La confirmation officielle par l’administration Trump de la tenue de pourparlers discrets avec les rebelles yéménites Houthis indique une prise de conscience à Washington : son intervention militaire catastrophique dans le pays arabe exige une sortie. Il y a aussi des reportages selon lesquels l’administration Trump exhorte les dirigeants saoudiens à négocier avec les Houthis, aussi connus sous le nom d’Ansar Allah, afin de trouver une sorte de règlement à la guerre qui dure depuis plus de quatre ans. Bref, les Américains veulent sortir de ce bourbier.
C’est un sacré retournement de situation. La coalition saoudienne, soutenue par les États-Unis, avait jusqu’à présent justifié son agression contre le pays le plus pauvre de la région arabe en affirmant que les rebelles étaient des forces par procuration de l’Iran. Aujourd’hui, il semble que Washington estime que les « terroristes » houthis méritent d’être écoutés.
Cela suit un schéma semblable à beaucoup d’autres guerres étrangères américaines. D’abord, l’agression est « justifiée » par des prétentions moralisatrices à combattre des « communistes » ou des « terroristes » comme au Vietnam et en Afghanistan. Pour ensuite que Washington, après de nombreux massacres et destructions inutiles, tende un rameau d’olivier aux anciens « méchants » afin de sortir du désastre qu’elle a elle-même causé.
Les pourparlers avec les Houthis ont été confirmés la semaine dernière par le secrétaire adjoint américain aux affaires du Proche-Orient, David Schenker, lors d’une visite en Arabie Saoudite.
« Nous nous concentrons sur l’objectif de mettre fin à la guerre au Yémen », a dit Schenker. « Nous discutons aussi, dans la mesure du possible, avec les Houthis pour essayer de trouver une solution négociée et mutuellement acceptable au conflit. »
En réponse, un haut responsable houthi, Hamid Assem, a déclaré : « Que les États-Unis disent qu’ils nous parlent est une grande victoire pour nous et prouve que nous avons raison. » Toutefois, il a refusé de confirmer que des négociations étaient bien en cours.
L’impudence du gouvernement américain serait presque admirable. Remarquez la façon dont le diplomate américain a dit « nous sommes concentrés sur la fin de la guerre » et parlé d’une « solution mutuellement acceptable ».
Comme si Washington était une sorte d’intermédiaire honnête essayant d’apporter la paix à un pays frappé par une violence sortie de nulle part.
La guerre a été lancée par une coalition saoudienne soutenue par les États-Unis, avec les Émirats Arabes Unis, en mars 2015, sans aucune provocation du Yémen. Le facteur déclenchant a été le fait que les Houthis, un groupe rebelle principalement chiite aligné avec l’Iran, avaient expulsé un dictateur corrompu soutenu par les Saoudiens à la fin de l’année 2014. Lorsqu’il s’est enfui tête basse à Riyad, la capitale saoudienne, les Saoudiens ont lancé leur campagne de bombardements aériens sur le Yémen.
Le massacre des quatre dernières années au Yémen a été une calamité, rien de moins, pour une population de près de 28 millions de personnes. L’ONU estime que près de 80% cent de la population du pays souffre de faim et de maladies.
Un rapport de l’ONU publié la semaine dernière a explicitement tenu les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France pour responsables de leur complicité dans des crimes de guerre en raison de leur approvisionnement en avions de guerre, munitions et logistique aux militaires saoudiens et émiratis, qui bombardaient sans discrimination des civils et des infrastructures publiques. Le rapport de l’ONU reproche également aux Houthis d’avoir commis des atrocités. C’est peut-être vrai, mais la vaste majorité des morts et des destructions au Yémen est due au soutien militaire américain, britannique et français à la coalition dirigée par les Saoudiens. Jusqu’à 100 000 civils ont peut-être été tués lors de la blitzkrieg soutenue par l’Occident, tandis que les médias occidentaux continuent de systématiquement citer le chiffre de « 10 000 », qui comme par magie, ne semble pas avoir augmenté au cours des quatre dernières années.
Plusieurs facteurs poussent l’administration Trump à mettre fin à la guerre au Yémen.
Les conditions humanitaires infernales et la complicité dans des crimes de guerre ne peuvent plus être dissimulées par le mensonge de Washington sur sa prétendue lutte contre la « subversion iranienne » au Yémen. Ce pays de la péninsule arabique méridionale représente un désastre absolu, en termes d’image, pour les prétentions officielles américaines à être un leader mondial en matière de vertu démocratique et de respect du droit.
Lorsque le Congrès américain s’unit pour voter l’interdiction des ventes d’armes américaines à l’Arabie Saoudite en raison des atrocités commises au Yémen, il faut comprendre que la guerre de la communication a été perdue. Le Président Trump a passé outre la décision du Congrès au début de l’année pour continuer à armer les Saoudiens au Yémen. Mais face au génocide au Yémen, même Trump doit enfin se rendre compte que son gouvernement n’est plus excusable, même pour les consommateurs de propagande américaine les plus crédules.
Après quatre années de frappes aériennes incessantes, devenues financièrement ruineuses pour la monarchie saoudienne et son prince héritier Mohammed ben Salman, qui a conçu la guerre, les Houthis contrôlent toujours la capitale Sanaa et de vastes portions du pays. Les bombardements barbares et la famine imposés au Yémen n’ont pas délogé les rebelles.
Non seulement cela, mais les Houthis ont commencé à porter la guerre au cœur de l’Arabie Saoudite. Au cours de l’année écoulée, les rebelles ont lancé des drones et des missiles balistiques à longue portée de plus en plus sophistiqués contre des bases militaires saoudiennes et la capitale Riyadh. D’où les Houthis reçoivent leurs armes les plus mortelles n’a pas été éclairci – peut-être du Hezbollah libanais ou de l’Iran. En tout état de cause, une telle aide, si elle est confirmée, pourrait être considérée comme un soutien légitime à un pays confronté à une agression indue.
Il ne fait aucun doute que les Houthis, qui frappent au plus profond du territoire saoudien, ont sérieusement donné matière à réflexion aux monarques somnolents de Riyad.
Lorsque les Émirats Arabes Unis – l’autre principal partenaire de la coalition – ont annoncé il y a un mois qu’ils réduisaient leur participation au conflit au Yémen, Washington et Riyad ont dû se rendre compte que la guerre était effectivement futile.
La défaite est encore aggravée par le conflit ouvert qui a éclaté ces dernières semaines entre des militants rivaux respectivement parrainés par les Saoudiens et les Émiratis dans la ville portuaire d’Aden, au sud du pays. Des reportages parlent d’avions de combat des Émirats Arabes Unis qui auraient attaqué des militants soutenus par l’Arabie Saoudite, et de forces saoudiennes qui se seraient renforcées. Une guerre verbale a éclaté entre Riyad et Abou Dabi. Il y a de fortes chances pour que les factions rivales s’engagent dans une guerre par procuration entre l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, supposément des alliés dans la coalition.
Washington a sans doute pris note de la catastrophe en cours au Yémen et de l’impossibilité de défendre sa position.
Comme dans tant d’autres guerres américaines infâmes au fil des décennies, Washington fait face à une défaite humiliante au Yémen. Quand les États-Unis commencent à parler de « mettre fin à la guerre » et de « paix mutuelle », alors vous savez que leur jeu sordide est enfin terminé.
Source: Entelekheia