Trois ans après les manifestations monstres contre la hausse des frais d’inscription, les étudiants québécois sont redescendus dans la rue jeudi 2 avril pour dénoncer les politiques d’austérité du nouveau gouvernement de la province de Québec. Des manifestations pacifiques violemment réprimées par les forces de l’ordre, dans une indifférence quasi générale…
{{Mobilisations contre l’austérité}}
Il y a trois ans, les rues de Montréal et de Québec se remplissaient d’étudiants, bien décidés à lutter contre la décision du gouvernement de la province de Québec d’augmenter les frais d’inscription à l’université. Un mouvement historique qui débuta le 13 février 2012 et qui allait durer des mois. Tous les jours ou presque, les étudiants descendaient dans la rue pour exiger un accès aux études supérieures et l’abrogation de la loi visant à augmenter les frais d’inscription. Les sit-in, les occupations d’universités rythmaient alors le quotidien des étudiants déterminés à se faire entendre par le gouvernement de M.Jean Charest.
Mais trois ans plus tard, plus rien ou presque. Les étudiants sont retournés dans leurs universités et les scènes des manifestations semblent lointaines.
C’était sans compter sur les nouvelles mesures d’austérité annoncées par le nouveau premier ministre québécois, Philippe Couillard, élu il y a un. Les mesures annoncées la semaine dernière visent en effet à couper de manière drastique dans les dépenses publiques et notamment dans l’éducation et la santé. Cette décision a provoqué la colère des étudiants qui dénoncent «les pires compressions dans l’éducation depuis 20 ans».
Le 21 mars, les associations et syndicats d’étudiants votent la grève afin de dénoncer le budget restrictif et néolibéral du gouvernement québécois. Le 23 mars, plus de 50000 étudiants participent à la grève dans les universités et les campus de la province. Et puis, ce jeudi 2 avril, «jour de grève nationale», ils étaient plus de 135000 à suivre le mouvement de grève dans les universités et environ 75000 (1) personnes à descendre dans la rue pour manifester à Montréal. Familles, professeurs, étudiants, travailleurs, tous sont venus dire leur colère face aux politiques antisociales qui leur sont imposées.
Les étudiants, fer de lance de la contestation, dénoncent ardemment les politiques d’austérité imposées coup sur coup par les gouvernements successifs. Depuis maintenant plus de 20 ans, et suivant les politiques néolibérales menées aux États-Unis et en Europe, le gouvernement québécois, et dans une plus large mesure l’État canadien, mènent une guerre sans merci contre les derniers acquis de l’Etat-Providence. Santé, éducation, culture, tous les services publics reçoivent les foudres des obsédés de la «rigueur budgétaire».
D’ailleurs, le premier ministre québécois a jugé urgent de «reprendre le contrôle de nos finances publiques». Pour atteindre les objectifs budgétaires, des mesures très impopulaires sont mises en œuvre comme par exemple l’augmentation croissante du prix de l’électricité. De plus, ces politiques ont instauré une concurrence toujours plus accrue dans la gestion des affaires publiques. Les syndicats dénoncent ainsi la privatisation des services publics et des programmes sociaux.
Ces manifestations font écho aux rassemblements de masse des indignés en Espagne, des anti-austérité en Grèce ou encore des étudiants à Londres ou à Santiago du Chili. Même si les situations peuvent varier selon les pays, le dénominateur commun de toutes ces révoltes, est néanmoins le rejet des politiques néolibérales qui font des services publics, et notamment de l’éducation, une «denrée» de plus en plus rare, réservée aux plus aisés. En Angleterre, il y a trois ans, le premier ministre David Cameron annonçaient des mesures pour augmenter les frais d’inscription à l’université. Même son de cloche au Chili avec le président Sebastian Pinera, remplacé depuis par la présidente Michelle Bachelet qui a promis de revenir sur les décisions de son prédécesseur.
L’éducation, qui devient un produit de luxe, entraîne un phénomène inquiétant qui se généralise: l’endettement des étudiants. Véritable bombe à retardement, ce phénomène pourrait bientôt devenir la nouvelle bulle financière en voie d’explosion.
Par ailleurs, il faut noter que le combat contre les mesures d’austérité n’est pas le seul motif qui a poussé les manifestants dans la rue à Montréal. En effet, ces derniers luttent également contre les hydrocarbures et les conséquences environnementales désastreuses qu’ils provoquent dans le pays. Les manifestants dénoncent notamment le Plan Nord de l’ex premier ministre, Jean Charest et de son successeur Philippe Couillard, un plan qui a pour but d’étendre l’exploitation minière. Ainsi, au volet socio-économique vient s’ajouter un volet écologique.
A l’issue de la manifestation de jeudi, les étudiants ont appelé à un large rassemblement le 1er mai prochain.
{{Mesures liberticides et répressions policières}}
Pour contrer les manifestants, le gouvernement québécois use de tous les moyens pour intimider les étudiants. Il y trois ans déjà, les forces de l’ordre n’hésitaient pas à réprimer brutalement ceux qui avaient osé battre le pavé. Les scènes montrant des étudiants aux visages ensanglantés témoignaient de la violence avec laquelle les policiers chargeaient les personnes venues manifester. Les policiers ayant échoué à renvoyer les manifestants chez eux, le gouvernement de M. Charest avait donc décidé d’utiliser l’arsenal législatif pour faire taire la contestation étudiante. Le 18 mai 2012, soit deux mois après le début des manifestations, la loi 78 fut promulguée. Elle restreignait alors le droit de manifestation, la liberté d’expression ainsi que la liberté d’association. Une loi qui créa un tollé notamment au sein d’un groupe d’historiens qui déclara que: {«Rarement, a-t-on vu une agression aussi flagrante être commise contre les droits fondamentaux qui ont sous-tendu l’action sociale et politique depuis des décennies au Québec»}.
En juin de la même année, l’article municipal 19.2 du règlement sur la paix et le bon ordre de la ville de Québec créa une forte polémique. Cet article déclara illégal toute manifestation dont le parcours ne serait pas communiqué à l’avance. Une mesure qui visait avant tout à décourager les manifestants.
Puis, en 2012 comme aujourd’hui, les policiers utilisent l’article 501 de la sécurité routière pour empêcher les manifestants de se rassembler dans les rues, arguant qu’ils gênent la circulation. Bref, autant d’articles et de lois liberticides qui n’ont qu’un seul objectif, hier comme aujourd’hui: celui de mettre fin à la contestation étudiante. Mais rien y fait, ces étudiants sont là et tenaces.
Le 24 mars dernier, la police a procédé à des arrestations de masse. Pas moins de 274 étudiants ont été encerclés alors qu’ils manifestaient devant le Parlement Québécois. Ils ont tous écopé d’une amende de 220 (dollars ?) dont ils devront s’acquitter. Deux jours plus tard, soit le 26 mars, une manifestation pacifique a dérapé. Les policiers usèrent de gaz lacrymogènes contre les manifestants. Une jeune étudiante, Naomi Trembley-Trudeau fut violemment et lâchement prise à partie par un policier, Charles Scott Simard qui fut accusé par les manifestants d’avoir tiré presque à bout portant sur la jeune manifestante. Les images montrant la jeune fille à terre, les lèvres déchirées et ensanglantées témoignent de la violence de l’attaque.
Ce jeudi 2 avril encore, alors que la manifestation prenait fin, des policiers s’en sont pris aux manifestants, les rouant parfois de coups et procédant à de nombreuses arrestations.
Ces scènes de violence sont malheureusement courantes au Québec où, comme aux États-Unis par exemple, les mouvements sociaux, et notamment ceux menés par les étudiants, sont durement réprimés.
Il faut dire que les policiers québécois jouissent du soutien des partis dominants qui leur permet d’agir en toute impunité. Le maire de Québec a par ailleurs apporté son soutien aux policiers en déclarant {«les étudiants qui se plaignent de brutalité policière n’ont qu’eux à blâmer»}. Le ministre de l’éducation, François Blais, a quant à lui menacé les {«d’expulser de l’Université les étudiants qui exagèrent pour donner l’exemple»} avant de déclarer avec mépris et arrogance {«on fait ça avec les enfants pour corriger leur comportement»}.
Encore une fois, ces scènes de répression policière rappellent les violences perpétrées lors du mouvement Occupy Wall Street à New-York, des manifestations étudiantes à Londres ou à Santiago du Chili.
Autant d’exemples qui montrent le vrai visage du système répressif libéral. Quand l’ordre capitaliste se sent menacé, il n’hésite pas à envoyer sa machine répressive pour mater ceux qui osent défier l’ordre établi.
La force comme recours ultime face aux protestataires. Une violence arbitraire qui met en exergue le visage noir des sociétés libérales. Les droits de l’homme, la démocratie, la liberté sont ainsi réduits à néant lorsqu’il s’agit de faire passer des lois impopulaires. Le cas du Québec en est le parfait exemple.
Face à cet État de droit en décrépitude, les manifestants ont appelé à un rassemblement le vendredi 10 avril prochain pour dénoncer notamment les atteintes à la liberté d’expression et les violences policières.
{{Circulez y’a rien à voir}}
Le moins que l’on puisse dire après ces rassemblements monstres, c’est que les médias dominants ne se sont pas bousculés pour couvrir les manifestations. En témoigne le peu voire le manque d’informations concernant les événements au Québec. Ni les chaînes de télévision, ni les journaux, ni les radios ne se sont penchés sur ce qui se passe actuellement au Canada.
Sur la chaîne française d’information continue {Itele}, silence radio. Le journal de 20h de {France 2} s’est également montré très discret vis-à-vis des événements outre-Atlantique. Sur le site internet du quotidien {Le Monde}, un ridicule article de deux paragraphes relatant brièvement les manifestations. Sinon, on peut trouver sur ce même site un article intitulé «Au Québec, des chats s’encartent à des partis politiques». Sans commentaire.
Quant au quotidien {Libération}, également très discret, il a préféré parler d’ «échauffourées» pour qualifier les violences policières. Un euphémisme qui en dit long sur ce coupable et complice silence médiatique.
Pourquoi trois jours après les manifestations, aucun média ou presque ne s’est-il intéressé aux manifestations anti-austérité?
Comment expliquer qu’un mouvement d’une telle ampleur portant des revendications légitimes ne retienne pas l’attention des grands médias?
Peut-être considèrent-ils que ce genre d’informations n’intéressera pas l’opinion publique préférant ainsi insister sur les faits divers comme en témoigne l’obsession qu’est devenu depuis plus de 10 jours le crash de l’Airbus de la Germanwings? Néanmoins, ce qui explique le mieux ce silence médiatique, c’est sans doute la volonté de ne pas souffler des idées de révolte à ceux qui, en Europe, de Paris à Londres en passant pas Lisbonne, souffrent des politiques de rigueur imposées par les institutions financières internationales.
Montrer ces images de manifestations d’étudiants, de familles, de professeurs, de travailleurs pourrait encourager tous ceux qui font face dans leur pays à des politiques visant au désengagement de l’État dans les services publics. La révolte est contagieuse, c’est pour cela que nos chers médias, aux mains de puissants hommes d’affaires eux-mêmes à l’origine de ces mesures d’austérité, ne font pas état des révoltes en cours au Québec et dans le monde. Lorsque les étudiants descendaient dans la rue à Santiago du Chili ou à Bogotá pour exiger la fin des politiques néolibérales, la presse n’y faisait que rarement écho.
Cela a au moins le mérite de confirmer le rôle de garant de l’ordre social qu’ont les médias dominants dans les pays occidentaux. Promouvoir le système dominant et réduire au silence ceux qui le contestent. Une gymnastique journalistique exécutée à merveille.
{{Indignation sélective}}
Mais le plus grave dans tout cela, c’est le manque de condamnation de la fameuse «communauté internationale», en réalité l’Occident, face aux flagrantes violations des droits de l’homme en marge des manifestations. Répressions policières, atteintes à la liberté d’expression, de manifestation, d’association, criminalisation des mouvements étudiants, intimidations…Le cocktail parfait de l’autoritarisme d’État. Aucun chef d’État occidental pourtant habitué aux leçons de morale en faveur des «droits de l’homme» et de la «démocratie» ne s’est ému face à cette dérive autoritaire du gouvernement québécois. Même silence chez les médias. Ce silence qu’ils ont observé au sujet des manifestations s’est accompagné d’un silence plus grave encore concernant les violences policières. Pas d’indignation, ni de condamnation. Lorsqu’il s’agit d’un pays allié, d’une nation amie, alors tous les coups sont permis.
Un traitement de faveur qui contraste grandement avec le traitement médiatique et les injonctions des chancelleries occidentales vis à vis des manifestations étudiantes au Venezuela. Lorsque le pays en question a décidé de choisir une autre voie sur les plans économique, social et politique en se confrontant ainsi aux intérêts occidentaux, il est la cible permanente des «nouveaux chiens de garde» et des nations occidentales.
L’an dernier, lorsque quelques manifestants sont descendus dans les rues de Caracas pour s’en prendre assez violemment aux bâtiments publics, aux ministères, à la chaîne de télévision {Telesur}, en France ou encore en Espagne, les médias comme {Le Monde} ou {El Pais} rendaient alors hommage à ces casseurs en les présentant comme des «combattants» voire des «martyrs» de la «liberté». Alors que la majorité d’entre eux faisaient partie des fameux {Guarimbas}, ces groupes d’extrémistes qui n’avaient pour objectif que de déstabiliser les institutions et le gouvernement vénézuélien.
Notons par ailleurs que ces mêmes médias étaient alors les premiers à dénoncer les «répressions policières». Si, oui, il y en a bien eu des usages disproportionnés de la force de la part de la police bolivarienne, ils ne méritaient sans doute pas cet acharnement médiatique. D’autant qu’au Venezuela le droit de manifester a été respecté et que, dans la majorité des cas, la police a fait usage de la force dans une posture défensive, contrairement à ce que l’on a vu au Québec lors des attaques délibérées des forces de l’ordre. Bref, une indignation à géométrie variable qui donne un aperçu du rôle que jouent les médias dans nos sociétés dites démocratiques.
{{Conclusion}}
Les révoltes qui secouent aujourd’hui le Québec s’inscrivent dans un ensemble plus large et qui porte sur des revendications devenues mondiales. En effet, le point commun entre les mouvements étudiants, syndicaux au Canada, en Angleterre, en Espagne, en France, en Grèce, au Chili, est le rejet des politiques néolibérales qui visent à imposer l’austérité à perpétuité.
La «rigueur» ou l’ «équilibre» budgétaire qui revient comme un leitmotiv dans la bouche de néolibéraux tels que le premier ministre français Manuel Valls ou le premier ministre belge Charles Michel devient un but obsessionnel que chaque dirigeant souhaite atteindre le plus rapidement possible pour satisfaire ses maîtres à Bruxelles.
Pour ce faire, ils imposent des mesures très impopulaires comme la hausse des frais d’inscription à l’université, le gel des salaires, la suppression du nombre des fonctionnaires, les coupes drastiques dans les budgets de l’État. Tout ceci sous prétexte que «l’État n’a plus les moyens» et qu’il n’y a donc «pas d’alternative».
Pourtant ce n’est pas l’argent qui manque. Les inégalités socio-économiques explosent dans les pays et dans le monde. La crise, désastreuse pour le plus grand nombre, s’avère être une manière pour d’autres d’augmenter de manière spectaculaire leur capital.
De plus, face au terrorisme médiatique et intellectuel qui affirme que seul le chemin néolibéral est possible étant donné le montant élevé des dettes souveraines, il serait intéressant et fondamental de révéler qui sont les véritables responsables de l’explosion des dettes publiques. En France par exemple, le collectif pour l’Audit Citoyen de la Dette a estimé dans une étude récente que 59% de la dette française était illégitime. Cette dernière n’étant pas le fruit, comme aiment à le répéter les «experts» et les économistes dominants, de l’explosion des dépenses publiques puisqu’elles ont relativement peu augmenté depuis les années 1980 mais du fait que l’État s’est lui-même privé de recettes fiscales en exonérant les plus grandes entreprises et en créant des niches fiscales favorables à la fortune des plus riches. Tout ça dans le but de satisfaire une classe bourgeoise toujours plus avide de profit et d’argent.
Enfin, force est de constater que ces politiques néolibérales imposées depuis maintenant trente ans ont clairement échoué partout où elles ont été mises en place. Que ce soit en Amérique Latine dans les années 1980-1990 ou aujourd’hui en Europe, les mesures d’austérité ont fait explosé le chômage, la pauvreté, les inégalités, la dette… Mais rien n’y fait, les adeptes de ces politiques antisociales et antihumaines ne semblent pas prêts à l’autocritique et à la constatation de leur échec pourtant flagrant.
Sans doute que la classe dominante se permet d’enfoncer tous les jours un peu plus le clou car elle n’a pas en face d’elle de puissants opposants, conscients de leur situation et des intérêts de leur classe , organisés pour lutter contre les coups de butoir du système économique mondial. Le rapport de force est aujourd’hui largement en faveur de la classe possédante qui sait à travers ses médias, ses écoles, ses institutions, faire accepter aux citoyens les politiques qu’elles lui imposent. Elle parvient alors à créer un relatif consensus qui lui permet de continuer sa marche en avant. Et quand certains se lèvent face à cet état de fait injuste et inégal, alors elle fait appel à sa machine répressive dans le but de faire rentrer dans le rang les récalcitrants.
De Montréal à Athènes en passant par Madrid, New-York ou Bruxelles, les manifestations anti-austérité sont la preuve que la classe dominante n’a toutefois pas complètement gagné la bataille. Les foyers de résistance qui ont porté au pouvoir des présidents progressistes en Amérique Latine sont la preuve que malgré les contradictions, les erreurs, les manquements, un autre monde, une autre civilisation, une autre société, un autre système sont possibles.
Pour cela, la lutte internationale sera fondamentale et déterminera sans doute l’issue de la bataille en cours.
Tarik Bouafia, pour Investig’Action