ont détruit des quartiers et tué des centaines de milliers de Palestiniens,
3) l’empêchement par Israël que les Palestiniens exploitent un aéroport ou un port maritime
Depuis le 7 octobre, Israël :
- Refuse délibérément l’entrée de l’aide alimentaire suffisante pour les besoins de la population ( B’Tselem janvier 2024).
- Tire délibérément sur les civils lorsqu’ils doivent recevoir de l’aide alimentaire ( « massacre de la farine », PCHR, 29 février 2024) .
- Affame la population « la faim fait pleurer les enfants » ( +972 Magazine). Et pour « soulager » leur esprit, la communauté internationale se donne bonne conscience par le « largage aérien » de quelques produits. Amnesty international, 13 mars 2024 « une illusion d’action humanitaire » écrivent-ils. « Un convoi de 5 camions peut transporter 100 tonnes de nourriture et de matériel indispensable à la survie des populations, les derniers largages aériens n’ont pu livrer que quelques tonnes chacun… et sont susceptibles d’être extrêmement dangereux pour les vies civiles ( des personnes ont été tuées par le largage) »
Chapitre II : les attaques contre le système de santé, les soignants et les humanitaires
Le droit international humanitaire (DIH) et la quatrième convention de Genève accordent une protection spéciale aux établissements de santé, aux personnels de santé. Mais Israël ne les respecte pas. Comme le stipule Mme Leïla Bourguiba, conseillère juridique en droit international humanitaire à Médecin sans frontières : « la systématicité des attaques sur les infrastructures médicales, l’ampleur des destructions conduisent à légitimement douter d’une appréciation correcte ou de bonne foi de la proportionnalité »
Depuis le 7 octobre, Israël :
- Bombarde et assiège les hôpitaux (ONU, 28 mars 2024) «peu d’hôpitaux fonctionnels à Gaza, et parfois les conditions de vie sont inimaginables ». Le rapport de l’OCHA détaille les conditions et dommages subis sur les hôpitaux de Gaza : hôpital européen, Kamal Adwan, Al-Shifa,Al-Amal,….
- Cible les hôpitaux
Physicians for Human Rights (PHR), 21 november 2023: plus de 350 attaques contre des établissements de santé à Gaza dont des frappes aériennes et raids
MSF, mars 2024 : « comment l’armée israélienne a assiégé et attaqué l’hôpital Nasser »
- Cible des convois médicaux et arrêtent du personnel (détention illégale)
OMS, 12 décembre 2023
- Attaques systématiques et morts de nombreux soignants
MSF, 22 mars 2023
- Laisse plus de 80 000 palestiniens grièvement blessés et sans soins, 266 humanitaires tués
Médecins du monde, mai 2024
Chapitre III : l’information empêchée, les journalistes visés
« Du 7 octobre 2023 au 1 juin 2024, 118 journalistes ont été tués » fait remarquer Jonathan Gagher. Le livre informe également que« la plupart des bureaux des médias ont été détruits par les bombardements, près de 90 journalistes ont été tués à leur domicile… … ». « Les forces israéliennes ciblent les journalistes pour les intimider et les empêcher de transmettre la vérité au monde… ». Waël Al-Dahdouh, chef du bureau d’Al-Jazeera à Gaza, rappelle que « les pays qui ont ratifié des traités visant à protéger les journalistes doivent prendre des mesures décisives pour faire pression sur Israël afin qu’il mette fin à cette agression ».
Le responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF) étaye page après page des preuves du ciblage sur les journalistes, le nombre de meurtres dans la profession, les arrestations arbitraires, les humiliations et les tortures.
Israël méprise le droit internationale et la résolution 2222 de l’ONU sur la protection des journalistes en période de conflit. RSF a déposé trois plaintes (novembre 2023, décembre 2023, mai 2024) auprès de la cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis contre les journalistes.
Chapitre IV : la population civile prise pour cible
- Les meurtres
Le 5 juin 2024, l’OCHA ( bureau de coordination des nations unies pour les affaires humanitaires) acte de la mort de 36 586 personnes (dont l’identité a pu été démontrée, les personnes ensevelies sous les décombres, dans les fosses communes ou disparues ne sont pas prises en compte dans les chiffres). Le directeur de l’UNRWA signalait déjà en mars que le « nombre d’enfants présumés morts à Gaza en quatre mois est plus élevé que le nombre d’enfants tués en quatre ans dans l’ensemble des conflits du monde ».
- Les arrestation arbitraires en ce compris les enfants
Outre le décès des enfants, l’UNRWA atteste également de la présence de mineurs détenus (43) soumis aux sévices de l’armée israélienne.
- Le ciblage des enfants par des snipers
Les récits des médecins ayant soigné dans les différents hôpitaux de Gaza sont accablants. The Guardian, affirme le 2 avril 2024 « l’enquête journalistique dans les hôpitaux des Gaza révèle que les enfants ont été ciblés par des snipers »
- La famine
L’ensemble de la population civile est prise pour cible par le blocage de l’aide humanitaire ( Oxfam, mars 2024) et la famine organisée ( 90% de la population est en situation d’insécurité alimentaire aigüe, Unicef avril 2024)
- Le traitement des prisonniers palestiniens : disparitions forcées, tortures, humiliations , meurtres,…
En décembre 2023, Amnesty international déclare : « les prisonniers palestiniens sont traités en violation de toutes les règles du droit international, il faut enquêter sur les disparitions forcées et les traitements inhumains infligés aux détenus palestiniens de Gaza »
Chapitre V : la disproportion des armes
- L’utilisation d’ armes disproportionnées
L’ancien officier Guillaume Ancel écrit à propos des armes qu’elles sont« inadaptées, si ce n’est pour dévaster ». Il précise que « l’armée israélienne fait usage massif de bombes de 250, 500 et parfois 1000 kg dont le pouvoir de destruction est considérable. Pour comprendre leur impact, il souligne que « 250 kg sont utilisés pour détruire une maison, 500 kg pour réduire en poussière un immeuble, alors imaginer 1000kg … »
- Les attaques aériennes indiscriminées
Amnesty international, le 6 décembre 2023 affirme que les attaques aériennes indiscriminées dans les zones où l’armée israélienne a ordonné aux civils de se réfugier sont passibles de sanctions pour crime de guerre
- L’utilisation de l’intelligence artificielle pour assassiner les Palestiniens
une enquête ( « Lavender ») de +972 Magazine et Local Call dévoile l’usage déshumanisant de l’IA dans la définition de milliers de cibles palestiniennes à assassiner
Chapitre VI : la dévastation des lieux
Peter Harling explique dans ce chapitre le génocide, l’urbicide et l’écocide de Gaza par Israël.
Génocide : « appels à l’éradication totale des habitants de Gaza, provenant de hauts responsables israéliens », Urbicide et écocide :« Cette guerre se sera traduite par une profusion d’actes, assumés et promus par les troupes impliquées, visant explicitement à rendre Gaza à la fois invivable et méconnaissable à l’avenir, et ce pour de longues années ».
Le directeur du centre de recherche sur la Méditerranée et ancien conseiller aux Nations-Unies , remarque que « ce qui compte, c’est de les faire disparaître mentalement. Pour cela, il faut les écraser, les défaire, les disperser, les humilier, les priver non seulement de tout avenir mais aussi de leur passé. Voilà ce que signifie faire table rase à Gaza »
Israël a détruit :
- Les habitations, bâtiments publics et terres agricoles
BBC, février 2024 : entre 144 0000 et 175 000 bâtiments endommagés ou détruits
(Le dossier complet avec les images satellites est disponible en ligne)
- Les sols
La destruction des sols, la pollution des sols, de l’air et de l’eau. Israël se rend coupable de d’écocide , Reporterre (29 avril 2024) et Forensic Architecture (29 mars 2024)
- Les écoles et universités
En mars 2024, l’ONU atteste de la destruction de plus de 200 écoles.
Euro-Med monitor déclare que 70% des établissements universitaires ont été détruits
- Les sites archéologiques et culturels
Dans son rapport de Al-Haq19 décembre 2023, l’ONG palestinienne de défense des droits humains, cite : « Cette destruction du riche patrimoine culturel de Gaza concomitante du massacre à grande échelle de Palestiniens, témoigne de manière significative de l’intention des responsables politiques et militaires israéliens de détruire le peuple palestinien et d’effacer son identité ». Parmi les destructions : les mosquées, le monastère Saint-Hilarion, le hammam de Smara ( construit il y a plus de 1000 ans), le centre culturel orthodoxe, le musée de Rafah le littoral de Gaza regorgeant de trésors archéologiques (mur d’enceinte d’époque romaine, remparts datant de l’âge du fer, port de commerce et villa de la cité gréco-romaine d’Anthédon,……..
- Les cimetières
« Israël démolit les cimetières et séquestre les cadavres de Palestiniens », Euro-Med Monitor, 14 décembre 2023
Dans ce cas, encore une fois, Israël ne respecte pas le droit international humanitaire ( norme 115) « les dépouilles mortelles doivent être traitées avec respect et leur sépultures doivent être respectées et convenablement entretenues » et la convention de Genève ( art. 130) « les tombes doivent être respectées, convenablement entretenues et toujours être reconnaissables ».
Chapitre VII : rendre des comptes
Ce dernier chapitre reprend les différents textes fondamentaux du droit international, les rapports alertant sur le génocide, les ordonnances de la CIJ, les enquêtes de la cour pénale internationale, des bases légales qui auraient dû déjà être mises en application pour stopper Israël et qui devraient être utilisées pour sanctionner l’État génocidaire.
Les lois existent, les textes existent, les rapports existent…. Encore faut-il qu’ils soient appliqués par tous et pour tous.
Le livre noir de Gaza, un livre à lire et à partager !
Ce résumé succinct ne comporte pas les témoignages, l’ensemble des recherches et conclusions des rapports des ONGs et autres instances internationales, afin que le lecteur puisse affûter ses connaissances par la lecture du livre.
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1Agnès Levallois :vice-présidente de l’institut de recherche et d’études Méditérannée Moyen-Orient (iReMMo), consultante Moyen-Orient, chargée de cours à SciencesPo, ancienne directrice des programmes en langue arabe de France 24
Rony Brauman : ex-président de Médecins sans frontières, né à Jérusalem, chercheur au centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires
Leïla Bourguiba, conseillère juridique en droit international humanitaire à Médecin sans frontières
Jonathan Gagher, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières
Guillaume Ancel :ancien officier armée française
Peter Harling, directeur du centre de recherche sur la Méditerranée et ancien conseiller aux Nations-Unies
Source : investig’Action