Supporters of Taiwan People's Party (TPP) presidential candidate Ko Wen-je wait for the results of the presidential election at the TPP headquarters in Xinzhuang in New Taipei City on January 13, 2024. (Photo by I-Hwa CHENG / AFP)AFP

Taiwan : statu quo dans un paysage politique transformé

L’élection taiwanaise est la première d’une série au plan international en 2024, elle dit l’épuisement de l’offre “démocratique” telle qu’elle est reconnue par l’Occident. La Chine constate que le “vainqueur” ne représente pas l’opinion taiwanaise et que le choix des Etats-Unis n’apporte aucune solution à la crise économique et politique interne. Il est donc probable que la Chine va à la fois accentuer la pression et attendre que les contradictions d’un tel système fassent murir le fruit.

Après des mois de campagne intense, le Parti démocrate progressiste (DPP) est sorti victorieux samedi de l’élection présidentielle taïwanaise de 2024, obtenant un troisième mandat consécutif historique.

Cependant, la domination du parti est passée d’absolue à relative ; Il n’a obtenu que 40 % des voix présidentielles et n’a pas réussi à conserver la majorité des sièges législatifs.

Pendant ce temps, le Kuomintang (KMT) n’a pas réussi à reprendre la présidence ainsi que la majorité des sièges législatifs. Les sièges restants sont occupés par le Parti du peuple taïwanais (TPP).

Le Parti du peuple taïwanais, bien qu’il occupe la troisième place au Yuan législatif avec huit sièges, a obtenu un score remarquable de 26 % dans la course à la présidence, ce qui est au-dessus de son poids compte tenu de ses ressources limitées et de sa formation récente.

Ces résultats signifient un changement dans le paysage politique taïwanais. Le système bipartite de longue date semble se transformer en une dynamique tripartite désordonnée.

Pourquoi y a-t-il une augmentation des tiers ?

Alors que le troisième mandat présidentiel consécutif du DPP peut sembler être une victoire, les fissures dans les fondations du paysage politique taïwanais s’élargissent.

Les racines de cette instabilité remontent à 2020, lorsque le sentiment anti-establishment couvait sous la surface, alors même que le facteur chinois dominait les gros titres. Cette fois, le mécontentement déborde.

Le gouvernement du DPP, qui a déjà surfé sur une vague de soutien de la jeunesse, est maintenant accusé d’abus de pouvoir et, surtout, d’incapacité à résoudre les problèmes mêmes par ceux qui l’ont propulsé au pouvoir en 2016 ; la flambée des prix de l’immobilier, la stagnation des salaires et l’aggravation des inégalités. Ces problèmes de plus en plus prégnants dans la société taiwanaise et sensible en particulier pour la jeunesse ont alimenté la montée du PTP.

Le Kuomintang, l’autre pilier de l’ordre ancien, peine à proposer des solutions. Les taux d’intérêt subventionnés qu’il proposait risquaient de gonfler davantage la bulle immobilière, aliénant la jeune génération dont elle avait désespérément besoin pour gagner.

Pendant ce temps, le PTP a proposé des solutions de rechange – logements sociaux, subventions au loyer et même augmentation de l’impôt foncier – visant à rendre le logement vraiment abordable.

Pendant des décennies, le pouvoir a oscillé entre le KMT et le DPP, mais la satisfaction des électeurs à l’égard de la démocratie taïwanaise s’étiole en dessous de 50%.

Cette statistique frappante trahit une profonde crise de représentation, un tollé contre les partis établis, souvent en raison d’un échec perçu à s’attaquer aux problèmes fondamentaux.

Le TPP, surfant sur cette vague de désillusion, attire ceux qui aspirent à un changement politique, en se concentrant sur les malheurs intérieurs. Il apparaît comme une lueur d’espoir pour ceux qui ont perdu confiance dans le système bipartite.

Pourquoi le DPP a-t-il gagné à nouveau ?

Les sondages préélectoraux ont brossé un tableau clair : plus de 60 % des personnes interrogées ont soif de changement, d’une rupture avec l’emprise du Parti démocrate progressiste sur le pouvoir.

Mais la vague de mécontentement s’est dispersée, divisant les électeurs entre le KMT établi et la force montante du TPP.

Les jeunes ont afflué vers le nouveau venu, tandis que le KMT a trouvé grâce parmi les personnes plus âgées.

Pour renverser le gouvernement, un front uni semblait logique. Pourtant, la coopération est devenue impossible, remplacée par une animosité croissante entre les partis d’opposition. Ce paysage fracturé a donné un avantage au parti au pouvoir : une opposition divisée signifiait que sa propre victoire était pratiquement garantie.

Le KMT, prêt à tout pour faire pencher la balance, a eu recours au vote stratégique, dans le but de marginaliser le TPP.

Les campagnes négatives contre le PTP se sont intensifiées après l’échec des tentatives de négociation le 23 novembre. Les médias traditionnels taïwanais étant fortement alignés sur le Kuomintang ou le gouvernement, le TPP a dû faire face à une bataille difficile pour obtenir du temps d’antenne.

Au lieu de céder la scène, il est passé au numérique. Il a lancé sa propre chaîne YouTube, et ses partisans ont mené des campagnes en ligne et hors ligne et ont créé des chaînes d’information alternatives. Cette contre-offensive a transformé le combat en un affrontement sur trois fronts.

La bataille est devenue plus qu’un simple affrontement entre l’establishment et l’anti-establishment. Cela s’est transformé en un affrontement entre les médias traditionnels et le pouvoir naissant des médias sociaux.

L’insurrection numérique du Parti du peuple taïwanais a remis en question la domination de longue date des médias traditionnels et a créé un espace pour que leurs voix soient entendues.

Alors que le résultat de l’élection est peut-être déterminé, le champ de bataille numérique montre qu’une nouvelle force a émergé dans le paysage politique taïwanais.

L’avenir des relations entre les deux rives du détroit

Sur le plan international, la continuité semble être le mot d’ordre.

La relation établie avec les États-Unis, entretenue par la présidente sortante Tsai Ing-wen, devrait se poursuivre sous la direction du nouveau vice-président, Hsiao Bi-khim. Son bilan estimé en tant qu’ancienne ambassadrice aux États-Unis inspire confiance dans le maintien de liens solides.

Cependant, les relations entre les deux rives du détroit et la Chine risquent de se heurter à une tempête.

Le président, Lai Ching-te, et le vice-président ayant ouvertement soutenu l’indépendance de Taïwan dans le passé, la Chine les perçoit comme un « duo indépendantiste » uni. Cette position pourrait déclencher des réactions sévères, allant d’une nouvelle réduction des échanges commerciaux à la résiliation de l’accord de libre-échange ou à des tensions militaires accrues.

Pour aller de l’avant, il faut trouver un équilibre délicat entre le respect des valeurs démocratiques de Taïwan et la reconnaissance des réalités géopolitiques complexes. L’avenir des relations entre les deux rives du détroit de Taïwan dépend de la façon dont cet équilibre sera maintenu. Le Parti démocrate progressiste au pouvoir sera jugé sur la façon dont il marche sur la corde raide.

L’émergence du Parti du peuple taïwanais peut sembler ajouter une autre couche de complexité, avec ses points de vue potentiellement divergents sur la politique de l’autre côté du détroit. Le parti estime que faire preuve de bonne volonté peut faire baisser la température et éviter des mesures plus sévères telles que des restrictions commerciales ou une escalade militaire.

Pourtant, contrairement à l’accent mis par le KMT sur l’apaisement, le TPP préconise le renforcement de la défense nationale pour dissuader l’agression et assurer une coexistence pacifique avec la Chine.

Par conséquent, bien que les perspectives immédiates des relations entre les deux rives du détroit puissent être turbulentes, la croissance robuste de la démocratie taïwanaise offre une lueur d’espoir pour un avenir où le pragmatisme domine.

L’élection de Taïwan a présenté un paradoxe : une victoire familière mais un changement fondamental dans le paysage politique.

Bien que l’avenir immédiat soit incertain, la montée du Parti du peuple taïwanais et le soutien continu des États-Unis offrent l’espoir d’une démocratie plus ouverte et plus réactive.


Source originale : The Conversation

Traduction de l’anglais par Histoire & Société

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