On parle beaucoup de la Syrie ces derniers jours à l’occasion du dixième anniversaire de la guerre qui ravage le pays. Mais alors que les médias mainstream se désolent de la situation humanitaire, il y a deux points essentiels qui sont passés sous silence. Publié sur le blog de Joshua Landis, reconnu comme l’un des meilleurs experts sur la Syrie, y compris par bon nombre de médias mainstream, cet article met le doigt sur le bilan de l’implication US au Moyen-Orient et les sanctions dévastatrices imposées à la Syrie. (IGA)
Les États-Unis (États-Unis) et la Chine sont engagés dans une compétition entre grandes puissances et le gagnant établira les normes pour notre monde futur. Depuis la fin des guerres mondiales, les États-Unis ont posé les architectures en matière de technologies et de sécurité, ainsi que les normes et pratiques pour le monde entier, notamment pour le commerce et les investissements. Aujourd’hui, la Chine éclipse rapidement les États-Unis dans des domaines clés comme la 5G, le génie civil, les infrastructures, l’informatique quantique et la cryptographie ou encore l’intelligence artificielle. En outre, l’économie chinoise devrait dépasser celle des États-Unis en tant que plus grande économie en dollars d’ici 2027; mais sur la base de la parité du pouvoir d’achat et du coût des biens et des services, l’économie chinoise est déjà supérieure d’environ 4 billions de dollars à celle des États-Unis.
Pour que les États-Unis réussissent, cette compétition nécessite une approche globale, y compris un investissement massif dans la recherche et le développement de nouvelles technologies et le réalignement de nos forces armées. Le Moyen-Orient, avec les milliards de dollars qui y sont déversés, est une distraction, surtout compte tenu de la faible valeur stratégique de cette région pour les États-Unis aujourd’hui.
Historiquement, les États-Unis avaient justifié leur implication au Moyen-Orient sur base de l’importance stratégique du pétrole pour l’économie US. Aujourd’hui, cependant, les importations de pétrole brut et de produits pétroliers en provenance de l’OPEP sont en baisse de 75%. Parallèlement, la production US de pétrole brut et de produits pétroliers a augmenté de plus de 250%, faisant des États-Unis un exportateur net de pétrole brut et de produits pétroliers. Dans le même temps, le volume du commerce entre les États-Unis et l’ensemble du Moyen-Orient ne représente que 1% environ de la valeur totale du commerce US. Malgré cette tendance, le nombre de bases militaires américaines dans la région est passé d’une petite poignée de bases pendant la guerre froide avec lesquelles nous avons pu affronter l’Union soviétique et protéger le flux de pétrole, à 25 bases aujourd’hui.
Les États-Unis devraient se retirer du Moyen-Orient, les États-Unis et le Moyen-Orient en seront mieux lotis. Après des décennies d’engagement US approfondi dans la région, le Moyen-Orient aujourd’hui ne s’épanouit pas avec la démocratie libérale imaginée par les néoconservateurs. C’est au contraire un cloaque de nationalistes, d’islamistes, de théocraties, d’autocraties et de dictatures embourbés dans la corruption. La Turquie, autrefois saluée comme un exemple de démocratisation dans le monde musulman, est de plus en plus autoritaire et irrédentiste. Israël et les territoires palestiniens sous contrôle sont qualifiés de régime unique d ‘«apartheid» par les principaux groupes israéliens de défense des droits de l’homme. En ce qui concerne le terrorisme, le bilan n’est guère meilleur. Al-Qaïda, qui opérait autrefois dans la région montagneuse d’Afghanistan, est maintenant à Idlib sur la Méditerranée, à la frontière de la Turquie, un pays de l’OTAN. Et l’Etat Islamique, un groupe beaucoup plus violent qu’Al-Qaïda ne l’a jamais été, s’est étendu à plus de 18 pays. Les opérations de changement de régime en Irak, en Libye et en Syrie ont encouragé la Turquie et l’Iran et élargi leur portée dans la région grâce à travers des groupes djihadistes armés. Ces opérations de changement de régime ont plongé l’Irak, la Libye et la Syrie dans la guerre et la destruction pendant plus d’une décennie avec un coût humain incalculable. Ces pays étaient autrefois des pays à revenu intermédiaire et sont maintenant au bord de la famine, avec des infrastructures dévastées et des systèmes de soins de santé paralysés.
Le large éventail de sanctions unilatérales imposées par les États-Unis à la Syrie aggrave une crise humanitaire déjà dramatique. Les sanctions frappent les secteurs de la reconstruction, de l’énergie, de la santé, de la banque et de l’agriculture. Ces sanctions sont aveugles, elles touchent une grande partie de la population et frappent de manière disproportionnée les pauvres et les vulnérables, laissant de nombreux enfants syriens affamés dormir dans le froid.
Ces sanctions ont poussé davantage la Syrie dans l’orbite iranienne et l’ont rendue dépendante de la Russie. Il y a un accord dans les cercles de politique étrangère sur le fait que les sanctions ne déboucheront pas sur un changement de régime; elles ne font que du tort à des Syriens innocents.
Toute la communauté du renseignement US ainsi que de nombreux politiciens des deux partis savent que s’il existe une opposition politique légitime au gouvernement syrien, Assad combat des djihadistes qui couvrent tout le spectre du djihadisme salafiste. Tous les groupes armés combattant Assad ont appelé à une plus grande application de la charia. Les États-Unis ont essayé de former une force rebelle «modérée», mais ont échoué. Et pour une grande partie de la population syrienne, une victoire djihadiste n’est pas simplement une question politique, mais une question existentielle.
Il est maintenant parfaitement clair pour tous les observateurs politiques sérieux et indépendants que l’implication croissante des États-Unis dans le Moyen-Orient est contre-productive. Cette implication a aggravé la situation de la région, et elle représente un coût énorme pour le Trésor US, au détriment de milliers de vies étasuniennes. Il est temps de se retirer. La première étape pour des États-Unis hors du Moyen-Orient devrait être d’annuler la dernière qui a été franchie, c’est-à-dire retirer leurs troupes de Syrie et ainsi permettre la réunification et la reconstruction de ce pays déchiré par la guerre.
Source originale: Le blog de Joshua Landis
Traduit de l’anglais par Investig’Action