Sanctions. Le mot, et la chose, inondent une actualité internationale qui ne s’est nullement arrêtée pendant les présidentielles françaises. Ici l’on invoque la lutte anti-terroriste ; là, on suppute la prolifération nucléaire ; là-bas encore, on stigmatise la corruption ; et à peu près partout, les « droits de l’homme » fournissent un prétexte tout-terrain. La réalité, cependant, peine à être dissimulée : il s’agit de contraindre tel gouvernement à adopter telle politique, à renoncer à telle autre ; ou à changer d’alliances (la Birmanie/Myanmar vient ainsi d’être « récompensée », par un gel des restrictions, de s’éloigner de la Chine) ; voire, quasi-ouvertement, de provoquer un changement de régime. Comme en Libye hier, en Syrie aujourd’hui.
Ainsi donc, désormais, on punit les pays. L’Union européenne est à l’avant-garde de ces punitions collectives.
Certes, cette pratique n’est pas nouvelle : dès l’antiquité, les empires trouvaient naturel d’en user ainsi avec leurs vassaux, leurs obligés ou leurs proies. Au sortir de la seconde guerre mondiale cependant, l’« équilibre de la terreur » permit à de nombreux peuples, du Sud en particulier, d’espérer en finir avec la soumission. Un demi-siècle plus tard, la dislocation d’un des deux blocs ouvrit pour l’autre une voie royale, ou plutôt impériale, sans plus guère de limite. Il était alors inévitable que le rapport de force brutal, la menace, la contrainte et l’agression redevinssent l’alphabet ordinaire d’un monde renouant à bien des égards avec la barbarie.
En la matière encore plus qu’ailleurs règne le « deux poids, deux mesures ». La RPDC (Corée du Nord) vient ainsi d’être menacée de sanctions aggravées du fait du lancement (raté) d’une fusée civile au prétexte que l’engin pourrait transporter une charge nucléaire. Une semaine plus tard, l’Inde procédait à un tir (réussi) analogue, officiellement militaire ; c’est tout juste si Washington et Bruxelles n’exprimèrent pas leurs félicitations.
Quant aux conséquences sur les populations, elles sont omniprésentes. En Iran par exemple (comme en Biélorussie), les stratèges euratlantiques comptent qu’à force d’être étranglé dans sa vie quotidienne, le peuple veuille se retourner contre le pouvoir. Mais la référence la plus terrible reste l’Irak. L’embargo décrété par l’ONU en 1991 dura douze ans. Il provoqua la mort d’au moins un million de personnes, et des dégâts humains incommensurables pour des décennies. Il était censé contraindre Saddam Hussein à livrer des « armes de destruction massive » qui n’ont jamais existé. Comme souvent, mis en place au prétexte d’éviter la guerre, il lui prépara en fait le terrain.
Le principe des sanctions sape les trois piliers qui devraient fonder un ordre international digne de ce nom : la souveraineté, l’égalité, la paix. Tout d’abord, il constitue la quintessence de l’ingérence, puisque sa raison d’être est précisément d’imposer de l’extérieur des choix qui ne devraient relever que des peuples eux-mêmes. Ensuite, il repose sur un non-dit manifeste : ce sont toujours les puissants qui sanctionnent les plus faibles, évidemment jamais l’inverse. Qui s’auto-arroge (quelle que soit la couverture multilatérale) une légitimité (morale ?) pour menacer, classe d’emblée les pays en deux catégories – les maîtres et les élèves, les supérieurs et les subordonnés.
Le troisième élément n’est pas le moindre. Une telle dissymétrie est grosse d’ambitions et de frustrations, d’agressivité et de rancœurs, de tensions et d’explosions. Il ne peut y avoir de relations internationales durablement pacifiques fondées sur l’injustice, la hiérarchie, la tutelle.
La leçon ne vaut pas que pour des contrées lointaines. Jamais l’Union européenne n’aura autant brandi la menace de sanctions à l’encontre de ses propres membres. C’est même la raison d’être du projet de traité dit TSCG : des punitions automatiques pour qui ne respecterait pas les canons de la « discipline budgétaire ». Pour d’autres raisons, la Hongrie vient déjà d’être sanctionnée – on proclame ouvertement vouloir « faire plier » Budapest.
Quant à la Grèce, l’incroyable régression sociale qui lui est imposée tient du martyr pour l’exemple (le bientôt ex-président français affirmait ainsi que l’austérité éviterait à notre pays de « subir le sort » des Grecs). Pour Bruxelles comme pour Berlin, il s’agit de remettre coûte que coûte Athènes sur le droit chemin.
Celui de Damas ?