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Travail et paix

La paix est fondamentale. Sans la paix, les combats sociaux sont vains bavardages. Pendant la guerre, les droits et libertés sont suspendus au profit de l’état d’urgence. Sous prétexte de guerre, la lutte des classes est interdite et les travailleurs priés de ne pas la ramener voire de se faire tuer, au nom de l’union sacrée. Avec la guerre, la classe possédante fait plus encore qu’opprimer les autres classes, elle règne sans partage et élimine les têtes qui dépassent.

Budget d’armement

La guerre (ou sa préparation ou, dit hypocritement, « notre défense ») est le prétexte à orienter massivement l’argent public vers des dépenses d’armement soit, pour une part importante, vers le suzerain américain1.

Ce journal se fait régulièrement l’écho de l’augmentation des dépenses de défense, malgré un budget d’austérité et que d’autres secteurs ont besoin en priorité de cet argent : services publics, notamment de santé et d’éducation, investissements pour protéger l’environnement et rénover le bâti, entretien des infrastructures, vieillissement de la population, relocalisation de l’industrie, …

Mais la guerre est aussi une bonne excuse pour l’augmentation des prix des biens de première nécessité au profit de quelques grosses entreprises (ex : crise énergétique de l’hiver 2022-2023, suivie d’une inflation maintenant clairement attribuée à l’augmentation des marges de profit).

Économie de guerre et étouffoir des luttes sociales

Déjà, alors que nos pays ne sont pas officiellement belligérants, se font entendre les appels pour mettre en place une « économie de guerre » : priorité à la production de masse de matériel militaire, augmentation des rythmes et des heures supplémentaires, mise en veilleuse des revendications sociales, interdiction de la grève,…

La guerre (ou sa préparation) est également une excuse pour les reculs sociaux, voire à la mise en suspens (pour une durée illimitée) de la concertation, des libertés syndicales et l’interdiction de toute conflictualité sociale.

Par exemple, le 1er juin, l’Union Européenne a adopté l’Acte de soutien à la production de munitions, prévoyant notamment le détournement de fonds initialement destinés à la cohésion et à la relance vers le secteur de la défense et encourageant une plus grande flexibilité des règles relatives au temps de travail2. L’Union Européenne n’est pourtant pas (encore) en guerre, et déjà le droit du travail y est remis en question.

S’agissant de l’Ukraine, la Confédération européenne des Syndicats (CES), avertit clairement : la CES rappelle que la paix est une condition préalable au plein exercice des droits de l’homme et à une démocratie stable et qu’il n’y a pas de paix et de sécurité sans justice sociale3

Dans un communiqué, le PERC (Conseil pan-européen de l’organisation syndicale mondiale), après avoir condamné l’agression russe, indique « Nous sommes gravement préoccupés, par contre, que dans la situation de guerre … les autorités ukrainiennes entament l’adoption de lois qui diminuent les droits des travailleurs, exproprient les syndicats, ne respectent pas le dialogue social, ce qui mine l’unité nationale, la démocratie et la confiance populaire.4

Mort et pollution

Qui sert de chair à canon ? Qui est prié ou forcé d’aller se faire tuer ou estropier ? D’abord les classes populaires, d’abord les pauvres qui n’auront pas le choix ou y seront contraints par le chômage, la disette et le besoin de survivre.

Haaretz révélait le 15 septembre qu’Israël recrutait des demandeurs d’asile africains pour les missions dangereuses de ses opérations de guerre à Gaza, en leur promettant (s’il revenaient vivants) un statut d’asile permanent5. Paradoxe : les damnés de la terre chargés de tuer d’autres damnés et de servir les visées coloniales et suprémacistes dont ils sont déjà les victimes.

Productivisme effréné, explosions, déplacements, destructions et reconstructions : toutes choses qui font monter en flèche la débauche énergétique et la consommation de matériaux. Cet immense gâchis et gaspillage qu’est la guerre est le contraire de la sobriété. Qui fera le bilan-carbone de la guerre en Ukraine ou en Palestine ?

Syndicats

Vu ces évidences, pourquoi les organisations syndicales ne sont-elles pas plus véhémentes pour que s’arrêtent les guerres en cours ? L’internationalisme entre travailleurs et la condamnation des guerres capitalistes a toujours été considéré comme un combat syndical primordial.

Il est clair que, vu l’ambiance politico-médiatique autour des conflits en cours, le coût politique, ne serait-ce que d’appeler au cessez-le feu, est très élevé. Même si cela s’estompe tout doucement, appeler au cessez-le-feu dans la guerre en Ukraine était assimilé à une position pro-russe, tout comme appeler à l’arrêt des massacres à Gaza était une position jugée antisémite6.

Les directions syndicales n’ont visiblement pas voulu courir le risque d’être lynchées médiatiquement, à un moment où leur crédit est déjà affecté, notamment par le populisme des partis de droite ayant le vent en poupe. Dès lors que les combats « nationaux » prenaient beaucoup d’énergie (mobilisations contre la loi anti-casseurs, contre le saut d’index et la loi de modération salariale, contredire la propagande électorale de droite, …), certains ont jugé qu’aller sur le terrain miné de la politique étrangère était courir le risque de tout perdre, y compris l’unité des travailleurs au niveau national, le conflit au proche orient étant par exemple présenté par la droite populiste comme une guerre de civilisations, «occident contre musulmans » ou « civilisation contre barbarie ».

Les principales organisations syndicales n’oublient pas qu’une part importante de leurs membres votent pour des partis de droite et nationalistes. Comment en est-on arrivé là ? Bonne question, mais à ce stade nombreux sont ceux qui ne veulent pas confronter frontalement ces affiliés, biberonnés à la rhétorique de droite.

Cela n’empêche pas la base syndicale de remuer, particulièrement sur le soutien à la Palestine. Ainsi du communiqué du 31/10/2023 des centrales Employés et Transport des syndicats CSC et FGTB, appelant au refus, sur les aéroports, de manutentionner du matériel militaire destiné à la guerre en Palestine. Ainsi aussi de l’initiative « Workers 4 Palestine »7

La manifestation de ce 20 octobre « Stop Arming Israël » a rassemblé une cinquantaine de milliers de participants et, même si les médias et les gouvernants font semblant de ne rien entendre, elle démontre une préoccupation importante dans la société.

Tensions à venir

Il est évident que de nombreuses tensions se développent. L’impact du dérèglement climatique, la compétition pour des ressources de plus en plus rares, l’accroissement des inégalités (entre nations et au sein des nations), l’accroissement de la population, la discipline très aléatoire des pays quant au respect des engagements internationaux,… Certains ont clairement pris l’habitude de vivre sur le dos des autres, et leur faire comprendre que non seulement cela doit cesser, mais qu’ils ont aussi une dette à assumer pour le passé, est pour le moins audacieux, surtout si ce « profiteur » est lourdement armé. « Le mode de vie américain n’est pas négociable » disait déjà Georges Bush (père) lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992 ; en 2017, Donald Trump sortait les États-Unis de l’accord de Paris, le jugeant « très inéquitable » pour son pays, pourtant épinglé comme l’un des plus importants pollueur par habitant.

S’il y a tension, les risques de guerre sont d’autant plus grands qu’il est toujours plus facile de « rassembler la nation » contre un ennemi que de lui proposer de changer son mode de vie. Quand on constate combien notre société actuelle repose sur la voiture, comment penser que cela va se transformer radicalement en quelques années ? Il sera toujours plus facile de continuer comme avant, à quelques mesurettes près, même si cela implique de continuer à polluer la terre de tous ou à vider de leur ressources les quelques pays pourvus de lithium ou de cuivre8.

Dans quelle mesure les guerres en cours sont-elles déjà un avant-goût des guerres climatiques ? Certes elles n’ont apparemment rien à voir. Mais dans un monde au bord du précipice, l’air est inflammable, et les braises des anciennes querelles (la guerre froide, le conflit israélo-palestinien) sont les premières à refaire des flammes.

Mange ta soupe !

Encourager un enfant à faire des études est devenu difficile. Non seulement les études ne sont plus un passeport pour la réussite ; savoir ruser semble rapporter plus que devenir savant et cultivé ; mais on peut craindre que ce cerveau bien éduqué finira avec la course d’un missile ou d’une bombe, et/ou dans une énième catastrophe climatique.

Voir les nuages s’accumuler et se sentir impuissant à prévenir la tempête est tétanisant et démobilisateur. Tous les efforts semblent insignifiants. A quoi bon ? Plonger sa tête dans le sable et suivre les vents dominants sont encore ce que nos sociétés font de mieux.

A défaut de prétendre inverser le cours des choses, nous continuons à militer parce que « La dignité du présent est ce qu’il nous reste de plus sûr face à l’improbabilité de victoires futures, de plus en plus hypothétiques au fur et à mesure que notre civilisation sombre » (Corinne Morel Darleux)

1 L’insistance US pour que les pays membres de l’OTAN consacrent 2% de leur PIB à l’armement n’est pas innocent. Donald Trump est plus soucieux de la bonne santé du complexe militaro-industriel US que de la puissance de soi-disant alliés.

2 https://www.etuc.org/fr/pressrelease/lukraine-sert-de-pretexte-pour-contourner-les-regles-en-matiere-de-temps-de-travail

3 https://www.etuc.org/sites/default/files/document/file/2024-07/FR%20-%20Adopted%20Resolution%20-%20Ensuring%20security%20-%20%20New%20impulse%20for%20peace%20needed.pdf

4 Traduction libre, voir “Statement of the PERC Executive Committee – Solidarity with Ukrainian people and their trade unions”, 14/3/2023

5 https://www.haaretz.com/israel-news/2024-09-15/ty-article/.premium/israel-is-recruiting-asylum-seekers-for-war-effort-offering-promise-of-permanent-status/00000191-f1f9-da43-a1db-f9fb07cf0000

6 A voir l’hystérie politico-médiatique qui s’est déchaînée, en France, contre le parti LFI (la France Insoumise), qui pourtant ne fait qu’invoquer le respect du droit international et l’arrêt du massacre. On mesure le « coût » payé par cette formation politique alors que leur attitude courageuse a été le prétexte à ne pas reconnaître la victoire de la gauche aux dernières élections, à diviser celle-ci, à nommer un gouvernement et mener une politique de droite.

7 https://workers4palestine.be/

8 Composants essentiels pour les moteurs et les batteries électriques.


Source : Le Drapeau Rouge

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