Si cela dépend du ministre flamand de l’Éducation, les écoles en Flandre rouvriront dès que possible, à commencer par les écoles primaires. Quant à l’enseignement catholique flamand, il souhaite que les élèves en formation professionnelle reprennent au plus vite le chemin de l’école. Carine Dedeygere, enseignante dans le secondaire, explique pourquoi ce serait très imprudent. Notons qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, des réunions sont en cours pour évaluer les possibilités et les modalités d’un retour à l’école. En France, la réouverture des écoles primaires est annoncée pour le 11 mai.
Leur argent ou votre vie
La proposition du ministre Weyts ne surprend pas. Dans le milieu des affaires, les mesures de quarantaine sont loin d’être appréciées. Celles-ci sont désastreuses pour les profits. Dans ces cercles, on insiste pour que les mesures de confinement soient assouplies dès que possible et de préférence, annulées de suite, même si on se rend compte du coût en vies humaines. Cette voix est celle, parmi d’autres, de Jambon, Trump, Johnson et Macron. Weyts ajoute la sienne au chœur.
Rusés comme ils sont, ces politiciens aiment capitaliser sur l’impatience de beaucoup de gens. Après plusieurs semaines, les gens sont fatigués de la résidence surveillée, surtout avec ce beau temps. Ils se sentent inutiles, s’ennuient et manquent de contacts au travail ou pendant leur temps libre. Pour d’autres la combinaison du travail à domicile, de l’accompagnement des cours à domicile et de la garde des enfants s’avère très compliquée. Les tensions au sein des familles s’intensifient et la dépression guette les confinés. Sans compter, évidemment, la perte de salaire.
Option imprudente
Ce qui frappe dans cette histoire de réouverture des écoles, c’est l’absence des enseignants. On aborde le problème des parents d’élèves désireux de reprendre le travail, ou celui des élèves qui n’encourent que des risques minimes de tomber gravement malades, mais dont l’apprentissage risque d’être gravement perturbé. Il n’est même pas fait état des risques de contamination encourus par les enseignants.
Plusieurs de mes collègues ont la peur au ventre rien qu’à l’idée de retourner au travail. Il s’agit de collègues ou de leurs partenaires faisant partie d’un groupe à risque : diabète, maladie cardiaque, maladie immunitaire, ou âgés de plus de soixante ans. Mais même les enseignants en bonne santé sont en danger. A-t-on pensé au risque de décès parmi les enseignants ? Qui voudrait avoir cela sur la conscience ?
La réouverture précoce des écoles risque de relancer la courbe vers le haut et peut-être même de nécessiter un nouveau confinement. C’est pourquoi le Conseil national de l’Ordre des Médecins de la France s’oppose fermement à la réouverture annoncée des écoles primaires de leur pays le 11 mai.
Distanciation sociale en milieu scolaire
La « distanciation sociale » et d’autres mesures d’hygiène sont une condition préalable à la reprise d’activités communes. Mais comment mettre cela en place en milieu scolaire ? Prenons l’exemple des élèves en formation professionnelle, précisément le groupe cible de l’enseignement secondaire dont on veut qu’il réintègre l’école au plus vite. Les collègues de cette filière me disent que certains de leurs élèves n’ont pas la discipline nécessaire pour garder les distances, porter un masque, nettoyer à chaque fois leur matériel. etc. Même avec des groupes réduits de moitié, on ne résoudra pas ce problème. Après tout, une majorité de jeunes pensent que le virus ne peut pas les rendre malades. Se chiper les masques les uns des autres pourrait devenir un jeu favori.
Et que se passe-t-il en cas de conflit entre deux élèves ou avec le professeur ? Comment dès lors maintenir l’ordre tout en maintenant la « distanciation sociale »? Si des citoyens réticents ont osé cracher à la figure de policiers, le risque est grand que de tels faits se produisent également en classe.
Dans d’autres sections de l’enseignement secondaire, sans même mentionner l’enseignement primaire, il sera très difficile aussi d’assurer la « distanciation sociale » requise.
Que faire alors?
Mes collègues ont hâte d’enseigner à nouveau, mais se rendent bien compte que cela n’est pas évident. Un professeur de pratique professionnelle s’exprime à ce propos: «Je tourne en rond chez moi, j’aimerais vraiment retourner en classe et m’assurer que les élèves atteindront leurs socles de compétence. C’est mon sentiment. Mais réflexion faite, avec nos élèves, ce serait stupide. »
Même si, dans les semaines à venir, les conditions épidémiologiques pour une réouverture de l’école étaient remplies, le délai est bien trop court pour pouvoir réaliser un enseignement dans de bonnes conditions. Rien qu’à penser au nombre de masques requis, à l’organisation pour l’enseignement en groupes de demi-classes, tout en maintenant la distance d’un mètre et demi, à l’organisation du transport d’élèves, etc.
Les experts prédisent que le virus restera encore longtemps parmi nous et que nous devons nous attendre à plusieurs périodes de confinement. Il nous faut donc réfléchir à plus longue échéance, plutôt que d’essayer de faire un forcing à la hâte pendant ces cinq ou six semaines précédant l’été. Que Weyts veuille que les professeurs déjà surchargés bossent une semaine de plus, c’est vraiment une ineptie.
Mieux vaut dès aujourd’hui prendre nos dispositions pour bien préparer la nouvelle année scolaire. C’est en tout cas la recommandation faite par les médecins français à Macron. Au lieu de bourrer le crâne de nos élèves des matières manquantes, il nous faut bien préparer la rentrée prochaine, afin que les enseignants et les élèves puissent se rencontrer en toute sécurité. Nous devons également veiller à ce que les élèves de sixième année de l’enseignement primaire et les élèves de deuxième, quatrième et sixième années de l’enseignement secondaire soient correctement orientés. Selon Dirk Van Damme de l’OCDE, nous devons également élaborer des plans d’urgence pour les futurs confinements.
Cela demandera déjà de gros efforts. Concentrons-nous sur cette préparation pendant les deux prochains mois. En outre, cela nous permettra également d’accorder une attention particulière – en ligne ou autrement – aux étudiants en difficultés avec l’enseignement à domicile et qui ont pris du retard. De cette façon, nous pourrons garantir que l’écart entre les étudiants forts et faibles, déjà si important en Belgique, ne se creuse pas davantage. Voilà également une recommandation de Dirk Van Damme de l’OCDE.
Source: Investig’Action