Officiellement, l’intention d’appliquer un embargo sur le pétrole au Venezuela est apparue pour la première fois lors d’un discours prononcé par Nikki Haley en septembre dernier. L’ambassadrice étasunienne à l’ONU a déclaré à l’époque que cette option n’était pas exclue, rejoignant les demandes d’un groupe de députés du sud de la Floride, dirigé par Marco Rubio, pour que cette mesure soit adoptée.
Les protagonistes parlent
En novembre de cette année, le président argentin Mauricio Macri a dit au Financial Times à New York que les Etats-Unis « devraient aller au fond des choses avec un embargo sur le pétrole » car, selon lui, cette mesure contribuerait à augmenter la pression sur le Gouvernement vénézuélien.
Dans le cadre de sa tournée dans différents pays d’Amérique Latine pour intensifier le blocus du Venezuela, le secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Rex Tillerson, a remis le sujet sur le tapis lors d’une conférence de presse qu’il a donnée avec le chancelier argentin Jorge Faurie.
De l’avis de Tillerson, cette mesure est envisagée parce qu’on « ne peut pas permettre la destruction du Venezuela sans rien faire. » Il évoque ainsi entre les lignes l’imminence des élections présidentielles qui pourraient avoir pour vainqueur le président Nicolás Maduro.
Rapide définition d’un outil politique
En politique et en droit international, l’image de l’embargo implique une interdiction du commerce totale ou partielle dans des secteurs économiques, militaires, financiers ou pétroliers décrétée par un Gouvernement, un ensemble de Gouvernements ou par des organisations multilatérales contre un pays précis. Dans le cas du Venezuela, l’importance du pétrole dans le fonctionnement de son économie en fait le secteur qui serait l’objet d’un embargo à cause des effets négatifs que produirait celui-ci.
Quand il s’agit d’un embargo concernant des secteurs stratégiques de l’économie, c’est fondamentalement une mesure politique destinée à déstabiliser et à saper un pays qualifié « d’hostile. »
D’autres formes d’embargo comme l’embargo militaire ou financier, par contre, sont destinés à avoir des répercussions négatives sur la capacité de défense du pays ou sur la marge de manœuvre de ses finances internationales.
Les Etats-Unis, en utilisant comme avant-centre l’ONU ou l’Union Européenne, ont appliqué ces dernières années, des embargos sur le pétrole à des pays comme l’Irak, l’Iran et la Syrie, comme mesure extrême pour restreindre leurs revenus et provoquer des débâcles économiques tout en boycottant les fournitures d’armes et le commerce international.
Implications éventuelles : antécédents, quelle sorte d’embargo, chiffres et perspectives
En juillet 2017, l’Association des Fabricants de Combustibles et de Pétrochimie (AFPM), représentative de 95% du secteur du raffinage étasunien, a envoyé une lettre au président Donald Trump pour l’alerter sur les effets négatifs qu’aurait sur ses opérations un embargo sur le pétrole contre le Venezuela.
Qualifiant le pays d’important fournisseur de brut lourd, l’AFPM assurait que cette mesure les obligerait à chercher de moins bonnes fournitures, ce qui aurait un impact négatif sur la production de différents dérivés et augmenterait les coûts. Sans parler de la technologie spéciale d’au moins 20 raffineries sur la Côte du Golfe des Etats-Unis qui traitent cette sorte de pétrole en particulier…
Ils soulignent que les difficultés du transport avec le Canada et les caractéristiques du brut du Mexique et de la Colombie les empêcheraient de remplacer facilement le pétrole vénézuélien et amènerait une augmentation des coûts qui serait répercutée sur le consommateur. Les principales entreprises de raffinage affectées seraient Phillips 66, Valero Energy et Chevron.
La lettre s’achève en alertant la Maison Blanche sur les effets négatifs qu’aurait un embargo sur le pétrole pour les raffineries et les consommateurs étasuniens, une mesure qui, selon ses auteurs, « ne résoudrait pas les véritables problèmes du Venezuela. »
Si on surmonte le barrage de ce puissant lobby et si on met en place l’embargo sur le pétrole vénézuélien, il faut se demander quelle sera sa portée. En octobre 2017, la raffinerie PBF Energy, à cause de pressions du Département du Trésor, a suspendu ses achats de pétrole vénézuélien, un antécédent qui montre la capacité relative de la Maison Blanche à passer par-dessus certains intérêts.
Il y a au moins 2 scénarios possibles :
1° – Que les Etats-Unis interdisent l’importation de brut vénézuélien par les raffineries étasuniennes ainsi que l’exportation de certains diluants au Venezuela.
2° – Que les Etats-Unis interdisent l’activité pétrolière vénézuélienne aux Etats-Unis.
Dans le premier cas : Selon une enquête du site spécialisé en pétrole Oil Price, PDVSA vend actuellement quelque 200 000 barils par jour aux raffineries des Etats-Unis. Le blocus financier appliqué par la banque et le Département du Trésor limite la remise de notes de crédit comme moyen de paiement à PDVSA.
L’embargo sur le pétrole n’aura de répercussions négatives que sur les plans de changement de régime des Etats-Unis au Venezuela.
Au cas où les Etats-Unis interdiraient l’achat de brut, le pays subirait une baisse importante de ses revenus : une perte nette, au prix actuel du panel vénézuélien, de 4 380 millions de dollars par an, sujette aux facteurs de repositionnement. PDVSA devrait replacer sur le marché asiatique (Chine et Inde) ces 200 000 barils, ce qui impliquerait une augmentation des coûts et ainsi une diminution des bénéfices nets de PDVSA dans l’immédiat.
Concernant l’importation de produits raffinés des Etats-Unis, l’ AFPM elle-même s’inquiète parce que PDVSA pourrait surmonter l’embargo en achetant des produits similaires dans le Bassin de l’Atlantique, ce qui entraînerait une réduction importante de ses bénéfices.
Dans le second scénario, l’objectif serait directement CITGO, la filiale étasunienne de PDVSA. Si on appliquait un embargo total sur le pétrole, il serait interdit à la filiale d’avoir recours au Mexique ou au Canada pour garder ses raffineries opérationnelles et cela affecterait ses opérations, sa valeur sur le marché et le rapatriement de dividendes importants au Venezuela. Une occasion pour les fonds vautours et les détenteurs de la dette de tendre la corde de la justice étasunienne pour forcer une confiscation de la sixième plus importante raffinerie des Etats-Unis en accusant les pertes de ses investissements.
Les répercussions négatives envers les consommateurs sont aussi un aspect important. Cette mesure pourrait amener l’interruption du circuit de raffinage de CITGO et, en conséquence, de 6 000 stations-services qui alimentent tous les jours le territoire des Etats-Unis, ce qui provoquerait une hausse des prix du combustible. Très certainement, l’administration Trump ne voudra pas se battre sur ce terrain qui représente un point « inflammable » de la politique intérieure et se répercuterait directement sur la popularité du président.
Conclusions
Au-delà des aspects techniques d’un éventuel embargo, le contexte implique une portée et des objectifs politiques particuliers.
Actuellement, le centre de la situation économique est le blocus du financement international et des importations, l’administration de revenus restreints pour l’achat d’aliments et de médicaments et la restructuration de PDVSA.
Justement, l’embargo sur le pétrole, dans les 2 cas, est destiné à intensifier la diminution des revenus du pays, à réduire l’offre de médicaments et de produits vitaux pour la population et à boycotter les plans de rétablissement de PDVSA. L’embargo est aussi un nouveau pari sur le défaut de paiement du Venezuela à moyen terme.
Par une mesure aussi extrême, les Etats-Unis cherchent à parachever un cycle d’agressions financières pour, immédiatement, faire obstacle au plan économique – qui va de l’élargissement des CLAP et du Carnet de la Patrie au lancement du Petro (une nouvelle crypto-monnaie, ndlr) et du nouveau DICOM – pour pouvoir mieux gérer l’économie du pays.
Dans le domaine politique, l’embargo semblerait être une sanction dans l’éventualité où le résultat des présidentielles au Venezuela serait contraire aux intérêts des Etats-Unis. Ce message est clair et ferme : châtier la population pour préserver la paix et la stabilité politique dans le cadre de la Constitution.
Si l’embargo sur le pétrole devenait officiel, le Venezuela pourrait replacer en 90 jours les 200 000 barils sur le marché asiatique pour amortir progressivement les pertes en recevant des paiements en d’autres monnaies que le dollar des Caraïbes, d’Asie et d’autres pays pourraient importer régulièrement des produits nécessaires au marché intérieur. L’élargissement des relations énergétiques avec des entreprises mixtes et des partenaires russes et chinois peut signifier que les plans d’augmentation de la production, malgré le boycott, restent d’actualité.
Ces données permettent de voir que cette mesure n’atteindra pas l’objectif politique espéré : pousser à l’extrême les conditions pour surexploiter l’effet vitrine de la « crise humanitaire. » C’est peut-être pour cette raison que Rex Tillerson finira sa tournée en Jamaïque. Peut-être espère-t-il que certains pays des Caraïbes accompagnent cette mesure destinée à limiter les achats de brut vénézuélien et le travail des circuits de raffinage. Alors, il cherche à se montrer comme un partenaire énergétique fiable pour la région, comme le stipule l’Initiative de Sécurité Energétique des Caraïbes conçue pour en finir avec Petrocaribe.
Les Etats-Unis ont besoin de faire du Venezuela un conflit multilatéral, c’est pourquoi l’embargo est envisagé en Argentine (siège de la réunion du G-20 en 2018) et pas à Washington. Il est important d’attirer les éventuels marchés sur lesquels seraient placés les barils vénézuéliens pour élargir l’interdiction.
Plus de 40% du pétrole vénézuélien est vendu en Asie, c’est pourquoi un accompagnement de l’embargo par l’Union Européenne affecterait peu les ventes du Venezuela. Il est également peu probable qu’il y ait un accompagnement du Conseil de Sécurité de l’ONU s’ils décidaient d’aller jusque-là, étant donné les liens politiques et énergétiques de la Russie et de la Chine avec le Venezuela.
En termes de temps et de ressources, l’application d’un embargo implique une augmentation des coûts politiques puisque la réponse du chavisme et du Gouvernement amènera la cohésion contre les Etats-Unis et en faveur des réponses économiques qui sont en train d’être mises en place.
Beaucoup d’analystes qui travaillent à donner une base solide au discours sur les sanctions alertent même sur le fait qu’affecter la population par des mesures extrêmes ne se répercutera négativement que sur le plan de changement de régime.
Traduit de l’espagnol par Françoise Lopez pour Bolivar Infos. Relecture par Investig’Action
Source : Mision Verdad