En 2009, la guerre civile au Sri-Lanka prenait fin, laissant derrière elle des dizaines de milliers de victimes. Pour enquêter sur les erreurs commises, les échecs à obtenir un cessez-le feu et pour tirer les leçons de cette tragédie, le gouvernement sri-lankais a mis sur pied une commission qui a rendu son rapport au parlement en 2011. Mais le travail de cette commission n’a pas fait l’unanimité auprès d’une certaine communauté internationale. Le manque de moyens et d’indépendance étaient pointés. A travers les Nations unies, Washington voudrait y mettre son grain de sel, ce qui n’est pas du goût de Tamara Kunanayakam, délégué sri-lankaise auprès de l’ONU. Les Etats-Unis agiteraient-ils la doctrine des bonnes intentions pour rencontrer des intérêts stratégiques dans la région ? L’ingérence humanitaire peut-elle dépasser la frontière de la souveraineté des peuples ? (IGA)
Sri-Lanka: « Un cas classique de double standard et d’hypocrisie »
Q : Pourquoi le Gouvernement s’oppose au projet de Résolution US qui en effet appelle uniquement le Sri Lanka à mettre en œuvre sa propre solution ?
R : Le projet de résolution soumis par les USA n’est pas une surprise ! Depuis que la Session Spéciale du Conseil de 2009 sur le Sri Lanka a adopté une Résolution remerciant l’effort fait par le Sri Lanka et demandant à la communauté internationale de soutenir le processus interne, les dirigeants de certains pays n’ont jamais caché leurs intentions de revisiter le passé. De mon point de vue, il semble que l’objectif est de nous obliger à compromettre notre souveraineté, renter dans le rang, et accepter leur leadership. Il ya plusieurs raisons pour lesquelles la plupart des pays en développement et les nations émergentes ne soutiennent pas le projet de texte, ni l'ordre du jour caché et les pressions qui l'accompagnent. Tout d'abord, il s'agit d'une initiative sans précédent en ce que, pour la première fois, le Conseil se penchera sur des problèmes passés. Si elle est adoptée, elle aurait pour effet de transformer le Conseil en tribunal, en modifiant les pouvoirs qui lui ont été confiés par l'Assemblée générale et en politisant l'institution de sorte qu'elle serve mieux les objectifs de la politique étrangère des grandes puissances. Deuxièmement, cela portera atteinte à la règle bien établie du droit international qui exige l'épuisement des recours internes et favorisera l'intervention dans les affaires intérieures des États. Troisièmement, elle ne juge pas les faits qui lui sont soumis, mais plutôt l'intention du gouvernement en ce qui concerne la mise en œuvre du rapport LLRC, et cela est sans précédent! Quatrièmement, elle traite un rapport, dans ce cas celui d’un mécanisme national LLRC, qui n’est pas formellement pris en considération devant le Conseil des Droits de l’Homme. Cinquièmement, en obligeant le Sri Lanka à accepter des conseils et de la coopération technique du Bureau du Haut Commissaire et des mécanismes de procédures spéciales du Conseil, elle viole l'obligation de la Charte qui dit que les droits humains doivent être encouragés à travers la coopération internationale. Le projet est un exemple classique de l'hypocrisie et du deux poids deux mesures! Il réaffirme que les États doivent veiller à ce que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient conformes à leurs obligations en vertu du droit international, particulièrement ceux relatifs aux droits de l'homme internationaux, des réfugiés et du droit humanitaire. Pourtant, nous connaissons tous le bilan des États-Unis à cet égard! Il ya quelques jours, le président Karzaï de l'Afghanistan a accusé un groupe de soldats américains d'avoir délibérément tué 16 civils, parmi eux 9 enfants et 3 femmes dans la province de Kandahar. De tels exemples peuvent être facilement multipliés! Qu'est-ce, peut-on se demander, tout cela a à voir avec les droits internationaux? Que pouvons-nous espérer d'un pays qui a un bilan désastreux sur les droits humains et refuse de rendre des comptes à personne!
Q : Il y a ceux qui considèrent le libellé du texte léger. Etes-vous d'accord avec cette appréciation?
R : Certainement pas! Présenter le projet comme léger fait partie d'une tactique brute pour obtenir un soutien pour le texte! L'objectif est d'exercer une pression sur les membres du Conseil et sur le Sri Lanka à accepter un processus qui nous conduira inévitablement à l'acquiescement et, par conséquent, légitimer une intervention extérieure dans nos affaires intérieures, abdiquer notre indépendance et notre liberté. Cette résolution ne constitue qu'une étape dans cette direction! Bien sûr, cela est totalement hors de question! Le résultat de cette bataille n'est pas encore connu, mais une chose est claire – Nous n'allons pas trahir la confiance de notre peuple, ni la solidarité et le soutien exprimé par nos nombreux amis dans la communauté internationale!
Q: Vous avez déjà été cité disant que la résolution des États-Unis est fondée uniquement sur l'Occident poussant pour un changement de régime au Sri Lanka.
R: Il y a ceux qui croient qu'ils ont été charges d'une «mission divine» pour diriger l'humanité bien sûr! Nous sommes beaucoup plus modeste en dépit de notre civilisation millénaire, ce n'est pas notre intention de dicter à quiconque comment leurs affaires doivent être menées! La région à laquelle appartient le Sri Lanka a une importance géostratégique essentielle aux yeux des États-Unis, du Royaume-Uni et d'autres puissances occidentales, économiquement, politiquement, militairement et en termes de plus grande concentration au monde de ressources économiques et humaines! Pour maintenir son hégémonie mondiale, les Etats-Unis doivent exercer une influence déterminante sur le sud-est asiatique. Cette vision est difficilement compatible avec l'existence d'un gouvernement souverain et indépendant au Sri Lanka, qui a, en outre, été capable de vaincre le plus impitoyable des groupes terroriste, le privant d'un point d'appui possible dans le pays! De toute évidence, il est de loin préférable d'avoir un gouvernement docile à Colombo qui épouse la cause occidentale que d'un allié à des pays émergents et ceux qui sont perçus par Washington comme des rivaux!
Q: 31 prêtres tamouls ont récemment signé une pétition appelant à une enquête indépendante sur les crimes de guerre. Que pensez-vous de cela, et des menaces par des membres de JHU de poursuivre les prêtres?
R: Le LLRC a entendu l'évêque de Mannar comme il l'a fait avec d'autres témoins et a recommandé les mesures à prendre pour aider à clarifier et à répondre aux préoccupations soulevées par lui. Maintenant, nous devons progresser vers la paix et la réconciliation et ne pas tomber dans la polémique et la confrontation. C'est une responsabilité qui s'applique à toutes les confessions. J'ai été heureuse d'entendre le cardinal Malcolm Ranjith à ce sujet. Depuis que je suis en même temps accrédité comme ambassadeur auprès du Saint-Siège, j'ai eu l'occasion de parler au Saint-Père, le Pape Benoît XVI, et aussi à plusieurs membres de la Curie, parmi eux le cardinal secrétaire d'Etat Tarcisio Bertone. J'ai été très impressionnée par leur connaissance de la situation au Sri Lanka, les efforts du gouvernement vers la réconciliation et les progrès réalisés. J'ai trouvé beaucoup de soutien, de la compréhension et de l’encouragement à persévérer dans la voie que nous avons choisie.
Q: Pensez-vous que la mise en œuvre des propositions formulées dans le rapport LLRC est suffisante pour la réconciliation?
R: Le rapport LLRC n'est pas un catalogue de bonnes intentions, un document définitif «à prendre ou à laisser». Le président Mahinda Rajapaksa est le premier Chef de l'Etat du Sri Lanka a avoir eu le courage de faire face aux conséquences tragiques d'une histoire ancienne de près de 30 ans. Nous devons être en mesure de revenir sur toute cette période dans un esprit de tolérance et d’attention mutuelle. Cela s'applique à nous tous, sans exclusion. Je suis sri-lankais, mais je suis également tamoul, l'histoire de ma famille est aussi celle de mon pays. Les leçons que nous apprenons ensemble nous donneront la force d'avancer et de vivre en harmonie les uns avec les autres sans avoir à renier qui nous sommes.
Traduit de l'anglais par Henri Azar pour Investig'Action
Source: Investig'Action – investigaction.net