Haïti : l’APC dénonce le « chaos » organisé des USA

S'opposant à toute intervention militaire occidentale prétendant mettre fin au « chaos » et à la guerre des gangs en Haïti, l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe (APC) dénonce une stratégie du « pompier pyromane » dans le chef des Etats-Unis et de ses alliés. Ces derniers voulant continuer à faire main basse sur les richesses de l'île au détriment du peuple haïtien, plongé dans une spirale de violences et de misère sans précédent (I'A).  

L’Assemblée des Peuples de la Caraïbe (APC) est un regroupement de dizaines de syndicats, de mouvements sociaux, d’ONG, d’organisations politiques, de travailleurs, de paysans, des peuples indigènes, de jeunesses, etc., fondée en 1994.

Elle se définit comme étant à la fois un espace et un processus de rassemblement des peuples de la Caraïbe au-delà des divisions géographiques créées par le passé colonial commun. L’Assemblée se donne pour objectif de :

« soutenir et contribuer au renforcement des mouvements sociaux et des organisations de la Caraïbe, favorisant leur convergence et leur articulation ; de promouvoir une identité Caribéenne basée sur le respect de la diversité et sur la résistance face à toutes les agressions, aux manifestations de domination coloniale, et aux formes d’oppression impérialiste contre nos pays ; de stimuler les luttes des peuples de la région face aux conséquences déprédatrices de la globalisation néo-libérale capitaliste et ses modèles de libre commerce bilatéraux et régionaux ».

Sursaut anti-impérialiste


Le 6 mars dernier, se réunissait le Comité exécutif régional pour analyser la situation à Haïti et les projets impérialistes concernant ce pays, symbole des luttes anti-esclavagiste et anticoloniales.

Ce comité réunissait de nombreuses organisations représentants Cuba, la République dominicaine, Porto Rico, la Martinique, la Barbade, Trinité-et-Tobago et bien sûr Haïti. Le Comité exécutif a publié une déclaration de solidarité avec le peuple Haïtien énonçant clairement « les causes profondes de la crise ; l’analyse la situation actuelle ; et précisant ce qui doit être fait – et ce qui ne doit pas être fait – par la communauté régionale et internationale ».

La déclaration commune commence par condamner tous les projets d’intervention militaire avancés par les Etats-Unis ou par ledit Core group, un groupe sans aucune légitimité composé des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des Etats-Unis, de France et de l’Union européenne.

« Nous, l’Assemblée des peuples de la Caraïbe, déclarons que : il ne doit y avoir aucune intervention militaire étrangère – pas de troupes américaines ou de tout autre pays du Core Group, pas de troupes du Kenya, pas de troupes de la CARICOM ou de tout autre État. Nous condamnons donc fermement les déclarations de certains États membres de la CARICOM selon lesquelles leurs troupes seraient « prêtes » à se rendre en Haïti. »

Rappelons que la CARICOM est une organisation regroupant une quinzaine d’Etats caribéens dont plusieurs membres appellent à une intervention militaire pour résoudre la crise haïtienne dramatique.

Ingérence nord-américaine


Les appels à une intervention militaire étrangère dénoncés par l’Assemblée des peuples de la Caraïbe ont pour objectif de conforter le pouvoir d’Ariel Henry, Premier ministre démissionnaire, imposé frauduleusement sur pression des Etats-Unis et du Core groupe, le 7 juillet 2021, suite à l’assassinat du président de la République Jovenel Moïse. Le scandale est d’autant plus grand qu’Ariel Henry est suspecté de complicité dans l’assassinat du président.

Le 10 septembre 2021 le procureur général de Port au Prince, M. Bedford Claude, a exigé qu’Ariel Henry soit auditionné pour avoir été en contact suivi avec l’un des accusés de l’assassinat du président. L’ingérence impérialiste dans la nomination d’Ariel Henry a été dénoncée par des centaines d’associations, syndicats, organisations, partis et personnalités haïtienne. Son gouvernement depuis trois ans se caractérise par une corruption généralisée, une explosion de la criminalité, un millier d’enlèvement en 2021 et la toute puissance des gangs.

Dans ce contexte la déclaration de l’Assemblée des Peuples de la Caraïbe exige : « La Caricom doit cesser de reconnaître Ariel Henry comme premier ministre d’Haïti […] La CELAC, communauté d’Etats Latino-Américains et Caraïbes, doit également cesser de reconnaître Henry. […] L’ONU et le Core Group doivent également cesser de reconnaître Henry et cesser de négocier avec lui un transfert de pouvoir. Il est illégitime et par conséquent, toute implication de sa part dans l’établissement d’un accord de transition sera illégitime et n’est ni acceptée ni digne de confiance pour le peuple haïtien ».


Les véritables causes de la crise haïtienne


Dénonçant le discours sur le chaos haïtien que tiennent les puissances impérialistes et leurs relais locaux, l’Assemblée des Peuples de la Caraïbes défend la proposition des « accords de Montana » soutenus par des centaines de mouvements sociaux.

Intitulés, « établissement d’un exécutif de transition par des moyens consensuels et pacifiques, la formation d’un gouvernement d’unité nationale/sauvetage », ces accords sont, poursuit la déclaration de l’APC, « une solution haïtienne à la crise haïtienne ».

Analysant les causes du pseudo « chaos », l’APC précise :

« Il existe un vide de pouvoir en Haïti que les groupes armés dirigés par des criminels tentent de combler. La violence rend presque impossible l’intervention des masses pour combler le vide laissé par les manifestations populaires traditionnelles de mouvements sociaux légitimes. La reconnaissance continue du Premier ministre de facto, mais totalement illégitime et discrédité, Ariel Henry, a été un autre facteur majeur dans la création de ce vide politique ».

Abordant la responsabilité des puissances impérialistes, l’ACP qualifie celle-ci de coloniale: « Depuis 2004, Haïti est en effet revenu à un statut colonial, où les ambassadeurs et autres représentants de ce que l’on appelle le groupe central – principalement les États-Unis, la France et le Canada – ont pris des décisions sur le processus politique et plus encore en Haïti. C’est ainsi qu’Ariel Henry a été installé de facto Premier ministre d’Haïti par le Core Group, à la suite de l’assassinat du président de l’époque, Jovanel Moise, en 2021. »

La violence massive et les gangs sont dénoncés comme étant une stratégie visant à imposer une orientation politique que le peuple haïtien refuse : « L’importance du schéma et des cibles de la violence réside dans le fait que ces groupes armés agissent dans l’intérêt des élites économiques et politiques et des puissances étrangères ; avec les objectifs suivants : (a) contrecarrer et empêcher toute action de masse du peuple haïtien visant à imposer une solution politique légitime à la crise ; et (b) créer les conditions d’un appel à une intervention militaire étrangère. À ce jour, ces objectifs ont été largement atteints. »

Emprise coloniale de plus d’un siècle


La déclaration de l’ACP rappelle enfin que la crise haïtienne est liée à l’histoire de l’ingérence impérialiste ; à savoir l’intervention militaire états-unienne d’il y a un siècle, puis la séquestration états-unienne du président démocratiquement élu Aristide, suivi de l’intervention militaire états-unienne de 1994 se concrétisant par la présence de 20 000 militaires états-uniens pendant six ans, et enfin une nouvelle intervention militaire après le coup d’Etat de 2004 pendant 13 ans.

La déclaration souligne également l’importance politique et symbolique d’Haïti pour les peuples du monde. La guerre de libération haïtienne a en effet non seulement libéré Haïti de l’esclavage mais lui a permis de fonder la première république noire.

Pour conclure la déclaration rappelle les véritables enjeux qui conduisent à cet acharnement impérialiste sur Haïti et son peuple : « La crise haïtienne ne peut être séparée de l’importance géopolitique des Caraïbes pour l’impérialisme américain, et donc de son contrôle. Haïti possède des ressources précieuses (or, titane, iridium, bauxite, gaz naturel) et nous ne devons pas oublier ce qui s’est passé en 1915 lorsque les intérêts économiques du capital américain ont provoqué la déstabilisation, puis l’invasion américaine. ».

Une nouvelle fois les puissances impérialistes utilisent la technique du « pompier pyromane » allumant des incendies meurtriers pour justifier ensuite leur intervention économiquement et stratégiquement intéressée.

Saïd Bouamama


Pour aller plus loin :

Veron Arnault, Position de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe, Le National, République d’Haïti du 13 mars 2024, consultable sur le site https://www.lenational.org

Déclaration de l’Assemblée des peuples de la Caraïbe sur la crise en Haïti, Nasion kréyol, du 16 mars 2024, consultable sur le site https://fondaskreyol.org


Source : Investig’Action

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