In a photograph taken on August 15, 2012, pro-China activists carrying Chinese and Taiwanese national flags walk on the disputed island known as Senkaku in Japan and Diaoyu in China after arriving on their boat, west of Japan's sourthern island of Okinawa. Taiwan on August 16 urged Japan to release a group of pro-China activists arrested for landing on a disputed island in the East China Sea on August 15. AFP PHOTO / YOMIURI SHIMBUN JAPAN OUT (Photo by Yomiuri Shimbun / AFP)AFP

Taïwan: La reconstitution de la “Maison-Chine”

Nos médias ont largement mis en avant la victoire du candidat anti-chinois lors des élections à Taïwan. Sans trop parler des concurrents. Robert Charvin analyse le scrutin et le replace dans contexte historique. Une lecture intéressante pour comprendre les relations entre la Chine et Pékin, le jeu trouble de Washington et l’aveuglement de nombreux observateurs occidentaux. (I’A)

Avant le XIX° siècle, l’isolement de la Chine a permis à la Chine ancienne de se maintenir en l’état. L’intervention du monde occidental, en particulier de la Grande-Bretagne, a entraîné néanmoins sa désagrégation, tout comme le souligne Marx « une momie soigneusement conservée dans un cercueil hermétique scellé mis en contact avec l’air libre ». La Chine commençait son apprentissage des politiques occidentales (notamment la scandaleuse « guerre de l’opium »), qui conduit à la Révolution de 1949 affirmant notamment la volonté d’une reconquête de soi-même. Pour la République Populaire, la Chine Impériale n’a pas été seulement victime de l’Occident ; elle relève de la catégorie des « criminels historiques » pour avoir laissé « violer les territoires chinois » et « insulter la dignité nationale du peuple chinois ».

L’œuvre de la Chine contemporaine est certes d’édifier un socialisme à sa mesure, mais aussi de reconstituer un pays largement édifié par ses Ancêtres. Tout le contraire d’un impérialisme puisqu’il s’agit de reconstruire la « Maison-Chine » de toujours, que les puissances occidentales lui ont volée au temps de sa faiblesse. C’est ainsi qu’ont été réintégrés dans le giron de la « mère-patrie » le Tibet, Macao, et Hong Kong, selon un processus patient et négocié, stimulé par les préoccupations de sécurité à long terme des investisseurs privés occidentaux.

Guerre d’influence et statu quo

Reste aujourd’hui le cas de Taïwan, notre « Alsace-Lorraine », confiait Chou En Lai à un interlocuteur français. Taïwan fut l’ultime refuge des « nationalistes » du Kuomintang, vaincus sur le continent par les troupes communistes, et est devenue une entité politique artificielle en 1950, parce qu’intégrée dans la zone de sécurité des États-Unis en Asie en raison de la guerre de Corée. Qualifiée de « République de Chine », elle n’est pour Pékin qu’un « État fantoche » tandis qu’il est devenu, bien que reconnu diplomatiquement par très peu d’États, un bastion anti-chinois dans la stratégie occidentale.

Les États-Unis et leurs alliés se sont d’abord fondés sur un anticommunisme sommaire, distinguant approximativement « le totalitarisme » du PC chinois de « l’autoritarisme » du Kuomintang… Aujourd’hui, le pluralisme officiel régnant à Taïwan est profondément affecté par la tutelle étasunienne, le rôle déterminant des grands groupes privés et la corruption (avec, par exemple, l’achat traditionnel des votes) qui réduit la portée réelle des élections. La force, cependant, du régime taïwanais est son développement et son mode de vie consumériste « à l’occidental » : le Président Lee-Teng-hui dénonçait lui-même, dès 1984, la crise d’identité de son pays, en faisant le procès de l’hégémonie de la « culture du fast food » !

Cette fracture socio-culturelle entre Pékin et Taïwan n’est cependant que partielle en raison du développement rapide de la société chinoise et de ses réussites économiques qui deviennent de plus en plus attractives, y compris pour les Taïwanais. La guerre d’influence à laquelle se livrent la Chine et les États-Unis dans la région Pacifique conduit les petits États, y compris Taïwan, à une extrême prudence. Malgré les pressions étasuniennes sur le parti « démocratique progressiste » (qui porte mal son nom) né en 1986 qui est essentiellement « occidentaliste », celui-ci ne s’affiche pas ouvertement comme « indépendantiste », malgré ce qu’en disent les médias occidentaux. Le PDR, comme tous les partis de Taïwan, obéit à l’opinion générale, favorable au maintien du statu quo. Le Kuomintang, jusqu’en 1988, fondamentalement anticommuniste, s’est profondément transformé au point de devenir favorable au rapprochement avec Pékin et ne s’oppose pas radicalement à la Déclaration Conjointe sino-britannique de 1979 (que les médias occidentaux ne mentionnent jamais) : « Un État, deux systèmes ». Pour l’essentiel, cependant, Pékin estime que la question est d’ordre intérieur, tandis que les États-Unis s’efforcent avec leurs alliés de l’internationaliser. Pour réaliser cet objectif, il est utile de faire croire qu’un affrontement armé est non seulement possible, mais vraisemblable et que la question de Taïwan a pour origine l’impérialisme chinois et que les États-Unis ne souhaitent que la paix et le respect de la souveraineté de Taïpei, ce qui n’est pas dans les habitudes de la diplomatie de Washington !

Un succès électoral relatif

En dépit des apparences et de certaines déclarations de l’État chinois en faveur de la réunification, « par tous les moyens », il n’y a pour lui aucune urgence. La réunification est un processus dont la voie et les modalités peuvent présenter la plus grande souplesse, en s’accompagnant d’une conception spécifique du temps et d’une certaine lenteur historique qui dérangent l’Occident dont la diplomatie est « agitée » sur le modèle des relations affairistes. Les États occidentaux ne comprennent pas la vision à long terme de la politique chinoise[1]. Les États-Unis et leurs alliés invoquent pour expliquer qu’il y a une menace immédiate pesant sur Taïwan les succès industriels de Taïpei dans l’industrie des semi-conducteurs qui rivaliserait avec celle de Pékin. La réalité est tout autre : le marché chinois des semi-conducteurs représente 70% du marché mondial fermé à l’industrie taïwanaise déjà en état de surproduction : une technologie même avancée ne vaut pas grand-chose si elle n’a pas de débouchés…

Lors des élections présidentielles et législatives de 2024, les grands médias français, par exemple, ont été particulièrement malhonnêtes. Ils n’ont annoncé que la victoire du candidat présidentiel du Parti « Démocratique » le plus hostile à Pékin, sans préciser les résultats des autres candidats. Sans indiquer non plus que le PDP avait perdu 2 millions ½ d’électeurs par rapport aux précédentes présidentielles et qu’il n’était plus majoritaire au Parlement. Le PDP a obtenu 5 millions ½ de voix et le Kuomintang, le plus proche de Pékin, 4 millions,4. Impossible de savoir si l’on s’en tient à l’information « officieuse » des grands médias publics et privés le taux de la participation électorale ….

Autrement dit, le succès des pro-Américains, qui ont bénéficié de tous les appuis[2], est particulièrement limité et les Taïwanais disposés à négocier pacifiquement avec Pékin sont toujours très nombreux.

Si les Français ne savent rien de cette situation, obsédés par l’Ukraine et la « démocratie » israélienne, grâce aux « bombardements » médiatiques de pratiquement toutes les chaînes, ils resteront persuadés que la Chine est une puissance menaçante, tout comme la Russie et la Corée du Nord et que le Bien, évidemment, se trouve à Washington, de même qu’ils avaient appris par la même voie médiatique que l’Algérie était française !


Source: Investig’Action


Notes

[1]Même un journal comme L’Humanité, a un regard influencé par le « rythme » politique occidental et une diplomatie souvent précipitée. Tout le contraire de la pratique chinoise.

[2]Au contraire, si l’on en croit les médias occidentaux, c’est Pékin qui a usé de tous les moyens pour faire pression sur les électeurs. C’est l’attractivité du niveau et du mode de vie de la population chinoise qui décidera un jour de la séparation définitive ou de la réunification.

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