Après l’incroyable Brexit, l’impensable est arrivé : “Trump, raciste, islamophobe et misogyne”, “Trump, milliardaire, populiste et démagogue”, “Trump, pro-russe, agent de Poutine”, etc. , celui que les médias coalisés n’ont cessé de disqualifier bruyamment a finalement remporté la présidence du pays défini par essence par les mêmes médias comme “la plus grande démocratie au monde”. L’élite médiatique, “intellectuelle”, “experte”, moralisatrice, sondagière a été magistralement démentie par les résultats sortis des urnes aux USA. Par un virage à 180 degrés, les mêmes nous assènent maintenant un discours à l’opposé de l’hystérie anti-Trump qu’ils avaient professé auparavant, pendant les primaires d’abord, puis durant l’élection elle-même. Après Obama, l’alternance bien huilée entre “Républicains” et “Démocrates” a été de nouveau écorchée par l’arrivée de Trump.
Première partie de l’analyse de Roland Diagné. (Deuxième partie) (Troisième partie)
Bien entendu, les travailleurs et les peuples, assommés par tant d’inepties médiatiques et intellectuelles sur “l’American way of life” le présentant comme l’alpha et l’omega de la civilisation bourgeoise devant laquelle l’humanité entière devrait se prosterner, modèle que l’humanité entière est sommée d’adopter, ont voté contre la dictature de la “pensée unique”. Les citoyens travailleurs expriment de plus en plus dans les urnes leur révolte contre la souffrance qui leur est infligée par “la démocratie” de classe, le désordre du mode de vie étasunien, les gadgets propagés par les télé-réalités (dont Trump est un produit), les orgies hollywoodiennes obscènes, l’individualisme forcené, l’immoralité de la loi de la jungle, les guerres criminelles de l’Oncle Sam. Ces “produits de consommation” toxiques sont la marque de fabrique de la barbarie inhumaine du capitalisme, libéré temporairement de l’antidote qu’a été, au vingtième siècle, l’existence du socialisme réel.
Confrontés quotidiennement à la mal vie, les travailleurs et les peuples commencent à ouvrir les yeux sur les fastes, les privilèges et les mensonges de la bourgeoisie malgré les sermons des médias, des professeurs et autres experts grassement payés par les milliardaires actionnaires dont la soif de profits est sans limite. La bourgeoisie tente, encore et encore, de vendre en vain des illusions et de couvrir ses forfaits prédateurs d’un vernis idéologique qui, à chaque coup de grisou de la crise générale, s’écorche toujours plus, dévoilant aux yeux des travailleurs et des peuples la nature sauvage du système d’exploitation de l’homme par l’homme.
Les Reagan, Bush, Clinton, Obama et maintenant Trump se révèlent peu à peu comme des étapes successives dans ce processus douloureux de prise de conscience que le mal réside dans le capitalisme lui-même. Mais à ce stade, la croyance qu’il faut un “sauveur suprême” est loin d’être épuisée. C’est ainsi que Trump apparaît encore pour beaucoup d’électeurs étasuniens, tout comme ce fut le cas pour Obama, comme un “sauveur”. En effet, Obama, puis Trump sont les produits de l’état de conscience dans un processus évolutif des électeurs étasuniens qui subissent la duperie monumentale qu’est le jeu sordide de la “démocratie” bourgeoise bipartiste faisant alterner au pouvoir “Républicains” et “Démocrates”, changeant les hommes au pouvoir mais ne changeant rien dans la vie des gens. Pour paraphraser nos “cousins” anarchistes, c’est le “piège à cons” qui continue à aggraver le sort des travailleurs et des peuples au fur et à mesure que s’approfondit la crise structurelle et systémique du mode de production capitaliste arrivé à son stade suprême, l’impérialisme.
Les principales causes du vote Obama puis Trump
a) la paupérisation des travailleurs
Il n’y a rien de “plus grand, de plus prospère, de plus démocratique, de plus civilisé et de plus beau” que le capitalisme des USA. Voilà ce qu’a imposé “l’American way of life” comme “modèle” à suivre. C’est le produit commercial que n’ont cessé et ne cessent de nous vendre les médias et toute la soi-disant “élite pensante, cultivée, instruite” dans les pays impérialistes et dans les néo-colonies. Sur ce mensonge a été édifié le culte quasi divin de la “réussite individuelle” présentée comme le fondement du “bonheur des travailleurs et des peuples”. Mais quelles réalités se cachent donc sous le tapis de ces pubs propagées quasi religieusement, partout dans les sermons médiatiques, universitaires et des réseaux dits sociaux sur internet ?
Alors que la crise économique, celle de subprimes, a déferlé en 2008 sur le monde à partir des USA tout comme celle de 1929, les médias aux ordres continuent de nous bassiner les oreilles avec la croissance US de 2,4% pour l’année 2015. Il est vrai que les pays de l’UE, dépassant difficilement 1,5% de croissance, ont l’œil rivé sur le “grand frère” US définit par essence comme “modèle de référence”. Ce tapage bruyant sur la “croissance” a une fonction idéologique précise: imposer aux travailleurs et aux peuples le mensonge que l’amélioration de leurs conditions de vie dépend de celle-ci et donc qu’il leur faut prendre leur mal en patience. Or pour l’ensemble de la période 1961-2015, on enregistre en 54 ans aux USA une moyenne annuelle de 3,13%. C’est en 1984 qu’on enregistre le plus haut niveau (7,26%) et c’est en 2009 qu’on enregistre le niveau le plus bas (-2,78 %) (1). Ainsi, ce paradigme largement répandu se révèle pour ce qu’il est : un mensonge manipulateur afin de paralyser et d’affaiblir les luttes populaires contre la régression sociale dévastatrice régnant partout, conséquence du régime capitaliste et de son offensive libérale.
Ce que la grande presse des milliardaires cache aux peuples des USA et du monde, c’est une réalité dramatique bien éloignée des chimères de l’eldorado diffusées dans les émissions de télévision, notamment de télé-réalités. En effet, sous le règne de Obama, la pauvreté a atteint 90 millions d’habitants dans le “pays le plus prospère”. Ces “révélations” ont commencé à voir le jour dans certaines enquêtes qui vont encore plus loin en annonçant que 80% de la population du “plus civilisé” des pays survivent dans la précarité, le chômage déguisé en petits boulots fractionnés sur la journée, et que 50 millions survivent ainsi sous le seuil de pauvreté. Sur ces 90 millions de pauvres aux USA, plus de 46 millions font la queue devant les banques alimentaires dès 6h du matin pour y recevoir de quoi ne pas mourir de faim.
C’est cette réalité que Trump a exploité contre les mensonges de l’establishment US : “Eh bien pour commencer, nous ne sommes pas à 5% de chômage. Nous sommes probablement au-dessus de 20% si vous regardez les vrais chiffres. C’est un chiffre qui a été arrangé, statistiquement arrangé pour améliorer l’image des politiciens – en particulier des présidents. Je n’aurais pas les foules énormes que j’ai si ces chiffres étaient réels. Les gens sont extrêmement malheureux dans ce pays” (2).
En fait les années 1960 et les années 70 ont été la période où le niveau de la pauvreté aux États-Unis était le plus bas. Depuis lors, le nombre de pauvres croît au fil des cycles de récession qui se sont succédé en 1980, en 1990, en 2000. En une décennie le nombre de pauvres aux États-Unis a augmenté de plus de 15 millions, passant de 31,6 millions en 2000 à 46,2 millions en 2010. Cette hausse importante est consécutive à la crise économique et financière de 2008. La proportion de pauvres n’a cessé de monter en flèche pour atteindre 15% de la population active. L’augmentation du taux de pauvreté s’est accélérée au cours de ces dernières années passant de 11,3 % en 2000, à 12,5 % en 2007 puis à 15,1 % en 2010.
La crise économique qui perdure depuis 2008 s’est enclenchée alors même que la pauvreté était déjà située à un niveau élevé au point que le nombre actuel de pauvres est le plus élevé jamais recensé depuis que l’on mesure la pauvreté aux États-Unis.
On peut dire que “l’American way of life” tant vanté est devenu un cauchemar social touchant toutes les communautés étasuniennes et de plus en plus ce que d’aucuns appellent les “classes moyennes”: “Les Hispaniques et Asiatiques américains ont vu leur niveau de vie baisser, passant respectivement de 25,8 % à 27,8 % et de 11,8 % à 16,7 % de population vivant sous le seuil de pauvreté. Les Afro-Américains d’un autre côté, ont maintenant une vie un peu moins difficile (de 27,3 % à 25,8 %), notamment grâce aux programmes d’assistance lancés par le gouvernement. Les Blancs sont passés de 9,8 % à 10,7 % de pauvres” (dailygeekshow.com/etats-unis-pauvrete-population). Ces chiffres éloquents sur la généralisation à toute la Nation multinationale US de la pauvreté font dire à Sheldon Danziger, économiste à l’université du Michigan que « La raison principale qui maintient la pauvreté à un seuil si haut, vient du fait que les bénéfices d’une économie qui croît ne sont plus partagés par tous les travailleurs, comme c’était le cas dans le quart de siècle qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale ». Il conclut : « Etant données les circonstances économiques actuelles, la pauvreté continuera de se propager à moins que le gouvernement ne vienne en aide aux travailleurs les plus modestes » (idem).
Et pourtant, n’entend-on pas à longueur de journée, les fayots bien payés chanter des louanges sur le capitalisme US qui “réussit à faire baisser le chômage” et tient sa position de “première économie mondiale” ? Ces mensonges commencent même à agacer certains au point qu’un éditorialiste étasunien n’a pu s’empêcher de s’écrier : “Si l’économie va mieux, alors pourquoi est-ce que la pauvreté en Amérique continue à croître si rapidement ? Oui, le marché boursier est au plus haut historiquement, mais le nombre d’Américains vivant dans la pauvreté a atteint un niveau jamais vu depuis les années 1960. Oui, les bénéfices des entreprises ont atteint des niveaux records, mais le nombre d’Américains bénéficiant de bons alimentaires également. Oui, les prix des logements ont commencé à se redresser un peu (surtout dans les zones riches), mais il y a aussi plus d’un million d’élèves des écoles publiques qui sont sans abri, et ce pour la première fois dans l’histoire américaine”. Et sous le titre “États-Unis : Les 21 chiffres édifiants de la pauvreté”, voilà comment un étasunien décrit la triste réalité qu’est devenue “l’American way of life” :
- “Avec chaque année qui passe, le niveau de souffrance économique continue à monter, et nous n’avons même pas encore atteint la prochaine vague majeure de l’effondrement économique. (…)
- Selon le Bureau américain du recensement, environ une personne sur six vit maintenant dans la pauvreté. Le nombre d’Américains vivant dans la pauvreté est maintenant à un niveau jamais vu depuis les années 1960.
- Lorsque vous ajoutez le nombre d’Américains à faible revenu, c’est encore plus inquiétant. Selon le Bureau américain du recensement, plus de 146 millions d’Américains sont «pauvres» ou à «faible revenu». (…)
- Environ 57% de tous les enfants aux Etats-Unis vivent actuellement dans des foyers « pauvres » ou à «faible revenu».
- La pauvreté est encore pire dans les centres-villes. Actuellement, 29,2 % des ménages afro-américains ayant des enfants souffrent d’insécurité alimentaire.
- Selon un rapport publié récemment, 60 pour cent des enfants de Detroit vivent dans la pauvreté.
- Le nombre d’enfants vivant avec 2,00 $ ou moins par jour aux États-Unis atteint les 2,8 millions. Ce nombre a augmenté de 130 pour cent depuis 1996.
- Pour la première fois, plus d’un million d’élèves des écoles publiques sont sans abri. Ce nombre a augmenté de 57 % depuis l’année scolaire 2006-2007.
- Le nombre de sans-abri dans la région de Washington DC (l’une des régions les plus riches de tout le pays) a augmenté de 23 % depuis la dernière crise. (…)
- Il y a eu une explosion du nombre de «travailleurs pauvres» ces dernières années. Aujourd’hui, environ un salarié sur quatre perçoit un salaire au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté.
- Plus de 100 millions d’Américains sont inscrits à au moins un programme social géré par le gouvernement fédéral. Et ce chiffre n’inclut même pas la sécurité sociale ou l’assurance-maladie.
- Record de tous les temps, 47,79 millions d’Américains reçoivent des bons alimentaires. Lorsque Barack Obama a accédé au pouvoir, ce nombre était d’environ 32 millions. (…)
- Selon certains calculs , le nombre d’Américains bénéficiant de bons d’alimentation dépasse maintenant les populations combinées de « Alaska, Arkansas, Connecticut, Delaware, District de Columbia, Hawaii, Idaho, Iowa, Kansas, Maine, Mississippi, Montana, Nebraska, Nevada , New Hampshire, Nouveau-Mexique, Dakota du Nord, Oklahoma, Oregon, Rhode Island, South Dakota, Utah, Vermont, Virginie-Occidentale, et Wyoming. »
- Dans les années 70, environ un Américain sur 50 recevait des coupons alimentaires. Aujourd’hui, près d’un Américain sur six en dépend. Encore plus choquant est le fait que plus d’un enfant sur quatre est inscrit dans le programme de bons alimentaires.
Malheureusement, tous ces problèmes sont le résultat de notre long déclin économique. La vérité est que nous sommes au milieu d’un déclin économique à long terme, et que les choses vont devenir bien pire (3).
Une telle hécatombe sociale a produit hier le vote Obama et aujourd’hui le vote Trump. En effet le travailleur “blanc” avait voté Obama pour se débarrasser de Bush et maintenant le travailleur “noir” ou “hispanique” vote Trump, malgré son racisme, notamment anti-hispanique. En l’absence d’un parti communiste uni et fort, la majorité des travailleurs électeurs croient encore au “sauveur suprême”. Le capitalisme US en crise durable lamine sa propre population et l’enfumage de “l’American way of life” se dissipe pour laisser transparaître, sous le vernis médiatique et idéologique, l’hideuse dévastation sociale et antidémocratique.
Il est clair que cette double expérience électorale, qui ne fera qu’empirer la situation sociale, favorisera le retour en force du combat de classe, en fécondant les organisations de classe syndicale et politique qui permettront de frayer la voie à l’avenir socialiste communiste des USA.
Même si comparaison n’est pas toujours raison, il est intéressant de signaler ce qui se passe sous le “socialisme de marché” ou capitalisme d’état chinois: “Selon le Global Wealth Report (Rapport sur la richesse mondiale, ndlr) réalisé par le Crédit Suisse, il y a plus de personnes pauvres en Amérique du Nord qu’en Chine. Selon les schémas présentés par le Crédit Suisse, l’Amérique du Nord compte 10% des personnes les plus pauvres de la planète et 30% des personnes les plus riches. L’Europe, dont la population est supérieure, a des indicateurs encore plus élevés — 20% des plus pauvres et 35% des plus riches. En Chine, la part des personnes les plus pauvres est proche de zéro, celle des personnes les plus riches atteignant 7 ou 8% “(Sputnik). A méditer, n’est-ce pas ? En effet on est là bien loin du slogan de la pensée unique libérale imposé par Thatcher puis Reagan : “there is no alternative”.
Source: Investig’Action
Références
(1) Université de Sherbrooke
(2) Entretien avec le Washington Post
(3) SHTFplan.com