A Palestinian girl looks out a window of a damaged building at the Nuseirat refugee camp in the central Gaza Strip on November 17, 2023, amid ongoing battles between Israel and the militant group Hamas. (Photo by MAHMUD HAMS / AFP)AFP

Une « pause » ne vaut pas un cessez-le-feu, et un cessez-le-feu ne mettra pas fin au siège de Gaza

La pause dans le conflit israélo-palestinien a permis la libération d’otages de part et d’autre. Mais la puissance coloniale détient toujours un grand nombre de Palestiniens, souvent détenus sans raison. Et elle a procédé à un grand nombre de nouvelles arrestations ces derniers jours. De plus, le gouvernement Netanyahou ne cache plus sa volonté de poursuivre la guerre jusqu’à ce que la bande de Gaza soit vidée de ses habitants. Un cessez-le-feu est urgent. Plus encore, une paix durable qui rencontrera les droits et les revendications légitimes des Palestiniens. (I’A)

Comme beaucoup de Palestiniens, j’ai été scotché aux informations durant ces 50 derniers jours, suivant le génocide insensé, illégal et immoral perpétré par Israël à Gaza. Nos yeux sont remplis d’images douloureuses et horribles dévoilant la mort massive et la dévastation de civils innocents qui ont perdu des êtres chers – des familles entières dans certains cas – des maisons et des rêves. J’ai également observé la terreur infligée par les soldats israéliens et les colons armés aux Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, terreur qui a entraîné la mort de 240 Palestiniens, dont 52 enfants, et plus de 2 959 blessés, depuis le 7 octobre.

L’UNICEF a récemment mis en garde les dirigeants mondiaux contre l’impact catastrophique des bombardements israéliens sur les enfants et les familles. “Les enfants meurent à un rythme alarmant – plus de 5 000 auraient été tués et des milliers d’autres blessés. Plus de 1,7 million de personnes ont été déplacées dans la bande de Gaza, dont la moitié sont des enfants. Elles manquent d’eau, de nourriture, de carburant et de médicaments. Leurs maisons ont été détruites, leurs familles déchirées“. Médecins sans frontières a qualifié la situation humanitaire à Gaza de “désastreuse”. Les camions d’aide désespérément nécessaires qui ont récemment été autorisés à entrer dans Gaza sont insuffisants pour faire face à une catastrophe humanitaire de cette ampleur.

Le pape François a également évoqué la catastrophe humanitaire à Gaza lors de l’audience générale du mercredi 22 novembre sur la place Saint-Pierre. Il a déclaré : “Nous avons dépassé les guerres. Ce n’est pas une guerre. C’est du terrorisme“. Il a tenu ces propos quelques heures après qu’un accord a été conclu entre Israël et le Hamas pour une “pause humanitaire” de quatre jours et un échange réciproque de femmes et d’enfants otages/prisonniers.

La “pause humanitaire” de quatre jours, négociée par le Qatar, a permis à 50 otages israéliens et à 150 captifs palestiniens de retrouver leur famille. Elle a été un répit bienvenu pour la population de Gaza après les bombardements incessants. Prolongée de deux jours, cette trêve temporaire signifie que 20 autres otages israéliens et 60 otages palestiniens seront libérés. Le secrétaire général des Nations unies a qualifié ce court répit de “lueur d’espoir et d’humanité” en lançant un appel au gouvernement israélien pour qu’il ouvre des points de passage supplémentaires afin de permettre l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. À l’heure actuelle, les camions d’aide ne sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza que par le point de passage de Rafah, à la frontière avec l’Égypte.

Cette “pause” temporaire – ou ces “pauses”, si elles sont prolongées de plusieurs jours – n’équivaut pas à un cessez-le-feu permanent. Elle n’apportera pas la sécurité aux habitants de Gaza, pas plus qu’elle ne soulagera leurs souffrances ou n’atténuera leur peine. Il est exaspérant de penser qu’il a fallu six semaines pour en arriver à cette “pause”. Et même pendant cette brève “pause”, les soldats israéliens ont tué au moins huit Palestiniens dans les villes cisjordaniennes de Jénine, Al-Bireh et Yatma, au sud de Naplouse. En outre, Israël a l’intention de reprendre ses attaques à l’expiration de la pause, comme l’a clairement déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu : “Nous sommes en guerre et nous continuerons la guerre jusqu’à ce que nous ayons atteint tous nos objectifs : détruire le Hamas, récupérer tous nos otages et faire en sorte que personne à Gaza ne puisse menacer Israël. »

Même si la pression croissante de la communauté internationale permet d’éviter une telle calamité et d’obtenir un cessez-le-feu permanent, cela ne mettra pas fin au siège étouffant qui a emprisonné les Palestiniens de Gaza pendant près de 17 ans et qui nous a menés là où nous sommes aujourd’hui. Un cessez-le-feu n’apportera pas la sûreté, la sécurité et une paix durable aux Israéliens et aux Palestiniens ; il ne mettra pas fin à l’occupation israélienne, qui dure depuis 56 ans, ni à la résistance palestinienne à cette occupation ; et il ne changera pas le système d’apartheid qui privilégie un peuple par rapport à un autre, utilise une forme brutale de punition collective et nie les droits des Palestiniens à la liberté et à l’égalité. En bref, un cessez-le-feu ne modifiera pas le statu quo.

L’objectif officiellement déclaré d’Israël est de détruire le mouvement de résistance palestinien que constitue le Hamas. Mais de nombreux membres du gouvernement Netanyahou souhaitent que la bande de Gaza soit vidée de tous ses habitants. Dans un article paru le 19 novembre dans le Jerusalem Post, le ministre israélien du Renseignement, Gila Gamliel, préconise “la réinstallation volontaire des Palestiniens de Gaza, pour des raisons humanitaires, en dehors de la bande“. Notez qu’Israël veut vous faire croire qu’il ne propose le transfert des Palestiniens de Gaza vers le désert du Sinaï que “pour des raisons humanitaires” – parce que les dirigeants israéliens veulent vous faire croire qu’ils se soucient profondément de la sécurité et du bien-être des Palestiniens.

Israël sera-t-il autorisé à procéder à une seconde Nakba ?

Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ne voient pas le véritable plan, qui n’est plus un secret : le nettoyage ethnique de Gaza et le transfert des Palestiniens dans le Sinaï. Ce plan a été divulgué il y a quelques semaines, puis confirmé par le président égyptien Abdel Fattah El-Sisi lorsqu’il a évoqué les tentatives israéliennes de faire pression sur l’Égypte pour qu’elle accepte les 2,3 millions de Palestiniens dans le Sinaï. L’ordre d’évacuer la moitié de la population de Gaza vers le sud, alors qu’Israël détruisait des quartiers et rasait des bâtiments, constituait la première phase de la stratégie de transfert visant à dépeupler Gaza. Israël a déjà annoncé que les Palestiniens déplacés n’étaient pas autorisés à retourner chez eux dans le nord de la bande de Gaza, qui est devenu pratiquement un désert total.

Le fait de priver les Gazaouis d’accès à la nourriture, à l’eau, au carburant, à l’électricité et aux fournitures médicales fera sans aucun doute grimper le nombre de morts à un niveau bien plus élevé que les 14 000 victimes des frappes aériennes israéliennes depuis le 8 octobre. La catastrophe humanitaire a atteint des niveaux terrifiants avec l’effondrement quasi total du système de soins de santé de Gaza en raison de la destruction des installations médicales, de la fermeture forcée et de l’évacuation des hôpitaux, mais aussi de la grave pénurie de matériel de soins. Gaza était déjà l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète. L’entassement de ses 2,3 millions d’habitants dans la partie méridionale de la bande exposera sans aucun doute la population à toute une série de maladies.

Les Palestiniens meurent de faim, de déshydratation et de maladie

Dans un article publié dans le quotidien israélien Yedioth Ahronoth le 22 novembre, Giora Eiland, ancien chef décoré de la division des opérations et de la planification de l’armée israélienne et ancien chef du Conseil national de sécurité, a proposé la maladie comme méthode efficace pour tuer les Palestiniens de Gaza. Il a écrit : “Après tout, de graves épidémies dans le sud de la bande de Gaza nous rapprocheront de la victoire et réduiront le nombre de morts parmi les soldats de Tsahal“. Le lendemain du jour où Eiland a fait part de sa proposition, le journaliste israélien Gideon Levy a publié dans Haaretz un article intitulé : “La proposition monstrueuse de Giora Eiland sur Gaza, c’est le mal au vu et au su du monde”.

Quel que soit le plan mis en œuvre, il sera certainement mené avec le soutien total du gouvernement étasunien et la bénédiction du président Joe Biden. Ce dernier a déclaré qu’Israël avait le droit de reprendre son assaut sur Gaza – tout en exhortant le Premier ministre israélien à essayer de minimiser le nombre de victimes civiles. Dans une tribune du Washington Post, Biden a présenté l’assaut militaire dévastateur d’Israël comme une guerre pour la démocratie. Il a ainsi effacé le contexte de 75 ans de résistance palestinienne contre l’occupation, l’apartheid et l’oppression israéliens.

Israël poursuivra-t-il l’emprisonnement des Palestiniens après l’échange ?

Les 150 prisonniers qu’Israël a accepté de libérer dans le cadre de son accord avec le Hamas et les 60 qui seront libérés à la suite de la prolongation de la trêve de deux jours ne représentent qu’une petite fraction des 7 200 otages palestiniens emprisonnés qui languissent dans les prisons israéliennes. Pire, depuis le 7 octobre, Israël a considérablement intensifié ses raids contre les Palestiniens de Cisjordanie et en a arrêté plus de 3 000, selon le Club des prisonniers palestiniens, un groupe de soutien. Si vous ne faites pas confiance aux sources palestiniennes et que vous ne voulez croire que le chiffre de 1 850 nouvelles arrestations rapporté par le New York Times, vous pourrez toujours comparer ce chiffre au nombre d’otages pris par le Hamas le 7 octobre ou au petit nombre d’otages qu’Israël a accepté de libérer dans le cadre de l’échange.

Toutes les familles palestiniennes que je connais ont vu un ou plusieurs de leurs membres arrêtés par les autorités israéliennes, souvent des adolescents accusés d’avoir jeté des pierres sur des soldats israéliens. Selon Addameer, un groupe de défense des droits des prisonniers palestiniens, environ 200 garçons, dont la plupart sont des adolescents, étaient détenus par Israël la semaine dernière, ainsi qu’environ 75 femmes et cinq adolescentes. La détention administrative consiste à détenir des personnes indéfiniment sans inculpation ni procès – Israël prétend que c’est une mesure efficace de lutte contre le terrorisme. Cette pratique est un outil de répression utilisé depuis longtemps par l’État israélien pour instiller la peur parmi les Palestiniens et les empêcher de revendiquer ou d’exercer leurs droits. Les groupes de défense des droits de l’homme, dont l’organisation israélienne B’Tselem, et les Nations unies ont conclu que l’utilisation par Israël de la détention administrative constituait une violation flagrante du droit international.

Israël est le seul pays développé au monde à poursuivre des mineurs âgés de 12 ans devant des tribunaux militaires. Le chef d’accusation le plus courant est le jet de pierres, passible d’une peine de 20 ans d’emprisonnement. Les Nations unies estiment que depuis qu’Israël a occupé la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est en 1967, il a détenu “environ un million de Palestiniens dans le territoire occupé, dont des dizaines de milliers d’enfants“.

Il n’y a pas de solution militaire à la crise israélo-palestinienne

Quelle que soit la supériorité de l’armée, de la marine et de l’aviation israéliennes, quelles que soient la destruction, la dévastation et la souffrance humaine qu’il peut infliger aux civils palestiniens, et quel que soit le nombre de vetos des Nations unies utilisés par les États-Unis pour protéger Israël de toute responsabilité, rien ne parviendra à étouffer la quête de liberté et d’égalité du peuple palestinien. Rien ne sera en mesure d’écraser sa détermination à poursuivre sa résistance jusqu’à ce qu’il obtienne sa liberté.

En l’absence de justice, il y aura des protestations, des émeutes et des intifadas. Le vent tourne et les Palestiniens bénéficient aujourd’hui d’un soutien mondial plus important que jamais, en particulier parmi les jeunes générations. Je suis impressionné par les milliers de jeunes manifestants qui s’organisent et se rassemblent en ce moment critique de l’histoire du Moyen-Orient. Les manifestations massives dans les grandes villes et sur les campus universitaires du monde entier nous ont montré le “pouvoir de la jeunesse” dans des proportions que nous n’avions jamais vues auparavant. Les Palestiniens ont également reçu un soutien massif et une reconnaissance de l’État de Palestine de la part des membres de l’Assemblée générale des Nations unies, et en particulier des pays du Sud. Seuls les États-Unis (et une poignée d’alliés) ont toujours utilisé leur droit de veto pour empêcher toute résolution condamnant les actions israéliennes.

Le système d’apartheid actuel n’est pas viable. Plus tôt le gouvernement israélien – et ceux qui le soutiennent, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne – accepteront le fait que la sécurité d’Israël ne peut être assurée par la force militaire, plus grandes seront les chances d’un règlement négocié. Une paix durable ne pourra être obtenue que lorsque les droits et les revendications légitimes des Palestiniens seront pris en compte. Les Palestiniens ne renonceront pas à leur aspiration à vivre dans leurs maisons, sur leurs terres, dans la dignité, l’égalité et sans crainte.

Le 29 novembre marque le 46e anniversaire de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien proclamée par les Nations unies. Ce jour-là, en 2012, l’Assemblée générale a voté à une écrasante majorité – 138 voix pour et 9 contre – l’octroi à la Palestine du statut d'”État observateur non membre” aux Nations unies.

Dans son message publié la veille de cette Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le secrétaire général de l’ONU a déclaré : “C’est une journée pour réaffirmer la solidarité internationale avec le peuple palestinien et son droit à vivre dans la paix et la dignité“. Il a ajouté :

« Il est grand temps d’avancer de manière déterminée et irréversible vers une solution à deux États, sur la base des résolutions des Nations unies et du droit international, Israël et la Palestine vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, Jérusalem étant la capitale des deux États.

Les Nations unies ne faibliront pas dans leur engagement envers le peuple palestinien. Aujourd’hui et chaque jour, soyons solidaires des aspirations du peuple palestinien à réaliser ses droits inaliénables et à construire un avenir de paix, de justice, de sécurité et de dignité pour tous. »

Pendant plus de cinq décennies, les États-Unis ont fait obstacle à la paix en privant les Palestiniens de leurs droits. Depuis le 7 octobre, les États-Unis continuent d’être un obstacle majeur pour sauver des vies, en refusant d’exiger un cessez-le-feu immédiat. Les États-Unis ne peuvent plus jouer le rôle d’intermédiaire honnête dans les futures négociations visant à résoudre la crise et à instaurer une paix durable dans la région. Pour parvenir à un règlement négocié qui permette aux Israéliens et aux Palestiniens de vivre en paix et en sécurité – dans une patrie libérée de l’apartheid et de l’oppression – cette tâche doit désormais être assumée uniquement par les Nations unies.

Michel Moushabeck est un écrivain, éditeur, traducteur et musicien palestino-américain. Il est le fondateur et l’éditeur d’Interlink Publishing, une maison d’édition indépendante de 36 ans basée dans le Massachusetts. Suivez-le sur Instagram : @ReadPalestine.


Source originale : Truthout
Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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