Quand Israël tente de criminaliser l’UNRWA

La chronique de cette semaine du « Monde vu d’en bas » a été consacrée à deux questions. La première : cette campagne israélienne de criminalisation de l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens. Retrouvez ci-dessous, in extenso, l'analyse de Saïd Bouamama. 

L’État israélien a accusé vendredi passé [26 janvier 2024] douze employés de l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens, d’avoir participé aux attaques du 7 octobre qui servent de prétexte à Israël pour commettre un véritable génocide depuis plus de 110 jours dans la bande de Gaza.

Cette accusation survient opportunément juste après que la Cour Internationale de Justice de l’ONU saisie par un plainte de l’Afrique du sud contre Israël pour génocide, ait exigé de l’État sioniste «d’ empêcher tout acte éventuel de Génocide à Gaza » Fin de citation.

L’accusation israélienne survient également après que l’UNWRA ai accusé mercredi Israël de tirs par deux de ses chars sur un de ses refuges à Khan Younès dans le sud de la bande de Gaza faisant 13 morts et plus de 75 blessés. Un des responsables de l’Unwra à Gaza, Thomas White, dénonçait comme suit les attaques israéliennes : « Les victimes sont des Gazaouis qui fuyant les combats ont trouvés refuge dans un centre de formation de l’UNRWA. L’attaque a mis le feu au bâtiment. La situation à Khan Younes et cette attaque en particulier met en évidence un manquement constant au respect des principes fondamentaux du droit international humanitaire, à savoir la distinction entre civils et militaires, la proportionnalité et la précaution dans la conduite des attaques. C’est inacceptable et odieux et cela doit cesser. »

Le communiqué officiel de l’UNWRA, publié le lendemain de l’attaque israélienne, précisait, pour sa part, comme suit la cible de celle-ci :

« Hier le centre de formation de l’UNRWA à Khan Younes a été touché par des tirs directs. Il a frappé un bâtiment abritant 800 personnes déplacées. Il y a 43 000 personnes déplacées internes enregistrées dans ce refuge de l’UNRWA extrêmement surpeuplé et elles se retrouvent désormais à l’épicentre de la guerre dans la bande de Gaza avec leur vie en danger tant les combats sont proches. Beaucoup ont déjà été déplacés à plusieurs reprises et n’ont nulle part où aller. Tout au long de la journée et jusqu’en début de soirée, les ambulances et nos propres équipes d’urgence se sont vu refuser l’accès au site. Le refuge du centre de formation de Khan Younes est assiégé depuis cinq jours, faisant des morts et des blessés à plusieurs reprises. Cet abri a été touché directement et indirectement par l’activité militaire vingt-deux fois depuis le 7 octobre 2023. La frappe d’hier était la troisième frappe directe sur ce complexe. Des bâtiments arborant le drapeau de l’ONU ont été touchés au moins à deux reprises par des tirs de chars, sans sommation. »

Contre-feu médiatique


Au moment où commençait à s’exprimer des critiques sur cette énième violation du droit international par l’État d’Israël, la tentative de criminalisation de l’UNRWA vient détourner l’attention médiatique et publique en tentant une nouvelle fois à transformer l’agresseur sioniste en victime du terrorisme. La stratégie et la méthode mises en œuvre par l’appareil de propagande de l’État sioniste sont connus et ont été largement documentés depuis longtemps. La stratégie est celle du contre-feu et plus précisément du débat écran consistant à déclencher un débat fictif et artificiel pour en masquer un autre. La méthode est celle de « l’inversion de l’accusation » consistant à construire l’agresseur en victime et inversement.

L’ampleur des violations du droit international est telle que même les alliés d’Israël sont contraints d’en dénoncer les plus graves en appelant l’État sioniste à la retenue ou au respect de quelques îlots et en particulier les installations des Nations-Unies. Ainsi contrairement à son habitude face aux exactions de l’armée israélienne, le secrétaire d’État états-unien avait condamné les attaques contre le bâtiment de l’UNRWA en disant : « Ce bâtiment de l’ONU est essentiel et doit être protégé. Les civils doivent être protégés et la nature des installations de l’ONU respectée ».


Ce n’est pas la première fois qu’Israël accuse l’UNRWA de collusion avec le Hamas et exige son retrait de la bande de Gaza sans jamais avancer aucune preuve. Ces accusations avaient déjà conduit Donald Trump à interrompre la cotisation états-unienne à l’UNRWA d’un montant de 300 millions de dollars en 2018. Il faudra attendre 2021 pour que celles-ci reprennent. La simple et seule existence de l’UNRWA est en fait une accusation vivante de la nature de l’État d’Israël.

L’UNRWA rappelle par sa seule existence que l’État sioniste s’est bâtit et se bâtit encore sur la base de l’expropriation de millions de palestiniens transformés en réfugiés. Ce sont ainsi près de 6 millions de palestiniens qui sont enregistrés comme réfugiés auprès de l’UNRWA et qui accèdent ainsi à des services minimums d’éducation, de santé, de services sociaux et d’aide d’urgence. L’UNRWA est de ce fait une accusation vivante et permanente des crimes sur lesquels s’est bâtit historiquement l’État d’Israël.

Parmi ces réfugiés se trouvent 700 000 palestiniens ayant brutalement été expulsé entre avril et août 1948 lors de la création de l’État d’Israël que les palestinien appellent à juste titre la Nakba ou catastrophe. Ces réfugiés et leurs descendants n’ayant plus de statut national sont doté du statut de réfugiés des Nations-Unies. Ils réclament le droit au retour et Israël accuse l’UNRWA d’entretenir cette revendication. C’est pourquoi Israël exige depuis toujours la dissolution de l’UNRWA. Les accusations actuelles de complicités de certains agents de l’UNRWA dans les attaques du 7 octobre, ne sont qu’une nouvelle étape dans cet objectif d’obtenir la dissolution de l’organisme onusien.

Propagande usée mais encore efficace


Les accusations israéliennes portent sur douze salariés de l’UNRWA et ont été faite directement au commissaire général de l’organisme en visite à Gaza par les autorités israéliennes. L’UNRWA consciente du véritable objectif de cette accusation a immédiatement licencié ces salariés en attendant les résultats de l’enquête. Le contenu des accusations n’est connu que par une fuite calculée par le biais du New York Times qui à révélé ce lundi [29 janvier 2024] qu’Israël détiendrais des preuves par écoute téléphonique et par localisation des téléphones portables de l’appartenance de 10 employés de l’UNWRA au Hamas et d’un autre au Jihad islamique.

Ces preuves attesteraient aussi, selon le New York Times la participation de ceux-ci aux attaques du 7 octobre : « Les allégations incluent l’enlèvement d’une femme et de son fils par un conseiller scolaire de l’UNRWA à Khan Younès, et la participation d’un travailleur social de Nuseirat au centre de la bande de Gaza dans l’enlèvement du corps d’un soldat israélien, la distribution de munitions aux terroristes et la coordination des mouvements de véhicules en Israël lors de l’attaque. Le rapport indique également qu’un troisième employé a “participé au massacre d’un kibboutz où 97 personnes sont mortes ».

Ce n’est pas la première fois que des pseudo-preuves sont avancées pour justifier un but de guerre. Rappelons-nous la fiole brandie en 2003 par Colin Powell censée contenir de l’anthrax pour obtenir l’approbation du conseil de sécurité de l’ONU pour la guerre en Irak. Ce n’était que mensonge. Rappelons-nous l’affirmation en 1990 de couveuses qui auraient été débranchées sur ordre de Saddam Hussein. Ce n’était que mensonge. Cette fois-ci Israël espère obtenir le retrait total de l’UNRWA de la bande de Gaza et de Cisjordanie et de l’affaiblir durablement en la touchant au porte-monnaie.

Avant la moindre enquête les États-Unis ont immédiatement suspendu leur contribution à l’UNRWA. Dans la foulée la France, l’Italie, le Canada, l’Australie, le Royaume Uni, la Finlande, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Japon ont comme un seul homme emboîté le pas de l’oncle Sam. Une belle unanimité occidentale qui signifie objectivement un soutien à l’État israélien en plein génocide.

Comme le souligne le chef de l’agence de l’ONU, Philippe Lazzarini : « Il est choquant de voir la suspension des fonds en réaction à des allégations contre un petit groupe d’employés, compte tenu des mesures déjà prises et du rôle de l’agence dont dépendent 2 millions de personnes pour leur simple survie ». Le sentiment d’impunité d’Israël qui ainsi entretenu par ce type de soutien ne peut que produire de nouveaux massacres à l’avenir.

La technique de propagande de guerre d’Israël contre l’UNRWA est bien l’application de l’adage connu : « Quand on veut rendre un message inaudible, on sali le messager ».

Saïd Bouamama

(*) les intertitres sont de le rédaction


Pour conclure

Le savoir est une arme et il commence par le savoir s’informer. Nous espérons que notre émission a apporté sa contribution à cette information citoyenne nécessaire et urgente. N’hésitez pas à nous transmettre des sujets d’actualité que vous souhaitez voir traiter dans notre émission. Ils seront traités dès qu’un fait d’actualité en lien avec eux permettra d’y revenir. Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle séance du « monde vu d’en bas ».


Pour aller plus loin

  • « Le chef de l’ONU appelle à continuer à financer l’UNRWA dont dépendent 2 millions de Palestiniens à Gaza », ONU info du 28 janvier 2024, consultable sur le site des Nations-Unies, https://news.un.org/fr
  • « Details Emerge on U.N. Workers Accused of Aiding Hamas Raid », New York Times du 28 janvier 2024, consultable sur le site du journal : https://www.nytimes.com

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