A Ukrainian serviceman of the 24th Mechanized Brigade fires a 2s5 152 mm self-propelled howitzer towards Russian positions at an undisclosed location near Chasiv Yar in Donetsk region on November 18, 2024, amid the Russian invasion of Ukraine. (Photo by Handout / 24th Mechanized Brigade of Ukrainian Armed Forces / AFP) / RESTRICTED TO EDITORIAL USE - MANDATORY CREDIT "AFP PHOTO / PRESS SERVICE OF THE 24TH MECHANIZED BRIGADE OF UKRAINIAN ARMED FORCES " - NO MARKETING NO ADVERTISING CAMPAIGNS - DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTSAFP

La militarisation effrayante de l’Europe

Un spectre hante l’Europe, le spectre du militarisme. Derrière cette fièvre guerrière se cache bien plus que la prétendue menace de la Russie. Le déclin économique et la lutte pour la domination géopolitique jouent un rôle crucial dans la militarisation croissante du continent.

Les dirigeants européens veulent augmenter drastiquement les dépenses de défense et préparer leurs économies à la guerre. Il existe des plans pour introduire (pour l’instant) le service militaire volontaire et pour installer un bouclier nucléaire. Certains pays sont prêts à envoyer des troupes dans les pays voisins de la Russie, y compris l’Ukraine.

Boris Pistorius, l’ancien ministre allemand de la Défense, a déclaré que son pays serait « prêt pour la guerre » (Kriegstüchtigkeit) d’ici 2029. La hache de guerre est déterrée.

« Nous avons été trahis par Trump et nous sommes menacés par Poutine, c’est pourquoi nous devons intensifier nos efforts militaires et nous préparer à la guerre. » C’est le récit que l’élite européenne nous impose et qui est largement relayé dans les médias grand public.

Cependant, ce récit masque les véritables raisons et causes sous-jacentes de cette fièvre guerrière.

Déclin

La militarisation de l’Europe s’inscrit dans une crise économique plus large. Depuis la crise financière de 2008, l’économie européenne peine à trouver de nouvelles voies de croissance. La crise du COVID-19 a porté un coup dur à l’économie et, depuis les sanctions économiques contre la Russie, nous avons abandonné notre énergie bon marché.

En raison d’une obsession pour l’austérité, les gouvernements ont négligé des secteurs essentiels au développement de la productivité, tels que l’éducation et la science. De leur côté, les oligarques financiers n’ont pas suffisamment investi leurs profits monopolistiques dans de nouvelles technologies pour concurrencer les États-Unis et la Chine.

En conséquence, l’Europe accuse un retard technologique et économique.

Sur le plan géopolitique, la situation n’est pas plus favorable. L’Europe et les États-Unis n’ont pas réussi, après la chute de l’Union soviétique, à transformer la Russie en une semi-colonie ni à provoquer un changement de régime capitaliste en Chine.

L’espoir était qu’en intégrant la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce et en y investissant massivement, les forces capitalistes y croîtraient au point de prendre le pouvoir à la place du Parti communiste. C’était un vœu pieux.

En suivant aveuglément les États-Unis, l’Europe a négligé, après la chute de l’URSS, de construire une structure de sécurité équilibrée, incluant également la Russie.

Aujourd’hui, la Russie et la Chine sont devenues des adversaires redoutables avec lesquels il faut désormais compter.

Sous l’impulsion de la Chine, les pays du Sud, via les BRICS, constituent également un contrepoids croissant à la domination du Nord.

La lutte est lancée

C’est dans ce contexte que l’élite américaine, sous la direction de Trump et Musk, a lancé une campagne agressive pour préserver la suprématie absolue des États-Unis (Make America Great Again), quitte à sacrifier leurs alliés les plus proches.

Cela signifie que la lutte entre les États-Unis et les autres grandes puissances impérialistes est désormais ouverte. Lors du Forum économique mondial de Davos, Ursula von der Leyen l’a exprimé ainsi :

« L’ordre mondial basé sur la coopération, tel que nous l’avions envisagé il y a 25 ans, ne s’est pas concrétisé. À la place, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de concurrence géopolitique intense.

Les plus grandes économies du monde se battent pour l’accès aux ressources, aux nouvelles technologies et aux routes commerciales mondiales. De l’intelligence artificielle aux technologies propres, de l’informatique quantique à l’espace, de l’Arctique à la mer de Chine méridionale – la course est lancée. »

La force motrice derrière cette course est la maximisation des profits et l’expansion du capital monopolistique occidental. C’est ce qui est en jeu, et c’est de cela qu’il s’agit en fin de compte. Pour mener cette course, on mise sur la carte militaire. Comme l’a dit l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder :

« Un pays ne compte vraiment sur la scène internationale que s’il est aussi prêt à faire la guerre. »

Prétexte

Le principal prétexte à cette fièvre guerrière, à savoir que la Russie représente une menace militaire, ne tient pas la route. Moscou n’a aucune intention expansionniste.

Selon des experts de premier plan tels que Jeffrey Sachs et John Mearsheimer, l’invasion de l’Ukraine était pour Moscou une réponse à l’expansion de l’OTAN vers l’est et à la militarisation de l’Ukraine. Moscou y voyait une menace existentielle.

Sur le plan de la guerre conventionnelle, l’Europe n’est d’ailleurs pas de taille face à la Russie.

Le Kremlin s’est rapidement enlisé en Ukraine, un pays pourtant bien plus faible. Et si une confrontation devait éclater entre l’Europe et la Russie, nous serions alors dans un scénario nucléaire. Une end game que personne ne souhaite.

Économie de guerre

Les tensions militaires actuelles ne sont donc pas tant le résultat d’oppositions géopolitiques avec la Russie, la Chine et désormais aussi les États-Unis, mais sont plutôt enracinées dans la soif du capital monopolistique occidental de maximiser ses profits et son expansion.

Pour garantir les profits des monopoles occidentaux, les investissements et marchés étrangers, ainsi que l’approvisionnement en matières premières à bas coût, doivent être sécurisés. Pour cela, un appareil militaire puissant est indispensable, quitte à rappeler à l’ordre, par la force, les pays récalcitrants.

La militarisation stimule également l’économie. L’économie de guerre ne dépend pas du pouvoir d’achat de la population, mais des décisions des dirigeants politiques. Les dépenses militaires peuvent (temporairement) insuffler un peu d’oxygène à certains secteurs industriels, mais au détriment d’autres secteurs. C’est ce que Reagan a tenté dans les années 1980 avec son programme Star Wars et Hitler dans les années 1930.

En Belgique, et sans doute ailleurs, la militarisation pourrait être accompagnée d’une vague de privatisations sans précédent. Une partie des fonds nécessaires à ces dépenses militaires pourrait être obtenue par la vente des joyaux de la couronne du patrimoine national ou de certaines de ses composantes. La militarisation comme levier de privatisation.

Cette économie de guerre est mise en place en vue d’une véritable préparation à la guerre. Pendant la Guerre froide, les pays européens disposaient d’une armée de conscription importante. Après la chute de l’Union soviétique, les forces d’intervention rapide ont pris le relais, notamment en Libye et en Syrie.

Aujourd’hui, des plans visent à rétablir le service militaire, à renforcer l’infrastructure militaire et à stationner des troupes à long terme à l’étranger, notamment dans les pays baltes et en Ukraine. D’autres options sont également envisagées, comme la question d’un parapluie nucléaire.

De nombreux signes indiquent qu’une guerre mondiale devient une possibilité bien réelle aux yeux des élites financières et économiques.

Conséquences

Une telle militarisation a des conséquences profondes pour nos sociétés. L’argent doit venir de quelque part. Actuellement, l’Europe consacre environ 2 % de son PIB aux dépenses de défense. Pour atteindre l’objectif de 5 %, elle devra dépenser environ 500 milliards d’euros supplémentaires par an pour la défense.

Avec des gouvernements de droite, cette augmentation massive des budgets militaires se fera inévitablement au détriment des dépenses sociales ainsi que du Green Deal, dont le budget annuel s’élève à 86 milliards d’euros.

Nous avons déjà mentionné comment cette militarisation risque d’aller de pair avec une vague sans précédent de privatisations de l’économie.

L’établissement d’une véritable armée européenne entraînera également un déficit démocratique majeur. La structure de commandement sera placée au niveau européen. Ce ne seront plus les gouvernements ou les parlements nationaux qui décideront si nos jeunes devront partir au front, mais des eurocrates.

Enfin, la militarisation de nos économies et de nos sociétés ne fera qu’accroître les tensions sur le continent européen. Au lieu de construire une structure de sécurité équilibrée, nous lançons une course aux armements dangereuse et attisons toujours plus l’hostilité envers la puissance nucléaire russe.

Un choix historique

L’Europe est face à un choix historique. Le processus de militarisation s’accompagne de coûts économiques colossaux, d’un démantèlement social, d’un retard dans la transition écologique et d’un déficit démocratique, tandis que le risque d’un conflit majeur devient de plus en plus réel.

Cette militarisation est-elle réellement dans l’intérêt des citoyens européens, ou uniquement dans celui des élites économiques et de l’industrie de l’armement ?

Allons-nous nous laisser emporter par cette fièvre guerrière, ou choisirons-nous la prospérité, l’écologie et une structure de sécurité équilibrée sur le continent ?

Allons-nous suivre les États-Unis dans leur logique impérialiste et militariste, ou bâtirons-nous un projet européen indépendant, basé sur une coopération respectueuse avec les pays du Sud ?

Les prochaines années seront cruciales pour répondre à cette question.

Sources:

– Übergang zur Kriegswirtschaft?
– “C’hanno rimasto soli…”. L’Unione Europea cerca un ombrello nucleare
– Guerre en Ukraine : comment les chefs d’État européens préparent les esprits à une guerre avec la Russie
– Trump’s Munich Strategy


Source : De wereld Morgen

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