Sacré Jean-Claude ! Si M. Juncker, l’actuel président de la Commission européenne, n’existait pas, il faudrait l’inventer. L’ancien premier ministre luxembourgeois est un vieux briscard des institutions européennes qu’il fréquente depuis trois décennies. Il dit souvent tout haut ce que ses collègues préfèrent taire.
Quatre jours après le scrutin grec, il avertit dans Le Figaro (29/01/15) qu’« {il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens} ». De bonnes âmes se sont indignées. A tort : Jean-Claude Juncker a simplement traduit tant la lettre que l’esprit de l’intégration européenne.
Car « l’Europe » n’est pas une « idée », une « aventure », un « espoir ». C’est avant tout une construction juridique réellement existante : des règles, des institutions, des procédures. Avec en clé de voûte « l’effet-cliquet » : dès lors qu’ils sont adoptés, les « acquis communautaires » sont irréversibles. Et s’imposent donc aux gouvernements nationaux, quand bien même ceux-ci seraient issus d’un vote populaire qui a congédié une majorité précédente. Il ne s’agit pas d’un « déficit démocratique » ou d’une malfaçon de l’UE, mais tout simplement de la raison d’être de cette dernière.
Pour le malheur de son peuple, le cas de la Grèce en constitue la plus brutale illustration. Ainsi, quand le ministre allemand des finances martèle qu’aucune discussion n’était possible tant qu’Athènes ne reprenait pas à son compte les engagements – l’austérité mortifère – précédemment souscrits, il ne fait que rappeler le droit européen. Chacun avec sa propre tonalité et dans un subtil jeu de rôles, la Commission comme les autres capitales – à commencer par le président français – ne disent pas autre chose. Et si par hypothèse d’école, elles étaient tentées par l’indulgence, elles ne le pourraient pas sauf à condamner le « projet européen » à une explosion rapide.
Car si une règle obligatoire devenait de fait facultative, c’est toute la construction – fondée sur la glorification constante de l’« Etat de droit » – qui se déliterait. Comment justifier qu’une « fleur » accordée à la Grèce ne le soit pas demain au Portugal, à l’Italie ou à la France ? Le principe inscrit dans les traités d’une « union toujours plus étroite » partirait ainsi à vau l’eau. C’est ce qu’exprimait à sa manière le vice-président de la Commission chargé de l’euro, le Finlandais Jyrki Katainen : « {nous ne changeons pas la politique en fonction des élections} ». En d’autres termes : si les peuples étaient libres d’opérer leurs propres choix politiques, sept décennies d’intégration européenne auraient perdu toute raison d’être.
Et si Angela Merkel a réaffirmé que «{ le but de notre politique était et reste que la Grèce demeure définitivement dans l’euro} », ce n’est pas parce qu’économiquement, le départ de celle-ci aurait des conséquences catastrophiques pour l’Allemagne. C’est parce que si un pays quittait le navire, ce serait le point de départ d’un détricotage irréversible. Or la monnaie unique n’est pas d’abord un objet économique, c’est avant tout un projet politique, que les tenants de l’intégration entendent maintenir quel qu’en soit le prix (« whatever it takes », selon l’expression anglaise rendue célèbre par le patron de la Banque centrale européenne).
« {Nous voulons corriger le cadre européen, pas le détruire} », a confirmé le premier ministre grec. Tant qu’il restera dans cet état d’esprit, Alexis Tsipras demeure à la merci de ses bourreaux. Ses « partenaires » européens ont bel et bien imposé que soit maintenue la tutelle de la Troïka, fût-elle diplomatiquement débaptisée.
Or la dynamique qui avait suivi son élection, et ses première annonces, avaient élargi encore le soutien populaire qui l’a porté au pouvoir. L’arrogance et les menaces de la BCE ont fait spontanément descendre dans la rue des milliers de citoyens, mus par un remarquable sentiment de dignité. C’est sur cette force que M. Tsipras pourrait s’appuyer pour rompre.
Faute de quoi, le scénario est déjà écrit.
Source: Bastille République Nation
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