La guerre en Ukraine, inhumaine et plongeant des populations entières dans le désespoir et la misère, ne peut-elle se lire comme un signe avant-coureur de la confrontation entre les États-Unis et la Chine ? Cette confrontation est-elle inéluctable ? Ne peut-on imaginer un monde ouvert et interconnecté tel que proposé par les nouvelles Routes de la Soie (BRI) ? L’ouverture, l’interconnexion et la solidarité sont des conditions indispensables pour réfléchir et agir efficacement en faveur du climat et de la planète. Or l’urgence climatique est, aujourd’hui plus que jamais, un sujet qui doit être au cœur de nos préoccupations !
Lancée en 2013, l’Initiative Belt and Road (BRI) a fini par s’imposer comme un gigantesque projet d’infrastructures pour relier l’Empire du Milieu à l’Europe, au reste de l’Asie, au Moyen-Orient et à l’Afrique. Le projet qui rassemble actuellement 150 pays partenaires comprend un réseau de routes et de voies ferrées (anciennes et nouvelles) ainsi qu’une voie maritime qui relie la Chine à l’Europe en passant par l’Asie centrale, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique. Le coût de l’investissement est estimé à 1000 milliards de dollars et le projet lui-même devrait durer une dizaine d’années avant d’être pleinement opérationnel.
La BRI signe un rapprochement entre la Chine et l’UE d’une part, et la Chine et les pays islamiques d’autre part. Cela n’est pas pour plaire à la Maison blanche.
Le 15 novembre 2020, 15 États d’Asie et du Pacifique ont signé un accord de partenariat économique global régional (RCEP pour « Regional Comprehensive Economic Partnership Agreement »). Le RCEP réunit dix États membres de l’ASEAN (Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, Myanmar, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam) et cinq autres États de l’Asie et du Pacifique : la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cet accord impressionne tant par le champ géographique couvert que par son aspect économique. Il concerne plus de 2 milliards d’individus et représente 30% du PIB mondial. Il est à ce titre le plus grand accord de libre-échange au monde. Le RCEP prévoit l’élimination des droits de douane à hauteur de 90%. Pour bon nombre de produits les droits de douane seront annihilés dès l’entrée en vigueur de l’accord. Pour les autres l’élimination se fera de manière progressive sur 20 ans. Comme de nombreux accords de libre-échange, le RCEP comprend des volets relatifs à la propriété intellectuelle, aux investissements, au commerce électronique, à la concurrence et aux petites et moyennes entreprises. L’ensemble de ces mesures vise à garantir un niveau élevé de libéralisation des échanges entre les signataires. Le RCEP permettra à cette région et plus particulièrement à la Chine d’asseoir son influence économique face aux États-Unis, première puissance mondiale.
Le RCEP est entré en vigueur au début de l’année 2022. Cela non plus n’est pas pour plaire aux USA… sans parler de la percée de la Chine dans le domaine du numérique et des nouvelles technologies vertes où elle s’est imposée ces dernières années.
Quel rapport avec le conflit russo-ukrainien ?
Le mardi 22-02-2022 ne fut pas un jour comme un autre. Certes, il y a le fameux palindrome que certains prophètes modernes ont interprété comme « apocalyptique », mais il y a surtout la rapidité avec laquelle Jo Biden a dénoncé « le début d’une invasion russe de l’Ukraine » et a décidé, de but en blanc, d’une « première tranche » de sanctions qui viendraient couper la Russie des financements occidentaux. Comme il fallait s’y attendre, les 27 États membres de l’UE ont suivi l’exemple et ont adopté un ensemble de mesures de rétorsion à l’encontre de la Russie.
Ce ne fut qu’un début, comme on le sait.
Sans vouloir excuser ni minimiser la décision de Poutine d’avoir déployé son armée en Ukraine – pays juridiquement indépendant, agressé par une puissance étrangère, c’est incontestable -, je ne peux m’empêcher de penser que cette guerre fut une bénédiction pour Washington.
Les États-Unis sont le premier pays à alimenter l’armée ukrainienne, à hauteur de 14 milliards de dollars pour le seul vote du 10 mars, une armée dont on sait qu’elle comprend des éléments néo-nazis. Les États-Unis sont les derniers à souhaiter un cessez-le-feu en Ukraine, car si cette guerre se prolonge, elle pourrait avoir un impact énorme sur les chaînes industrielles au niveau mondial. Elle permettrait à l’administration Biden de résorber la crise économique interne à laquelle la première puissance économique doit faire face. Selon les données du ministère américain du travail, l’inflation a atteint 8,5 %, le « panier de la ménagère » a atteint son niveau le plus élevé depuis 40 ans, le prix de l’essence est monté en flèche ; en outre, la violence raciale est endémique, le pourcentage d’incarcérations est le plus élevé au monde, etc.
Le gouvernement américain déplace ses problèmes internes vers d’autres pays : une guerre par procuration de plus à l’actif d’Oncle Sam !
La guerre en Ukraine s’est présentée aux États-Unis comme une planche de salut sur laquelle Jo Biden a sauté à pieds joints, entraînant dans un surf dangereux les 27 États européens. Cette fois, ils sont les premiers à faire les frais de la guerre et à s’alarmer de la montée en flèche de l’extrême droite en Europe.
Mais derrière le danger immédiat de la guerre et sa menace d’une catastrophe nucléaire, s’ajoute encore l’explosion du système financier transatlantique. Un processus d’hyperinflation a déjà été déclenché à l’échelle mondiale, accompagné d’un effondrement économique des nations occidentales. L’ordre mondial conçu après la Seconde Guerre mondiale a donné naissance à l’ONU, à la Banque mondiale, au FMI, à l’OTAN, à l’OMC, à l’OMS et autres institutions similaires. Conçues pour promouvoir la démocratie, les droits de l’homme, le capitalisme, la consommation, et des alliances militaires, ces institutions ont joué leur rôle pendant 75 ans. Mais l’establishment au pouvoir a utilisé son système financier pour perpétuer l’état colonial de sous-développement d’une majorité de la planète. Et paf ! Cela lui retombe sur le nez !
Pour maintenir coûte que coûte ce système vétuste et ôôô combien injuste et dévastateur, ses principaux responsables – Londres et Wall Street – s’empressent de détruire toute alternative fonctionnelle, telle que celle présentée par la Russie, la Chine, l’Inde ou d’autres.
Un exemple : il est aisé de constater que la guerre russo-ukrainienne coupe la BRI de manière nette, élevant un « mur de fer » entre l’UE et la Chine, minant tous projets de coopération et d’unité eurasiatique, et par là, désossant le RCEP qui rassemble plus de deux tiers des pays du monde dont une majorité sont des pays à faible revenus (PFR, ou pays en voie de développement).
La Chine et les pays en développement en Asie du Sud et au-delà, ainsi que les pays islamiques impliqués dans la BRI et le RCEP, suivent de près les développements de la crise russo-ukrainienne. Leur consensus général inclut la nécessité de résoudre les différends de façon pacifique, par le dialogue. Ils insistent pour n’être pas pris au piège de l’obligation de choisir un camp: pro-russes ou pro-ukrainiens, tels que les médias les poussent à le faire.
Au contraire, tous ont émis le désir de promouvoir une coopération de haute qualité dans le cadre des nouvelles Routes de la Soie, mais aussi de renforcer la communication et la coordination dans la mise en œuvre des initiatives mondiales pour le développement, afin de soutenir la réalisation de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable. Cette nouvelle vision du monde, portée par la Chine et par ses partenaires, parviendra-t-elle à remodeler radicalement le système économique mondial ? Telle est la condition sine qua non pour atteindre la paix et pour agir efficacement dans la seule lutte qui en vaille actuellement la peine, celle pour préserver la planète et ses écosystèmes.
“Pour répondre à la crise climatique, nous avons besoin de paix, de solidarité, de coopération entre tous les États”, a déclaré fermement Antonio Guterres lors d’une conférence sur le développement durable organisée par The Economist à Londres le 21 mars 2022.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait pénaliser encore davantage les actions en faveur du climat. De nombreux pays, y compris en Europe, se sont engagés dans une recherche effrénée de nouveaux approvisionnements en gaz et pétrole pour remplacer leurs importations russes, confortant ainsi leur dépendance aux combustibles fossiles. Insistant sur l’urgence liée au contexte actuel, les entreprises du pétrole et du gaz commencent quant à elles à « suggérer » de lever les mesures les limitant dans la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux de gaz de schiste qui, faut-il le rappeler, sont désastreux pour les nappes phréatiques et pour le climat.
Cela est totalement à rebours des préconisations de tous les scientifiques ; non seulement celles du GIEC mais aussi celles du Programme des Nations Unis pour l’Environnement, de l’Agence internationale de l’Énergie ou en France, du Shift Project, de NégaWatt, de l’Institut Rousseau, de RTE, de l’ADEME… Tous les chercheurs prônent une réduction drastique de l’usage des combustibles fossiles et un développement rapide et important des alternatives à leur utilisation.
Le secrétaire général de l’ONU a ajouté: « Si nous continuons comme ça, nous pouvons dire adieu à l’objectif de 1,5°C. Celui de 2°C pourrait aussi être hors d’atteinte. » Antonio Guterres ne peut que s’alarmer – et regretter – qu’en dépit de l’aggravation de la situation, les émissions de gaz à effet de serre des grandes économies du monde aient continué d’augmenter ces dernières années, faisant craindre un réchauffement supérieur à 2°C, voire « bien supérieur ». Il appuie sa réflexion sur les conclusions des experts du GIEC, dont les termes ont été négociés ligne par ligne par les 195 États membres; elles sont sans appel.
Dans le premier volet de son évaluation publié en août dernier, le GIEC estimait que le seuil de +1,5°C de réchauffement serait atteint autour de 2030, soit bien plus tôt que prévu et de manière bien plus sévère. Il laissait toutefois une porte ouverte, évoquant un retour possible sous la barre du réchauffement de 1,5°C d’ici la fin du siècle en cas de dépassement.
Le deuxième volet publié en février dernier souligne que même un dépassement temporaire de +1,5°C provoquerait de nouveaux dommages irréversibles sur les écosystèmes fragiles, avec des effets en cascade sur les communautés qui y vivent, souvent les moins aptes à y faire face.
Le troisième volume du sixième rapport du GIEC consacré aux solutions pour atténuer le changement climatique a été publié ce 4 avril. Il y est une nouvelle fois rappelé que les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter ; elles n’ont jamais été aussi élevées en valeur absolue de toute l’histoire de l’humanité.
L’urgence climatique est, aujourd’hui plus que jamais, un sujet qui doit être au cœur de nos préoccupations !
Si nous n’étions pas aussi sourds et influencés par les mass médias qui ne nous transmettent que la voix de Wall Street et des grands capitaux, nous entendrions peut-être qu’il existe une autre manière de penser et d’agir.
Le concept de “civilisation écologique” porté par la Chine constitue une alternative réaliste à un système économique destructeur, tel que nous le connaissons depuis bientôt trois siècles, fondé sur les principes de la libre entreprise, de la possession privée des biens de production, de l’acceptation du profit comme moteur de l’activité économique sans que les citoyens soient protégés de l’avidité sans frein et des effets négatifs d’une mondialisation anarchique.
Durant les dix dernières années, la Chine a connu de rapides améliorations environnementales, au niveau de la pollution de l’air, des eaux de surface, au niveau de la faune et de la flore. Les énergies renouvelables ont sensiblement augmenté, leur part dans la consommation est passée de 3% en 1978 à 14% en 2018. La Chine a investi massivement dans ces énergies, devenant ainsi une championne de l’éolien et du solaire. Certes, ses effforts ne sont pas encore suffisants pour répondre aux normes de l’accord de Paris de 2015, mais elle s’est donné des échéances écologiques sévères – pic d’émissions de gaz à effet de serre avant 2030, et neutralité carbonne en 2060 – et elle saura les respecter.
C’est dans cette même idée de “civilisation écologique” que Xi Jinping a lancé la BRI et a cosigné le RCEP, car les notions de “développement durable” et “d’harmonie entre l’humain et la nature” ne peuvent pas se concevoir sans celles de la solidarité et de l’interconnectivité entre les peuples. De plus, un monde ouvert et interconnecté répond aux besoins humains fondamentaux : « que chacun soit capable de développer tous les potentiels inhérents qu’il possède en un tout harmonieux, contribuant ainsi au meilleur développement futur de l’humanité », selon Leibniz, philosophe de la Renaissance, fin connaisseur de la Chine, et acteur du « devenir humain » au même titre que Confucius.
Source: Chine Ecologie
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Sources :
https://www.investisseur-sans-costume.com/seleve-la-grande-muraille-de-fer/?fbclid=IwAR3DIzKH6cW78b0pFIs_sHg-pjPTnzGTPCAn9RswCcMQnbwfFcAwLN6Am0U
« Climate Change 2022 : Impacts, Adaptation and Vulnerability », IPCC, 4 avril 2022, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/
« Climate Change 2022 : Impacts, Adaptation and Vulnerability », IPCC, 4 avril 2022, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/