Les affrontements se multiplient et la crise humanitaire s’aggrave dans l’Est de la République démocratique du Congo, souvent oubliée par les médias internationaux. Rencontrée lors d’une conférence sur le livre Ukraine, la Guerre des Images à Paris, lors de laquelle elle témoigna de la situation dans son pays, nous avons interviewé Zenobita Maganga, militante congolaise élue au conseil national du Mouvement de la Paix. Nous y évoquons le prolongement de Félix Tshisekedi à la tête du pays, l'engagement pour la jeunesse, la faiblesse des politiques congolais et les influences extérieures.
Pouvez-vous nous dire d’où est né votre engagement ?
Je précise tout d’abord que je suis en train d’écrire un livre qui racontera tout de ma vie personnelle donc je ne vais pas y revenir en détails ici. Pourquoi je me suis engagée, déjà j’ai perdu ma mère très tôt, elle avait vingt-huit ans. Je l’ai perdu dans des conditions de violences extrêmes, à l’Est de la RDC. J’habitais ensuite avec mon oncle qui était un garde rapproché de Kabila fils, l’ancien président. J’ai donc vécu dans l’enclos présidentiel : la villa GLM. C’est comme un palais de l’Élysée ou une Maison Blanche mais à Kinshasa.
C’est là-bas que j’ai commencé ma révolte. J’habitais dans un quartier très huppé de Kinshasa nommé Gombe. Je voyais comment les gens y vivaient, dans une certaine opulence. À côté de chez nous, il y avait un camp avec des blessés qui avaient fait la guerre. On pouvait voir la femme de Kabila faire des dons à l’extérieur tout en s’assurant qu’elle était filmée. Pendant ce temps là les blessés n’avaient de moyens pour se soigner, leurs enfants n’avaient pas la possibilité d’aller à l’école. Ça m’a révolté, j’avais la colère en voyant leur train de vie. Tous se fichent complètement de la population. Ce qui compte c’est leur intérêt. D’ailleurs Kabila nous a été imposé après la mort de son père. J’ai passé ma jeunesse là-bas, j’étais quand même un peu privilégiée. D’ailleurs, même en vivant ici en France, quand je milite il y a des gens qui m’appellent et qui me disent « tu auras ta part du gâteau » si tu reviens. Mais j’ai vu la souffrance de mon peuple et je l’ai vécu même en étant à côté de chez Kabila.
Comme disait martin Luther King « Nous avons besoin de leaders qui ne sont pas amoureux de l’argent, mais de la justice. Qui ne sont pas amoureux de la publicité, mais de l’humanité ». Malheureusement, la plupart des jeunes que vous voyez en politique aujourd’hui, n’ont aucune idéologie, c’est par cupidité qu’ils s’engagent.
Comment jugez-vous la campagne présidentielle qui s’est tenue en décembre ?
Les discours de haine, ils viennent de la part du président alors qu’il devrait avoir un discours d’unité. Moi qui suis originaire du Katanga, je suis vue comme une étrangère. Et quand tu critiques Tshisekedi, on te traite de Rwandais… Aujourd’hui, à l’entendre, tout le monde est étranger. Tshisekedi représente l’autoritarisme, le népotisme, le clientélisme…
Le peuple tombe facilement dans la manipulation. Beaucoup de politiques donnent de l’argent pour que les gens aillent voter. Tshisekedi a bâti son programme sans projet de société, seulement en disant que les autres candidats étaient des étrangers. Moi, je pense que c’est lui le candidat des étrangers, qui ne s’oppose pas aux intérêts des Occidentaux ! On ne peut pas se comporter comme ça, par exemple Vital Kamerhe, potentiellemt aurait tué des juges pour éviter une condamnation puis il a été placé au gouvernement.
Tshisekedi est un manipulateur, il joue sur ses discours anti-français, anti-impérialistes pour faire croire à cette population manipulée que, lui, il est anti-impérialiste, mais il ne l’est pas! C’est un danger pour notre pays, nous ne devons pas nous diviser en camps, nous n’avons pas à nous entretuer. On ne peut pas laisser un grand pays comme le Congo avec Félix Tshisekedi à sa tête. Il est en contact avec des grands lobbys américains pour que les États-Unis le laissent au pouvoir. Ces derniers ont besoin de faire dégager l’influence de la Chine à l’Est qui a trop de poids économique pour eux. Il y a aussi des Israéliens qui ont beaucoup de pouvoir. Dan Gertler par exemple, il corrompt les officiers congolais, il corrompt Kabila père puis fils …
Il s’enrichit grâce à des détournements. Il fait du Mobutisme alors qu’il a été dans “l’opposition” trente-cinq ans avec son père mais aujourd’hui, il a des slogans, des mots qui étaient ceux de Mobutu. Chez lui, c’est la fête tous les jours, je n’ai jamais vu un président comme ça.
Il a négocié avec Israël pour faire venir des Palestiniens sans même consulter le parlement. Personne ne parlait des Palestiniens et c’est après une vidéo que j’ai publié que ça a fait le buzz. La vidéo en lingala a été traduite en français et mise en ligne sur Twitter. Patrick Muyaya, le ministre des communications a démenti sur les réseaux sociaux .
On a vu peu de réaction à l’élection très contestée de Tshisekedi, en tout cas vu d’Europe. La population a-t-elle manifesté dans les villes de RDC?
Oui mais Tshisekedi a envoyé les militaires au Katanga. Le peuple était très révolté mais Tshisekedi a fait peur à la population. À Lubumbashi, il y avait des militaires partout. À Béni, au Nord-Kivu, la population est sortie, mais dans l’ensemble, nous ne sommes pas préparés à sortir comme les Sénégalais, les Maliens… Les politiques nous séquestrent !
Dans votre engagement pour le Congo, vous soulignez le rôle que devrait jouer la jeunesse.
Oui il ne faut pas seulement attendre l’aide des autres pays, la responsabilité nous incombe aussi de ne pas suivre ces politiques qui nous manipulent si facilement. Puisque je suis jeune, je me bats afin que nous puissions avoir un meilleur pays dans l’avenir. Je pense que notre génération est abandonnée à son propre sort. Nous avons un sérieux problème avec nos dirigeants car ils n’ont pas de vision à long terme.
Les problèmes de notre pays, hormis les impérialistes, viennent de nos hommes politiques. Je milite sur les réseaux sociaux pour sensibiliser la jeunesse. Elle doit être plus exigeante envers nos dirigeants, ils nous doivent des comptes. Ils ne font pas assez pour nous. Comme James Freeman Clarke l’a dit : les grands hommes d’État pensent à la future génération et ne pensent pas aux prochaines élections.
Dans notre pays, nous avons des « petits politiciens », je les appelle comme ça parce que ce sont des gens qui ne voient que le bout de leur nez et ne pensent pas à la future génération.
Toutes les grandes puissances scrutent la République Démocratique du Congo, parce que nous avons des matières premières très importantes. Avant, c’était le caoutchouc avec Léopold le roi belge. Aujourd’hui, c’est l’uranium, le lithium et le cobalt. Si nous n’essayons pas d’avoir de vrais hommes d’État qui pensent à protéger nos ressources et faire en sorte que nous aussi puissions bénéficier de nos matières premières, on est foutus. Sinon, le pays est en voie d’être balkanisé.
Quand vous dites que le pays est en voie de balkanisation, pouvez-vous expliquer ?
Nos voisins, ce n’est pas seulement le Rwanda, il y a aussi l’Ouganda. On parle beaucoup de Kagamé, on oublie Museveni, c’est le patriarche. Kagamé a été préparé, il était le chef des services de renseignement en Ouganda. Lors de la guerre des Six Jours, Kagamé et Museveni se sont battus à Kisangani en plein cœur de notre territoire, ils ont tué le peuple congolais. Mais jamais, justice n’a été rendue. Est-ce que vous imaginez ? Les massacres passent comme une lettre à la poste. Nos dirigeants arrivent au pouvoir, comme Tsishekedi, et disent « nous ne devons pas attaquer Museveni et Kagamé », « ce sont nos frères, nos partenaires fiables ». Je n’ai pas vu la réaction de la communauté internationale aux discours de Kagamé.
Quel discours de Kagamé ?
Par exemple quand il disait qu’il y a une partie de l’Est qui appartenait au Rwanda avant le colon Belge. Vous imaginez si c’était Poutine qui avait parlé de ça par rapport à l’Ukraine, ça aurait fait un scandale ! Mais ce qui se passe dans notre pays n’a pas l’air d’intéresser les médias. Alors c’est à nous de le faire savoir car nous avons besoin de la solidarité internationale.
Aujourd’hui il n’y a pas cette solidarité internationale que l’on voit au niveau de quelques gouvernements pour Israël et de la plupart des populations pour la Palestine. J’ai l’impression que pour le Congo c’est : « entretuez-vous et nous on s’en fout ».
C’est-à-dire ?
Ils ont juste besoin du Congo, sans les Congolais. Ça les arrange de laisser perdurer le chaos pour faire ce qu’ils veulent et obtenir leurs besoins en ressources naturelles. Mais nos dirigeants sont supposés être responsables, ils sont censés défendre les intérêts de leur pays.
Si Lumumba à l’âge de trente, trente-quatre ans, s’est élevé contre l’impérialisme, je pense qu’eux aussi en sont capables. Moi, je fais ma part en tant que citoyenne lambda. Je n’ai aucune responsabilité au niveau politique de notre pays, mais j’essaye de me battre parce que je sais que j’ai aussi un devoir d’apporter une pierre à l’édifice qu’est notre pays. Quel sera l’héritage de nos politiques actuels à cette jeunesse congolaise en perdition ?
Il n’y a vraiment personne porteur d’espoir ?
Je n’en vois pas. Personne n’incarne la rupture même avec l’impérialisme, personne ne parle de Congo nouveau, d’émergence… Je ne vois que des toutous, d’abord au service de leurs intérêts mais aussi au service des intérêts des puissants. De ce que j’ai vu étant enfant, ce sont souvent des gens qui vivent clairement dans une enclave. Ils disent à leurs enfants et à leur proche « tu auras tout ça ».
Parlons de ces élections tellement chaotiques : je ne sais pas si ça a déjà existé, des élections qui ne donnent pas de résultats plus de dix jours après les votes. Et pourtant je vois même des intellectuels encourager ce genre de choses, ça me donne la rage.
Ce que j’attends, moi, c’est un Lumumba, surtout en cette période critique, il faut quelqu’un qui puisse avoir le courage de Lumumba. Même si je ne crois pas en l’homme providentiel. La population doit guider. Mais cette population est tellement manipulée, beaucoup de gens ne sont pas formés, ne sont pas instruits et par conséquent se laissent berner.
Il faut changer cette classe politique radicalement. S’il y a toujours ces mêmes personnes qui ont déjà été avec Mobutu ou Tshishekedi père on ne va pas s’en sortir ! Parmi ces gens, il y en a beaucoup qui ont fait des choses condamnables, qui ont pris les armes contre la nation, qui sont dans des mafias.
Quand je regarde où en était la Chine à l’époque de Mao Tsé-toung, il y a trente ans. Elle était menacée par un petit pays comme le japon. Mais aujourd’hui, la Chine s’est restructurée, car elle a fait un travail de fond: politique, scientifique, culturel pour être ce qu’elle est aujourd’hui, peu importe ce qu’on peut dire de la Chine.
Ce qui se passe en Afrique de l’ouest, cela vous donne de l’inspiration ?
Le problème avec le Congo c’est que nous sommes encore beaucoup trop dans la danse, l’amusement. La population n’a pas encore vraiment pris conscience du changement nécessaire. Si tous ces gens-là y sont arrivés, pourquoi pas nous ? Je pense que nous devons nous inspirer et, surtout, ne pas attendre la solution miracle. Pour moi, il n’y a pas de messie qui viendra sauver le Congo. Nous devons nous prendre en charge nous-mêmes. L’omerta concernant ce qui se passe en RDC est vraiment très forte. Nous le savons, mais qu’est-ce qu’on fait ? Qui sera capable de dire « stop, ça suffit ».
Cette omerta, n’est-elle pas utile pour les multinationales ?
Oui cette omerta est bonne pour les grandes entreprises qui font du profit sur notre dos. Les multinationales ça les arrange d’avoir des matières premières à moindre coût. Elles profitent du chaos. Les Etats-Unis, l’Angleterre, la France aussi qui soutiennent Kagamé. À cause de tous ces gens-là, on va rester des victimes. Donc, il y a urgence que nous soyons capables, d’avoir un bon leader à la tête de notre pays, qui tiendra tête et osera dire non face aux anglo-saxons ou face à Macron. Les problèmes viennent aussi des complexes de nos dirigeants, c’est du travail de fond, un travail idéologique qui doit être fait.
Complexés ?
Oui, face à la condescendance occidentale. Ils sont trop complexés par rapport aux dirigeants occidentaux. Regardez Ibrahima Traoré du Burkina Faso par exemple et ses hommes. Si, ces gens-là ont eu le courage de dire non à l’impérialisme français, pourquoi pas nous ? Asimi Goita (41 ans) Ibrahima traoré ( 36 ans), ils pourraient être les fils de Tshishekedi !
Voilà pourquoi, moi, je ne m’engage pas politiquement aux côtés des politiques congolais. J’ai une vision pour le Congo et je pense que le jour où je serai prête, je me mettrai également sur le devant de la scène. J’ai aussi le devoir d’apporter quelque chose à mon pays.
notes :
La justice américaine blanchit Dan Gertlter https://www.financialafrik.com/2020/08/29/la-justice-americaine-blanchit-dan-gertler-contre-glencore/
Protocole d’accord signé entre Gertler et les autorités RDC qui protège Dan Gertler de toute enquête judiciaire : https://www.hrw.org/fr/news/2023/04/17/146-organisations-condamnent-le-proces-intente-par-dan-gertler-contre-la-coalition
Signature de Félix Tshisekedi avec deux bureaux de lobbying américains https://www.africaintelligence.fr/afrique-centrale/2022/03/24/la-double-strategie-de-lobbying-de-kinshasa-a-washington,109762634-art
Cabinets de lobbying américains en Afrique : https://information.tv5monde.com/afrique/le-succes-des-groupes-de-lobbying-americains-en-afrique-inquiete-2103345
Source : investig’Action
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