Comme agent de la CIA, il a autrefois infiltré des organisations terroristes islamistes. Aujourd’hui, Robert Baer critique vivement le gouvernement de Trump pour ses actions en Iran et estime que l’Iran a l’avantage.
t-online.de : Quelle a été votre première pensée lorsque vous avez entendu le discours de Donald Trump sur les attaques iraniennes contre les bases usaméricaines en Irak ?
Robert Baer : J’ai pensé – pas pour la première fois d’ailleurs – que Trump n’est pas dans son état normal. Ce qui est intéressant ici, cependant, c’est que le président a admis la victoire des Iraniens dans ce conflit actuel, même si cela a été enveloppé dans des phrases.
De quelle manière ?
Donald Trump a affirmé dans son discours que le peuple américain devrait être “extrêmement reconnaissant et heureux”. – “L’Iran semble céder.” Le vice-président Michael Pence a ensuite déclaré ” que nous sommes plus en sécurité aujourd’hui ” qu’avant l’assassinat de Qassem Soleimani. C’est une absurdité totale, car un Soleimani vivant n’était pas un danger aigu pour les USA, et la position de l’Iran n’a pas été affaiblie de façon permanente par l’assassinat. Après tout, le successeur de Soleimani, Esmail Ghaani, a confirmé qu’il poursuivra le parcours de son prédécesseur assassiné.
Dans votre livre, “The Perfect Kill : 21 Laws for Assassins” [Manuel du parfait tueur : 21 lois pour assassins], vous avancez la thèse que le meurtre ciblé comme stratégie des services secrets ne fonctionne pas.
C’est exact. Le livre est basé sur mon expérience en tant qu’agent usaméricain sur le terrain, en particulier en tant que membre d’une opération en Irak impliquée dans l’assassinat planifié de Saddam Hussein. A l’époque, je me suis demandé ce que je faisais là. J’étais au milieu d’un champ de bataille avec une Kalachnikov à la main alors que les balles frappaient tout autour de nous. Peu après, j’ai été presque accusé par le FBI de tentative de meurtre sur Saddam Hussein. Dans ce livre, je traite de mes propres expériences, en passant par les assassinats ciblés de l’histoire, jusqu’à la guerre des drones d’aujourd’hui, qui d’ailleurs ne fonctionne pas non plus.
Mais la guerre des drones n’est-elle pas vue par le Pentagone comme un succès sans précédent ?
Je ne peux que vous dire que les déclarations et les allégations des agences de renseignement et des ministères de la Défense doivent être accueillies avec le plus grand scepticisme. L’utilisation massive des drones a été accélérée sous la présidence d’Obama. À l’époque, la CIA affirmait que cela servait à éliminer Al-Qaïda – une thèse très douteuse. Les drones provoquent principalement le chaos, répandent la peur et tuent de nombreux civils innocents. Si l’on suit la thèse selon laquelle une fin plus rapide de la guerre peut être obtenue grâce à l’abattage ciblé par des drones – ou, comme dans le cas de Soleimani, que des dangers ont été évités – alors c’est faux. L’utilisation de drones n’a ni permis d’éviter le danger ni d’instaurer la paix. Au contraire, les USA sont aujourd’hui beaucoup plus impliqués dans les conflits du Proche et du Moyen-Orient.
De quelle manière ?
Par exemple, depuis la liquidation de Ben Laden, il n’y a pas eu de stabilité, mais plutôt la montée de ” l’État islamique “. Il n’y a pas de preuve pour soutenir l’affirmation de la CIA selon laquelle des vies usaméricaines ont été sauvées par l’utilisation de drones. Je suis convaincu que les drones favorisent la terreur et la violence. Que ce soit dans le passé ou maintenant dans l’assassinat de Soleimani à Bagdad.
Donc la stratégie de Trump contre l’Iran a échoué ?
Trump n’a aucune stratégie, et ceux qui l’entourent ne connaissent pas la mentalité iranienne. En attaquant des bases usaméricaines en Irak, Téhéran a prouvé qu’il pouvait atteindre des cibles US dans la région avec une précision étonnante. Le fait que les USA aient été indirectement mis en garde par l’Iran afin d’éviter les morts du côté usaméricain ne change rien au fait que personne n’a pu intercepter les missiles. Les experts sont étonnés de la précision avec laquelle les missiles frappé, même si cela n’est pas publiquement admis. La compétence balistique des Iraniens est un fait et en même temps un avertissement qu’en cas de guerre on peut s’attendre à des pertes usaméricaines élevées. Les USA n’ont pas réussi à intercepter les missiles entrants avec leur système de défense aérienne – malgré l’avertissement préalable de Téhéran.
Les USA ont-ils sous-estimé la réaction de l’Iran ?
Oui. L’Iran est le gagnant dans bagarre. Téhéran a réussi à ramener le conflit d’une menace d’escalade militaire au niveau politique. Personnellement, je suis surpris que personne n’ait informé la Maison Blanche des conséquences possibles de l’attaque contre Soleimani.
La déclaration de Trump, ses postures et ses déclarations le soulignent. Il a finalement reconnu son échec lorsqu’il a demandé à l’OTAN, qui à ma connaissance n’avait pas été informée auparavant, de s’impliquer davantage dans la région à l’avenir.
Vous avez dit que l’administration usaméricaine n’a pas une connaissance très approfondie de la mentalité iranienne. N’est-ce pas aussi un échec des services de renseignement usaméricains ?
La CIA et les autres services US ne sont guère actifs en Iran [sic, NdT]
Qu’entendez-vous par là ?
Le travail de la CIA est aujourd’hui dominé par la bureaucratie, la technologie moderne, la surveillance des réseaux sociaux, le contrôle des drones. Tout cela se passe dans les quartiers généraux, loin des zones opérationnelles, où presque personne ne parle les langues des pays concernés ou n’a de feeling pour les nations qui affectent les intérêts nationaux des USA.
C’était différent à votre époque ? Ils avaient l’ordre d’infiltrer des organisations comme le Hezbollah ou Al-Qaïda.
En effet. Nous avons risqué nos vies, nous nous sommes familiarisés au préalable avec la situation locale et avons étudié les langues et les cultures pendant des années. Ce n’était pas toujours comme James Bond, mais parfois ça l’était.
Après l’attaque de Bagdad, le Premier ministre israélien Netanyahou a d’abord pris ses distances avec Washington. Il a dit que c’était une opération américaine et a souligné qu’Israël n’avait rien à voir avec elle.
C’est vrai, il y a une profonde inquiétude en Israël concernant la compétence balistique des Iraniens – et pour cause. Le Hezbollah, l’un des plus proches alliés de Téhéran, est à proximité immédiate. C’est aussi une indication du désaccord entre Washington et Tel-Aviv. Les Israéliens sont profondément préoccupés par le fait que les troupes usaméricaines pourraient se retirer d’Irak, comme l’exige maintenant le gouvernement irakien. Cela augmenterait bien sûr l’influence iranienne là-bas. Mais les USA sont conscients de leur grande vulnérabilité sur le terrain, que les Iraniens leur ont maintenant fait comprendre une fois de plus.
Quel est donc l’objectif stratégique de Téhéran ?
Le gouvernement iranien considère les USA, la Grande-Bretagne et d’autres États occidentaux comme des puissances coloniales. Le but stratégique de Téhéran est de mettre fin à cette colonisation. La suprématie actuelle de l’Iran est le résultat d’erreurs occidentales. Cependant, la suprématie correspond également à la taille géographique et démographique de l’Iran. Donc, pendant que l’Occident essaie de freiner l’influence de l’Iran, ce pays fera tout ce qu’il peut pour maintenir et étendre cette influence.
Voyez-vous une possibilité de désamorcer ce conflit à long ou moyen terme ?
Seulement si Washington et Téhéran changent radicalement leurs orientations géopolitiques respectives. Actuellement, tant Washington que Téhéran ne remplissent pas les conditions nécessaires pour cela.
Interview parue en allemand sur T-Online et traduite en français par Tlaxcala
Photo: Archivbild/Amy Sussman/Getty Images