Rescuers stand amid the debris of damaged building in the Israeli city of Tel Aviv following an Iranian missile attack on June 16, 2025. Israel's Magen David Adom emergency service said on June 16 that three people were killed and 74 wounded following Iran's latest missile attack. It said two women and one man had been killed, without giving a precise location, but adding rescue operations were ongoing in two places. (Photo by Menahem KAHANA / AFP)AFP

La plus grande menace pour Israël n’est pas l’Iran ou le Hamas mais sa propre arrogance

Orly Noy est une citoyenne israélienne née en Iran. Elle préside l'ONG B'Tselem qui milite en faveur des droits humains dans les territoires occupés. Elle réagit aux attaques de l'armée israélienne contre l'Iran et explique qu'un peuple qui dépend uniquement de sa puissance militaire est condamné à la défaite. (I'A)

Cela fait plus de 46 ans que j’ai quitté l’Iran avec ma famille à l’âge de neuf ans. J’ai passé la majeure partie de ma vie en Israël, où nous avons fondé une famille et élevé nos filles, mais l’Iran n’a jamais cessé d’être ma patrie. Depuis octobre 2023, j’ai vu d’innombrables images d’hommes, de femmes et d’enfants debout à côté des ruines de leurs maisons, et leurs cris sont gravés dans ma mémoire. Mais quand je vois les images de l’Iran après les attaques israéliennes et que j’entends les cris en persan, ma langue maternelle, le sentiment d’effondrement en moi est différent. L’idée que cette destruction est le fait du pays dont je suis citoyenne est insupportable.

Au fil des ans, l’opinion publique israélienne s’est convaincue qu’elle pouvait exister dans cette région tout en nourrissant un profond mépris pour ses voisins, se livrant à des massacres contre quiconque, quand et comme bon lui semble, en s’appuyant uniquement sur la force brute. Depuis près de 80 ans, la « victoire totale » est à portée de main : il suffit de vaincre les Palestiniens, d’éliminer le Hamas, d’écraser le Liban, de détruire les capacités nucléaires de l’Iran, et le paradis sera nôtre.

Mais depuis près de 80 ans, ces soi-disant « victoires » se sont avérées être des victoires à la Pyrrhus. Chacune d’entre elles enfonce Israël un peu plus dans l’isolement, la menace et la haine. La Nakba de 1948 a créé la crise des réfugiés qui persiste encore aujourd’hui et a jeté les bases du régime d’apartheid. La victoire de 1967 a encouragé une occupation qui continue d’alimenter la résistance palestinienne. La guerre d’octobre 2023 s’est déchaînée en un génocide qui a fait d’Israël un paria mondial.

L’armée israélienne, qui joue un rôle central dans tout ce processus, est devenue une arme de destruction massive aveugle. Elle maintient son statut prestigieux auprès d’une population anesthésiée grâce à des coups d’éclat spectaculaires : des pagers qui explosent dans les poches des hommes sur un marché libanais, ou une base de drones implantée au cœur d’un État ennemi. Et sous le commandement d’un gouvernement génocidaire, elle s’enfonce davantage dans des guerres dont elle ne sait comment sortir.

Pendant tant d’années, sous le charme de cette armée supposée toute-puissante, la société israélienne s’est convaincue qu’elle était à l’épreuve des balles. Le culte total de l’armée d’un côté, et le mépris arrogant des voisins régionaux de l’autre, ont fait naître la conviction que nous n’aurions jamais à rendre des comptes. Puis vint le 7 octobre, qui brisa, ne serait-ce qu’un instant, l’illusion de l’immunité. Mais plutôt que de prendre conscience de l’importance de ce moment, l’opinion publique s’est livrée à une campagne de vengeance. Car seul le massacre pouvait redonner un sens au monde : Israël tue, les Palestiniens meurent. L’ordre est rétabli.

C’est pourquoi les images des bâtiments bombardés à Ramat GanRishon LeZionBat YamTel Aviv et Tamra (une ville arabe de Galilée) ont été si choquantes. Elles ressemblaient de manière troublante à celles auxquelles nous sommes habitués à voir depuis Gaza : des squelettes de béton calcinés, des nuages de poussière, des rues ensevelies sous les décombres et les cendres, des jouets d’enfants ramassés par les secouristes. Ces images ont brièvement brisé notre illusion collective selon laquelle nous sommes immunisés contre tout. Les victimes civiles des deux côtés – 13 Israéliens et au moins 128 Iraniens – soulignent le coût humain de ce nouveau front, même si l’ampleur reste loin de la dévastation infligée régulièrement à Gaza.

L’armée comme doctrine

Il fut un temps où certains dirigeants juifs en Israël comprenaient que notre existence dans cette région ne pouvait se fonder sur l’illusion d’une immunité totale. Ils n’étaient peut-être pas exempts d’un sentiment de supériorité, mais ils saisissaient cette vérité fondamentale. Le défunt député de gauche Yossi Sarid rappelait un jour ces paroles de Yitzhak Rabin : « Une nation qui montre ses muscles pendant cinquante ans finit par les fatiguer. » Rabin comprenait que vivre éternellement dans la violence n’est pas une option viable, contrairement à la promesse effrayante de Netanyahu.

Aujourd’hui, il n’y a plus de politiciens juifs de cette trempe en Israël. Lorsque la gauche sioniste se réjouit d’une attaque imprudente contre l’Iran, elle révèle son attachement obstiné à l’illusion que, quoi que nous fassions, quelle que soit la profondeur de notre aliénation vis-à-vis de la région dans laquelle nous vivons, l’armée nous protégera toujours.

« Un peuple fort, une armée déterminée et un front intérieur résilient. C’est ainsi que nous avons toujours gagné, et c’est ainsi que nous gagnerons aujourd’hui », a écrit Yair Golan, chef du Parti démocrate — une fusion des partis sionistes de gauche Meretz et Travailliste — dans un message publié sur X après l’attaque de vendredi. Sa collègue du parti, la députée Naama Lazimi, a renchéri pour remercier « les systèmes de renseignement avancés et la supériorité des services de renseignement. L’armée israélienne et tous les systèmes de sécurité. Les pilotes héroïques et l’armée de l’air. Les systèmes de défense d’Israël. »

En ce sens, le fantasme de l’immunité accordée par l’armée est encore plus profond au sein de la gauche sioniste qu’à droite. La réponse de la droite à son inquiétude sécuritaire est l’anéantissement et le nettoyage ethnique – c’est son objectif ultime. Mais le centre-gauche place presque toute sa confiance dans les capacités supposées illimitées de l’armée. Il ne fait aucun doute que le centre-gauche juif en Israël vénère l’armée bien plus fervemment que la droite, qui la considère simplement comme un outil pour mettre en œuvre sa vision de destruction et de nettoyage ethnique.

Nous, Israéliens, devons comprendre que nous ne sommes pas immunisés. Un peuple dont l’existence dépend uniquement de la puissance militaire est voué à finir dans les recoins les plus sombres de la destruction et, à terme, dans la défaite. Si nous n’avons pas tiré cette leçon fondamentale des deux dernières années, sans parler des quatre-vingts dernières, alors nous sommes bel et bien perdus. Non pas à cause du programme nucléaire iranien ou de la résistance palestinienne, mais à cause de l’orgueil aveugle et arrogant qui s’est emparé de toute une nation.

Orly Noy est rédactrice chez Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose persanes. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité en tant que Mizrahi, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant au sein d’une communauté d’immigrants permanents, et du dialogue constant entre ces différentes identités.


Source originale: +972 Magazine
Traduit par JB pour l’Agence Média Palestine

Une version de cet article a été publiée pour la première fois en hébreu sur Local Call. Vous pouvez le lire ici.

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