Le 29 mai, dans le cadre du projet de loi sur l’Agriculture du ministre Stéphane Travers, après des jours interminables de débats et de votes à répétition sur les amendements, un vote se fait à la sauvette. Sciemment décalé par le président de l’Assemblée Nationale à un moment où l’absentéisme culmine, comme en témoigne le député François Ruffin, le Parlement rejette à la surprise générale l’amendement demandant l’interdiction du glyphosate, par une majorité de 63 députés sur 85 votants. Il faut être « réaliste », « tant qu’on n’a pas une alternative pour nos paysans »…
La maffia européenne des pesticides en tout cas se frotte les mains : il y a quelques mois les sauveurs de la Nature, sous la bannière de notre Nicolas Rhone-Poulenc Hulot, furent déjà incapables d’imposer à Bruxelles l’interdiction, même à terme, de cette star incontestée des pesticides ; le glyphosate, mieux connu sous le nom de Round Up…
La dernière « promesse » du candidat Macron était donc, ô surprise, une entourloupe de plus… quelque soit le périmètre dans lequel nous pourrions sortir l’agriculture d’un tel poison pour le sol et pour tous ceux qui y travaillent… pendant que le clown Hulot démontre, sur ce dossier comme sur tous les autres, l’incapacité consubstantielle à l’écologie pro-européenne, à surmonter les graves désordres que le capitalisme inflige à la planète et aux peuples. « Europe Ecologie Les Verts »… Tout un programme !
Il est sans doute plus facile de lancer des « campagnes de sensibilisation » sur les 10 fruits et légumes (assaisonnés au Round Up donc), que d’assumer les pétitions de millions d’européens, sans doute un peu naïfs, mais soucieux d’en finir avec ce scandale agro-alimentaire.
C’est vrai que le patronat français, via ses ministères, n’en est pas à son coup d’essai dans ce domaine : Bien avant le scandale Lactalis et tant d’autres, les békés français des colonies antillaises n’avaient par exemple pas hésité à envoyer en chimio des milliers de cultivateurs de bananes et habitants locaux en poursuivant le commerce du pesticide chlordécone bien après (1993) que celui-ci soit interdit par tous les autres pays, USA compris (1977) ! Des sols empoisonnés pour les 5 prochains siècles, des centaines de nouveaux cancers de la prostate chaque année en Martinique et en Guadeloupe…
Le glyphosate, pas dangereux ? Il faudrait demander aux dockers qui déchargent depuis des années des tonnes de soja OGM « RR » (Round Up Resistant). Après des années à respirer ces poussières, on vient juste de les inviter à mettre des masques filtrants… après combien de cancer de la prostate ?
Ce soja est imprégné de l’herbicide, pour lequel il est programmé à résister, et nourrit des millions de vaches européennes, elles-mêmes destinées à produire du lait qui, faute d’abreuver d’hypothétiques consommateurs chinois, finira dans les fossés normands. Utopie productiviste ?
Les derniers « doutes » sur les risques sanitaires liés au glyphosate tenaient à des conclusions de laboratoire notoirement truquées sous la pression du géant Monsanto, selon les récents « Monsanto papers ». Serons-nous bientôt cyniquement invités par le Ministère de la Santé à faire « de grosses épluchures » quand nous mangerons des fruits et légumes, comme jadis les guadeloupéens et les martiniquais cultivant leurs jardins pollués au chlordécone étaient invités à le faire, comme en témoigne Elie Domota, dirigeant syndicaliste du LKP ?
Le même jour, l’annonce d’une fusion entre 2 monstres de l’agrobusiness US-UE
Mais ne soyons pas complotistes… C’est un pur hasard si le sacre du RoundUp par notre DHR Macron et ses « n+1 » français, européens, américains survient précisément le jour où l’administration US donne son feu vert, faisant suite à celui de Bruxelles, à la grande fusion germano-américaine des empires Bayer et Monsanto : Évènement peu médiatisé mais d’incidence planétaire, qui inquiète les vrais « écologistes », c’est-à-dire les syndicats paysans de l’internationale Via Campesina par exemple. Ensemble, Bayer et Monsanto posséderont dans quelques mois plus de 61% du marché mondial des semences et pesticides, et finiront d’écraser, avec les dégâts sociaux et environnementaux désormais bien connus, les travailleurs de la terre qui n’ont pas eu la présence d’esprit de naître près de Bruxelles ou Washington. Pour les autres, ceux de nos pays, l’avenir n’est pas moins sombre avec la spirale de l’endettement qui les pousse à s’endetter pour d’absurdes promesses d’ouvertures de marché chinois par exemple…
Le dopage des sols, c’est comme le dopage des sportifs de haut niveau : Seule l’interdiction formelle et s’appliquant à tous peut fonctionner. En attendant, « réduire l’incitation » à l’achat du glyphosate (seule indication vaguement « écolobobo » du projet de loi) ne sera qu’effet d’annonce : On n’achète pas des tonnes de RoundUp au supermarché du coin après avoir regardé les pubs à la télé… Et que dire des petits îlots d’agriculture « bio » dans cet océan de glyphosate en France ou ailleurs en Europe, ces exploitations qui déploient tant d’efforts sans parvenir à annuler les taux de pesticides retrouvés sur leurs productions… tout en augmentant bien sûr leurs prix (et les marges qu’y font à leur tour les grandes surfaces !)…
Alors, le véritable « bio » serait-il réellement incompatible avec le capitalisme ? Quelle découverte ! C’est vrai que dans ce monde invraisemblable que domine l’agro-business, un « petit village » tient encore tête à l’impérialisme…
Triomphe de l’agroécologie cubaine ou gesticulations euroécologistes ?
C’est souvent dans les pires conditions que les travailleurs et les peuples révolutionnaires démontrent ce dont ils sont positivement capables. N’est-ce pas sous les ruines de la France d’après guerre, en 1946, que la CGT et le ministre communiste Ambroise Croizat jettent les bases de la sécurité sociale : celle qui précisément « nous coûte si cher » aujourd’hui à entendre le MEDEF, et serait pour notre pays, l’un des plus riches du monde, un fardeau à réformer d’urgence ? N’est-ce pas après une guerre civile désastreuse, des famines et les bombes d’une Europe liguée contre eux, que les soviétiques ont érigé une puissance que même la barbarie nazie n’a pas réussi à réduire ?
C’est sans doute sous cet angle qu’il faut comprendre le leadership cubain en matière d’agroécologie : Cuba interdit tous les pesticides en 2006, après une période de mise en pratique tous azimut des théories agroécologiques existantes (le « bio » sérieux, pas celui des tomates « hors sol » sans goût de nos supermarchés), sous embargo et sans le partenaire historique qu’était l’URSS jusqu’en 1990.
Ce n’est pas une position dogmatique : les cubains utilisent encore des pesticides comme dernier recours quand tous les autres ont été tenté (1000 tonnes par an aujourd’hui contre 90 000 tonnes avant 1990). Ce n’est pas non plus une nécessité subie : malgré l’embargo US, Cuba pourrait aujourd’hui importer des pesticides du Venezuela ou de la Chine, mais il ne le fait pas, et préfère poursuivre son expérience agroécologique… en exportant même ses agronomes dans d’autres pays de l’hémisphère sud, pour aider les paysans à échapper à l’esclavage des Bayer-Monsanto !
Les résultats sont simples : leur production agricole dépasse désormais celle d’avant 1990 (agriculture intensive), avec une agriculture nationale totalement bio, et, chose importante, tellement diversifiée, émancipée des « monocultures néocoloniales », qu’elle permet au peuple d’atteindre 75% d’autosuffisance alimentaire : un record dans les pays du sud !
On l’aura compris, la formule magique qui permet de tels résultats, salués depuis des années par l’ONU ou la WWF, c’est tout ce dont nos prétendus « écolo », si démocrates et supérieurs aux autres, sont le plus hostiles : La souveraineté nationale et le socialisme. Avec ces deux axes inséparables, on se doit de respecter la seule ressource qui peut nourrir durablement son peuple : la terre.
Et pour la respecter, il faut investir dans une voie qui est effectivement volontariste et « couteuse », en investissement scolaire par exemple, pour instruire les paysans et former des agrobiologistes en masse, et que seul autorise le système socialiste possédant la terre, libre des grands propriétaires terriens et autres colons. Le sol est la première des richesses nationales, et doit à ce titre être protégé des agressions chimiques, puisque c’est notoirement la vie du sol (celle que tue le glyphosate) qui stimule sa fertilité durable à moindre frais. Avec les pesticides, le sol donne beaucoup à court terme, et plus rien à long terme, épuisé par l’érosion.
Les cubains, qui ne sont pas « écologistes », ont accompli par une nécessité historique liée à la nature de leur système encerclé par le capitalisme, forcés de résister de façon durable et efficace aux pressions de l’impérialisme vorace, ont accompli chez eux des merveilles d’agroécologie que nos « verts » veulent à tout prix cacher du grand public.
C’est pourtant l’occasion de montrer qu’il est possible, sous l’égide des syndicats paysans cubains et de l’internationale Via Campesina, de leur savoir faire réputé, de passer à un autre modèle agricole respectant le producteur comme le consommateur, sur le plan financier comme sur le plan sanitaire. Sous le capitalisme, toute velléité écologiste est obligatoirement abattue ou détournée et ridiculisée… Sous le socialisme, c’est le cours même de la nécessaire résistance à l’impérialisme qui implique une écologie réelle… sans jamais avoir eu recours à « l’écologie politique » !
Guillaume Suing est l’auteur du livre “L’Ecologie réelle : une histoire soviétique et cubaine” (Editions Delga, 2018)