Ivorian reggae singer, songwriter and musician Tiken Jah Fakoly poses during a photo session in Paris on February 9, 2023. (Photo by JOEL SAGET / AFP)

Tiken Jah Fakoly: “La place de Sarkozy est en prison!”

Star internationale du reggae, le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly se produit ce mercredi au Festival des Libertés à Bruxelles. Connu pour ses textes engagés tels que "Tonton d’America", "Ouvrez les frontières", "Plus rien ne m’étonne", Tiken Jah Fakoly présente son dernier album Braquage de pouvoir.  Une occasion de plus pour rendre hommage aux leaders africains tombés en l’honneur de leurs peuples. Nous avons pu l’interviewer à l’occasion de sa tournée européenne qui se poursuit avec quelques dates en France puis au Canada le mois prochain. 

Vous prenez régulièrement position dans vos chansons contre les guerres et les frontières, avez-vous un mot à nous partager sur ce qui se passe en Palestine ?

Tout le monde a été surpris de cet évènement, de cette attaque qui a fait beaucoup de victimes. Avant même ma naissance, c’était déjà la guerre dans cette région. Le monde va tellement mal, s’il faut ajouter une crise ouverte entre Israël et la Palestine, ça risque de remuer le monde encore plus. En tant qu’homme de paix, je souhaite que ces évènements s’arrêtent, qu’une solution soit trouvée! Il y a déjà assez de morts. Je souhaite que le calme revienne le plus rapidement possible dans cette région.

Vous chantez depuis des années le droit à l’indépendance de l’Afrique et la fin des ingérences. Il y a là aussi un deux poids deux mesures dans le traitement politique et médiatique, comme sur la Palestine.

Bien sûr! Le problème c’est que ceux qui dirigent ce monde ne sont pas réglos, ils ne jugent pas les choses équitablement ! Je pense que c’est pourquoi le monde va si mal aujourd’hui, le système occidental impose les politiques en fonction de ses humeurs, de ses intérêts.

Prenons l’exemple de la guerre au Mali, ça fait longtemps que ça a commencé. La guerre en Ukraine a vu les armes affluer vers ce pays alors que ces mêmes armes ont été refusées au Mali.

Les peuples sont réveillés, l’information est là, je pense que nous sommes à un tournant très important. Plus personne ne veut se laisser imposer des politiques de l’extérieur. J’espère que la justice et l’égalité mèneront les prises de décision pour ramener la paix tant en Afrique qu’au Proche-Orient.

Concernant le Mali, dans une interview à paraître prochainement, Bassekou Kouyate nous disait de venir voir, que ce n’est pas le chaos décrit par les médias. Un peu comme dans votre chanson “Viens voir“…

Oui et je précise que la guerre, c’est dans le Nord, à trois heures d’avion de Bamako. En effet, il faut venir pour comprendre, comme je le disais dans ma chanson Viens voir (ndlr: «toi qui parles sans savoir »).

Je l’ai toujours dit, quand un pays africain veut son indépendance et la liberté, s’il dit non à l’Occident et que ça fonctionne, les autres pays pourront s’en inspirer. Or, l’Occident considère le Mali et le Burkina comme de mauvais élèves. Et il ne va pas hésiter à attiser le feu, chercher la division. Ce qu’ils attendent, c’est de pouvoir dire « on vous avait dit que ça ne marcherait pas ». Est-ce que nous Africains on doit vivre éternellement sous la coupe des USA, de la France ? Je ne le pense pas!

Après la Deuxième Guerre mondiale, un grand défilé a été organisé pour dire que la France avait gagné la guerre. Mais tout le monde sait que ce n’est pas la France qui a gagné seule cette guerre! Il est important pour un peuple de gagner sa dignité, de se faire respecter. Les Occidentaux doivent apporter un soutien matériel aux pays inquiétés par le djihadisme. Que les actes soient cohérents avec leurs discours. Le G5 Sahel devait être financé par les Occidentaux, mais on n’a rien vu venir. Alors que sur l’Ukraine, les armes sont arrivées par milliers.

D’autant plus que ce qui se passe au Mali n’est pas indépendant de la guerre en Libye, impulsée par Sarkozy.

Totalement, quand on voit Sarko se balader au bras de Carla dans les rues de Paris, nous sommes choqués ! Tout le monde sait que la Libye, sous Khadafi, qui avait beau être un dictateur, était un pays calme en grande majorité, les Libyens vivaient bien. Qui est Sarkozy pour décider à la place des Libyens ? Il a provoqué cette guerre et maintenant le pays est complètement détruit ! Les agissements de l’État français et même d’un seul homme sont immenses pour la Libye, mais aussi les pays voisins. La place de Sarkozy est en prison, tout simplement !

Tout le monde sait que cette guerre était injuste… Khadafi avait anéanti les islamistes de la région, mais le phénomène a empiré après l’intervention de l’Otan. C’est assez gênant que les médias ne mettent pas plus cela en avant.

Que pensez-vous des bouleversements récents dans plusieurs pays d’Afrique de l’ Ouest et centrale?

Je pense qu’il y a une révolte du peuple africain, par rapport aux manipulations des hommes politiques dans nos pays, qui sont trop souvent associés avec l’Occident. Le peuple a compris que nous ne décidons pas dans nos pays et les décisions viennent d’ailleurs. Nous n’avons eu qu’une photocopie de l’indépendance et il faut réclamer la copie originale de 1960. C’est cette réclamation qui est en train d’être faite par ces jeunes au pouvoir, même si cela passe par des coups d’Etat. Avant, c’était des coups d’État de Foccart. Maintenant, les coups d’État sont ceux de la jeunesse africaine.

Excepté le Niger, les récents coups d’État ont été menés par des jeunes venus du ghetto, de la masse. Aujourd’hui, ils sont en train de redonner à l’Afrique sa dignité. Ils sont au pouvoir, mais je pense qu’ils connaissent les peuples. Et s’ils ne font pas ce que veulent les peuples, ils devront partir.

La Françafrique, c’est du passé comme le répètent les présidents français à chaque fois?

Je dirais à travers une métaphore, nous sommes à la fin d’une histoire. Mais c’est un peu comme une histoire d’amour avec une partie qui refuse d’accepter que ça finisse. Les pays qui ne veulent plus de cette histoire ne sont pas anti-français, mais anti-système imposé par la France. Ils ne veulent plus recevoir d’ordres, ils veulent choisir leurs partenaires, ce qui leur a été si souvent refusé. C’est la fin d’une histoire, et il y en a un qui le prend mal. Si la France revient avec respect, en discutant d’égal à égal, alors nous pourrons parler.

Un partage du gâteau équitable, c’est tout ce que nous réclamons !

On a bien vu que la Françafrique, ce n’est pas fini avec les interventions de Macron. On a compris qu’ il a toujours ce ton de maitre français qui veut coloniser, ça ne peut pas bien se passer avec cette approche.

Quelle est votre vision du futur pour l’Afrique et plus spécifiquement pour la Côte d’Ivoire ?

Je suis optimiste, c’est un continent qui sort de 400 ans d’esclavage et de colonisation. On a dansé pour les indépendances, on souhaite la liberté, une liberté réelle sans ingérence. L’Afrique c’est le plus grand continent, le plus peuplé prochainement, avec une population jeune et dynamique.

Pour la Côte d’Ivoire, je travaille pour que les Ivoiriens ne se tapent plus dessus, restent unis et pas coalisés selon les religions, les régions, les ethnies. Je chante pour que les Ivoiriens posent des conditions aux hommes politiques, pour qu’il n’y ait plus d’opposants en exil, de candidats empêchés de se présenter. Celui qui arrivera au pouvoir sera obligé de faire ce que veulent les masses. Le pays a été divisé, brisé par les histoires des anciens, Bedie, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara…

Les différentes ethnies doivent se mettre ensemble, exiger des meilleures conditions de vie. Nous sommes un pays qui a connu la guerre civile, qui a galéré. Le développement peut se faire mieux, même si nous, panafricanistes, ne sommes pas toujours d’accord avec la politique de Ouattara, le pays avance tout de même.

Source: Investig’Action

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