Ce dimanche soir, c’est l’abstention qui sort grande gagnante de ce premier tour des législatives avec près de 53% des inscrits. Au coude à coude avec le bloc macroniste (25,8%), la NUPES (26,2%) s’impose comme la première opposition à l’Assemblée tandis qu’Ensemble ! risque de n’obtenir qu’une majorité relative, un véritable revers.
Dans le sillage des présidentielles, le premier tour des élections législatives 2022 confirme, sur fond d’abstention historique (52%), la recomposition profonde du paysage politique français. Si 2017 avait ouvert la voie à l’effondrement des partis traditionnels LR-PS, 2022 a marqué celle de la tripartition de la vie politique divisée dorénavant en trois pôles : le pôle de « centre-droit » menée par Macron, constitué de la coalition Ensemble ! formée par LREM, le MoDem et Horizons ; le pôle de « gauche » incarné par la NUPES, qui regroupe derrière Mélenchon une nouvelle union de la gauche allant jusqu’à EELV et le PS ; le pôle d’extrême droite représenté majoritairement par le RN.
Abstention majoritaire : expression d’une défiance toujours plus grande contre la classe politique
Sans surprise, après une campagne des législatives marquée par un très fort désintérêt de la part de la majorité du monde du travail, des classes populaires et de la jeunesse, l’abstention au premier tour des législatives atteint le niveau historique de 52,50%. S’il n’est pas nouveau que ce type de scrutin soit frappé massivement par l’abstention – de 31 % en 1993 à 51,3 % en 2017 – ce nouveau record est cependant loin d’être anodin. Avec le précédent record de 2017, c’est la deuxième fois que l’abstention est majoritaire lors d’un scrutin national dans l’histoire de la Vème République.
Cette abstention est l’expression supplémentaire d’une défiance toujours grandissante envers la classe politique. En effet, près de 40 % de la population estiment que l’Assemblée nationale n’est « pas utile », selon une enquête commandée par l’institution elle-même en novembre 2021, soit 27 points de plus qu’en 1985. Elle signe le franchissement d’un cran supplémentaire dans le discrédit des institutions, sur fond de crise de régime ouverte depuis les années 2000.
Le macronisme en difficulté, échec relatif du RN, LR en chute
Pour Macron, l’enjeu de ces élections législatives est clé. Réélu en avril avec une faible légitimité, le fait d’obtenir une majorité relative ou faible majorité absolue jouera un rôle crucial pour la suite du quinquennat.
De ce point de vue, le score de 25,8% obtenu par la coalition Ensemble !, s’il lui permet potentiellement de conserver la majorité des sièges (entre 270 et 310) à l’Assemblée nationale, comporte un risque majeur de ne pas obtenir de majorité absolue. Or, la configuration de l’Assemblée nationale sera déterminante en interne à la coalition LREM/MoDem/Horizons, où la faiblesse du macronisme pourrait être utilisée par Edouard Philippe comme par François Bayrou, particulièrement malmenés dans la constitution du gouvernement Macron II et lors de la répartition des circonscriptions aux législatives. Cela se combine aux velléités d’Edouard Philippe de succéder à Emmanuel Macron. En externe, elle rendra probablement des alliances et des compromis avec LR nécessaires à la macronie.
Arrivé deuxième lors des élections présidentielles, le RN, qui espérait l’obtention d’une centaine de sièges subit un échec relatif. Le parti de Marine Le Pen progresse de façon importante en dépit d’une non-campagne avec 19,1% (+7%) des suffrages, et pourrait viser 15 à 30 sièges à l’Assemblée. Cela pourrait lui permettre de constituer un groupe parlementaire, qui nécessite quinze députés au minimum. Des résultats en-deçà de leurs bons scores aux élections présidentielles, notamment liés à l’abstention très importante de la base électorale du RN, en particulier au sein des couches populaires, à l’absence de campagne nationale, mais aussi aux contradictions structurelles du RN, à son électorat volatile et à son manque d’implantation au sein des territoires.
Pour LR (11.10%), parti qui incarne la droite traditionnelle, le premier tour des législatives s’inscrit dans la continuité de leur échec cuisant aux présidentielles, où Valérie Pécresse n’a même pas réussi à atteindre les 5%. LR passe de la première force d’opposition à l’Assemblée nationale, avec 97 sièges, à un faible groupe parlementaire, avec potentiellement 33 à 53 sièges. Pour autant, le parti, dont la direction appelle pour l’instant à ne voter au second tour ni pour LREM, ni pour le RN, pourrait profiter de la faiblesse du macronisme pour monnayer son soutien à la coalition Ensemble ! et préserver son existence sur la scène politique nationale.
NUPES : une victoire en termes de pourcentages, en dépit d’une abstention record
Les excellents résultats de la NUPES (26,2%) au premier tour confirment son statut de première opposition face aux bloc macronien, avec la possibilité d’obtenir 170 à 220 sièges à l’Assemblée, en étant présents dans plus de 500 circonscriptions au second tour. Un score qui fait de la coalition de gauche le vainqueur, en termes de pourcentages, de ce premier tour, et qui lui permettrait de multiplier par trois sa présence dans l’hémicycle.
Surtout, ce score renforce les attentes autour de la NUPES, qui a fait de la perspective de voir « Mélenchon premier ministre » l’objectif à atteindre. À tel point que le leader insoumis lui-même ne s’est pas présentée aux législatives. Pour autant, la perspective reste un objectif qui sera difficile à atteindre du fait des mécanismes de la Ve République.
Malgré cette victoire, le pari de poursuivre la dynamique des Présidentielles, en mobilisant les quartiers populaires et, plus largement, les abstentionnistes, en faveur d’une mobilisation large autour du vote NUPES, reste en-deçà de ce qu’aurait pu espérer la coalition de gauche. En Seine-Saint-Denis, la participation n’atteint pas les 30%.
Quoi qu’il en soit, le succès de la NUPES pourrait pousser LREM, du fait de sa faible assise parlementaire, à devoir s’entendre avec la droite traditionnelle, incarnée par LR. Ce qui risque de limiter la capacités de la NUPES à jouer la stratégie de « guérilla parlementaire », par le biais d’amendements et de contre-amendements. Une stratégie en définitive incapable de stopper le projet de guerre sociale du gouvernement.
Vers un deuxième tour décisif
Le second tour ne fera l’objet que d’une poignée de triangulaires. Du fait de l’abstention record, la possibilité de réunir 12,5% des inscrits a rendu cette configuration exceptionnelle. Déjà en 2017, une seule circonscription s’était retrouvée avec trois candidats au second tour.
Dans la majorité des circonscriptions, le deuxième tour sera ainsi un duel entre Ensemble ! et la NUPES. Dans ce contexte, l’un des enjeux pour Macron va être de convaincre les électeurs de droite du « vote utile » face à la NUPES. C’est en ce sens que le Président de la République a cherché à diaboliser Mélenchon, autour de la crainte du « péril rouge » et de l’insécurité, autour de ses déclarations sur la police. Une dynamique appelée à s’approfondir d’ici le second tour.
Du côté de Mélenchon, la question de la mobilisation des abstentionnistes sera à nouveau centrale pour réussir à obtenir le maximum de sièges. Il pourrait potentiellement revenir à un discours s’adressant aux « fâchés pas fachos », dans le but de mobiliser autour du vote anti-Macron une partie des électeurs du RN, tout en continuant à mobiliser le « peuple de gauche » qui constitue la majorité de sa base sociale.
Le second tour s’annonce riche en incertitudes. En premier lieu pour Emmanuel Macron, qui joue sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, tandis que la NUPES devra transformer l’essai pour constituer l’opposition parlementaire la plus large possible. L’issue de ce scrutin sera une des variables déterminantes pour répondre à la question : où ira le macronisme ?
Source: Defend Democracy
Photo: Rama – CC