A Trump supporter clashes with a demonstrator at Black Lives Matter plaza across from the White House on election night in Washington, DC on November 3, 2020. (Photo by Olivier DOULIERY / AFP)AFP

Réfléchir sur la haine

C’est une petite musique de fond qui devient de plus en plus forte dans nos sociétés occidentales. La haine joue un rôle important dans la division des peuples et la montée de l’extrême droite. Le sociologue Farhad Afshar analyse la fonction sociale de la haine collective et propose des solutions concrètes pour lutter contre cette épidémie mentale. (I’A)

Chers participants, merci d’avoir accepté l’invitation de la KIOS, la Coordination des Organisa­tions Islamiques de Suisse, à réfléchir avec nous sur la haine.

De nos jours, de nombreux groupes font l’objet de discours de haine, souvent en raison de leur race, de leur appartenance ethnique, de leur religion, de leur croyance ou de leur appartenance politique.  Ces der­niers mois, on a constaté une augmentation des discours de haine anti­sémites et antimusulmans, tant en ligne que dans les commentaires pu­blics de personnalités influentes.  Les discours de haine peuvent être dirigés contre les femmes, les réfugiés, les migrants, les personnes de sexe différent, les transgenres et les minorités.  Ils sont considérable­ment ampli­fiés par les plateformes et outils numériques, ce qui leur per­met de se propager au-delà des frontières et d’une culture à l’autre.

En vertu du droit international, les États sont tenus de prévenir les crimes de haine. Malheureu­sement, c’est une illusion juridique. Pour­quoi ? Parce que le droit international ne dispose d’au­cune institution indépendante pour faire respecter le droit. Le droit international dépend entiè­rement des États-nations. C’est comme si nous demandions à la mafia d’appliquer la loi. Ce sont les États-nations qui violent les droits de l’homme et propagent la haine collective par le biais des médias.

Nous ne pouvons pas nous opposer à la haine seulement avec des ap­pels moraux, cela n’a aucun effet. Nous ne devrions pas considérer la haine d’un point de vue moral, mais fonction­nel. La haine a des causes et des effets, elle a une fonction. Quelle est la fonction sociale de la haine collective, qu’elle soit exercée contre des personnes, des minori­tés, des ethnies, des reli­gions ou des groupes politiques ?

La haine a plusieurs fonctions sociales

La condition de la haine est socialement déterminée, sinon il serait facile de condamner mora­lement et d’interdire juridiquement la haine. Ce n’est pas le cas, car la haine remplit des fonc­tions émotionnelles.

La haine crée des barrières

La haine crée des délimitations pour la constitution de l’identité émotive. La haine forme des délimitations dans l’univers mental, une démarcation entre nous et les autres, entre nous et les mu­sulmans, entre nous et les juifs, entre nous et les autres religions, entre les protestants et les catholiques, entre les racistes et les esclaves, entre les colonisateurs et les soumis, entre les “hommes maîtres et les sous-hommes”, entre les “civilisés et les sauvages”.

La haine renforce les connexions émotionnelles

Celui qui hait est intégré dans sa propre communauté « le bon contre le mauvais ». La raison de la haine n’a pas d’importance, il est même possible de haïr l’autre club de supporters à cause du football.

La haine suit une évolution linéaire

Haine >Agression > Destruction. Le sentiment de haine est mobilisé dans la société pour ren­forcer le sentiment d’identité. Plus l’identité collective est menacée, plus la contre-réaction est efficace. Les émotions protectrices sont mobilisées, la haine apparaît, elle s’intensifie jusqu’à l’agression et finalement la destruction.

Il n’existe pas de haine collective sans profiteurs de la haine

La haine renforce l’identité émotionnelle collective,  en réduisant la com­plexité et en simplifiant la réalité. La haine trans­forme les agresseurs en victimes dans leur image de soi, et les victimes en agresseurs. La haine renverse les perspectives, elle dit que « nous sommes les bons », car nous sommes les victimes, nous sommes les persécutés. Elle fait en sorte que les agresseurs se sentent victimes et pensent qu’ils doivent se protéger contre les méchants soumis et les détruire.

Deux exemples historiques seulement: Les colonisateurs en Amérique sont devenus racistes et ont réduit en marginaux la po­pulation d’origine. Dans le monde entier, les colonisateurs ont combattu les colonisés comme des barbares sans culture, comme le firent les Français en Algérie. La haine collective sert toujours des intérêts politiques et culturels.

Qu’est-ce qui est efficace contre la haine ?

La déconstruction

Cela signifie la dissolution des termes sociaux qui sont devenus des sté­réotypes, comme les juifs, les musulmans, les catholiques, les commu­nistes, etc. Il n’y a physiquement ni musulmans, ni juifs, ni chrétiens, mais seulement des hommes de foi islamique, chrétienne, juive et des hommes aux idéologies politiques différentes. Lorsque nous regardons dans cette salle, nous ne voyons pas de musulmans, ni juifs, ni chrétiens, seulement des êtres humains. Seuls les êtres humains sont réels, en dehors de cela, le judaïsme, l’islam, le christianisme ou le communisme ne sont que des subjectivités ima­ginaires collectives.

L’empathie

Je considère l’autre comme un homme comme moi. Il vit, il souffre, il se plaint comme moi. Je suis pour l’autre, son autre.

L’identification

Nous avons des intérêts communs, nous avons besoin les uns des autres pour résister solidaire­ment à l’abus de pouvoir.

Conclusion

La mondialisation moderne détruit l’autonomie régionale historiquement développée, le centre de sens des personnes ancrées dans une région. Plus l’homme sera déraciné par la mondialisa­tion dans ses traditions, ses coutumes, sa sécurité, plus la haine, l’agressivité et la destruction augmenteront.

En effet, cette épidémie mentale peut devenir collectivement destructrice et mortelle, car ses promoteurs se sentent parfaitement dans leur droit contre le mal supposé, qui semble les menacer et qu’ils se sentent moralement obligés d’anéantir. La destruction des victimes, perçues comme une menace, devient un devoir moral et une stratégie politique. La haine détruit l’humanité et tue les victimes.

Farhad Afshar est président de CIOS, la Coordination des Organisa­tions Islamiques de Suisse.


Source: Intervention lors de la dernière rencontre organisée à Genève par CRI – Voix des victimes qui regroupait Pierre Galand (Belgique), Olivier le Cour Grandmaison (France), Haïm Bresheet Zabner (Grande-Bretagne) et Jacques Baud (Suisse). Elle a été introduite par cette réflexion sur la haine, présentée par le Dr Farhad Afshar, président de la CIOS, la Coordination des Organisa­tions Islamiques de Suisse.

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