Image d'archive de la Nakba en 1948.CC

Pourquoi Israël veut-il effacer le contexte et l’histoire de la guerre de Gaza ?

En réduisant le Hamas à une simple organisation terroriste mue par des sentiments haineux, la propagande israélienne présente la guerre à Gaza comme un combat du Bien contre le Mal. Le contexte historique est pourtant indispensable pour comprendre les événements en cours. Mais cette amnésie sélective n'est pas le fruit du hasard. "La déhistoricisation de ce qui se passe aide Israël à poursuivre ses politiques génocidaires à Gaza", explique Ilan Pappé. (I'A)

Le 24 octobre, une déclaration du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a provoqué une vive réaction de la part d’Israël. S’adressant au Conseil de sécurité des Nations unies, le chef de l’ONU a déclaré qu’il condamnait avec la plus grande fermeté le massacre commis par le Hamas le 7 octobre, mais qu’il souhaitait rappeler au monde que cette action ne s’était pas déroulée dans le vide. Il a expliqué que 56 ans d’occupation ne pouvaient être dissociés de la tragédie qui s’est déroulée ce jour-là.

Le gouvernement israélien n’a pas tardé à condamner cette déclaration. Les responsables israéliens ont exigé la démission de M. Guterres, affirmant qu’il soutenait le Hamas et justifiait le massacre qu’il a perpétré. Les médias israéliens ont également pris le train en marche, affirmant, entre autres, que le chef de l’ONU “a fait preuve d’un degré étonnant de turpitude morale”.

Cette réaction d’Israël suggère qu’un nouveau type d’accusation d’antisémitisme pourrait être sur la table. Jusqu’au 7 octobre, Israël avait fait pression pour que la définition de l’antisémitisme soit élargie afin d’inclure la critique de l’État israélien et toute remise en question de la base morale du sionisme. À ce stade, la mise en contexte et l’historicisation de ce qui se passe à Gaza pourraient également déclencher une accusation d’antisémitisme.

La déshistoricisation de ces événements aide Israël et les gouvernements occidentaux à poursuivre des politiques qu’ils ont rejetées par le passé en raison de considérations éthiques, tactiques ou stratégiques.

Ainsi, Israël utilise l’attaque du 7 octobre comme prétexte pour poursuivre des politiques génocidaires dans la bande de Gaza. C’est aussi un prétexte pour les États-Unis d’essayer de réaffirmer leur présence au Moyen-Orient. Et c’est un prétexte pour certains pays européens de violer et de limiter les libertés démocratiques au nom d’une nouvelle “guerre contre le terrorisme”.

Mais il y a plusieurs contextes historiques d’Israël-Palestine que l’on ne peut ignorer aujourd’hui. Le contexte historique le plus large remonte au milieu du XIXe siècle, lorsque le christianisme évangélique occidental a fait de l’idée du “retour des Juifs” un impératif religieux millénaire et a préconisé l’établissement d’un État juif en Palestine dans le cadre des étapes qui mèneraient à la résurrection des morts, au retour du Messie et à la fin des temps.

La théologie est devenue politique vers la fin du 19e siècle et dans les années précédant la Première Guerre mondiale pour deux raisons.

Premièrement, elle a profité à ceux qui, en Grande-Bretagne, souhaitaient démanteler l’Empire ottoman et en incorporer des parties dans l’Empire britannique. Deuxièmement, il a trouvé un écho au sein de l’aristocratie britannique, tant juive que chrétienne, qui était enchantée par l’idée du sionisme comme panacée au problème de l’antisémitisme en Europe centrale et orientale, qui avait produit une vague d’immigration juive malvenue en Grande-Bretagne.

La fusion de ces deux intérêts a incité le gouvernement britannique à publier la célèbre – ou tristement célèbre – déclaration Balfour en 1917.

Les penseurs et militants juifs qui ont redéfini le judaïsme comme un nationalisme espéraient que cette définition protégerait les communautés juives d’un danger existentiel en Europe en se concentrant sur la Palestine comme espace souhaité pour la “renaissance de la nation juive”.

Ce faisant, le projet culturel et intellectuel sioniste s’est transformé en un projet colonial de colonisation, qui visait à judaïser la Palestine historique, sans tenir compte du fait qu’elle était habitée par une population autochtone.

À son tour, la société palestinienne, plutôt pastorale à l’époque et dans sa phase initiale de modernisation et de construction d’une identité nationale, a produit son propre mouvement anticolonial. Sa première action significative contre le projet de colonisation sioniste a été le soulèvement d’al-Buraq en 1929, et elle n’a jamais cessé depuis.

Un autre contexte historique pertinent pour comprendre la crise actuelle est le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948, qui comprenait l’expulsion forcée de Palestiniens vers la bande de Gaza, à partir de villages sur les ruines desquels certaines des colonies israéliennes attaquées le 7 octobre ont été construites. Ces Palestiniens déracinés faisaient partie des 750 000 Palestiniens qui ont perdu leur maison et sont devenus des réfugiés.

Cette épuration ethnique a été enregistrée par le monde entier, mais n’a pas été condamnée. En conséquence, Israël a continué à recourir au nettoyage ethnique pour s’assurer un contrôle total sur la Palestine historique tout en laissant le moins de Palestiniens autochtones possible. Cela inclut l’expulsion de 300 000 Palestiniens pendant et après la guerre de 1967, et l’expulsion de plus de 600 000 personnes de Cisjordanie, de Jérusalem et de la bande de Gaza depuis lors.

Il y a aussi le contexte de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Au cours des 50 dernières années, les forces d’occupation ont infligé une punition collective persistante aux Palestiniens de ces territoires, les exposant au harcèlement constant des colons et des forces de sécurité israéliennes et emprisonnant des centaines de milliers d’entre eux.

Depuis l’élection de l’actuel gouvernement israélien fondamentaliste messianique en novembre 2022, toutes ces politiques dures ont atteint des niveaux sans précédent. Le nombre de Palestiniens tués, blessés et arrêtés en Cisjordanie occupée est monté en flèche. En outre, les politiques du gouvernement israélien à l’égard des lieux saints chrétiens et musulmans de Jérusalem sont devenues encore plus agressives.

Enfin, il y a aussi le contexte historique du siège de Gaza, qui dure depuis 16 ans et dont près de la moitié de la population est constituée d’enfants. En 2018, l’ONU avertissait déjà que la bande de Gaza deviendrait impropre à la vie humaine d’ici 2020.

Il est important de rappeler que le siège a été imposé en réponse aux élections démocratiques remportées par le Hamas après le retrait unilatéral d’Israël du territoire. Il est encore plus important de remonter aux années 1990, lorsque la bande de Gaza était entourée de barbelés et déconnectée de la Cisjordanie occupée et de Jérusalem-Est à la suite des accords d’Oslo.

L’isolement de Gaza, la clôture qui l’entourait et la judaïsation croissante de la Cisjordanie indiquaient clairement qu’aux yeux des Israéliens, Oslo signifiait une occupation par d’autres moyens, et non une voie vers une paix véritable.

Israël contrôlait les points d’entrée et de sortie du ghetto de Gaza, allant jusqu’à surveiller le type de nourriture entrant, la limitant parfois à un certain nombre de calories. Le Hamas a réagi à ce siège débilitant en tirant des roquettes sur des zones civiles d’Israël.

Le gouvernement israélien a prétendu que ces attaques étaient motivées par le désir idéologique du mouvement de tuer des Juifs – une nouvelle forme de nazisme – sans tenir compte du contexte de la Nakba et du siège inhumain et barbare imposé à deux millions de personnes, ainsi que de l’oppression de leurs compatriotes dans d’autres parties de la Palestine historique.

Le Hamas, à bien des égards, était le seul groupe palestinien qui promettait de venger ou de répondre à ces politiques. Toutefois, la manière dont il a choisi de répondre pourrait entraîner sa propre disparition, du moins dans la bande de Gaza, et pourrait également servir de prétexte à une nouvelle oppression du peuple palestinien.

La sauvagerie de son attaque ne peut en aucun cas être justifiée, mais cela ne signifie pas qu’elle ne peut pas être expliquée et contextualisée. Aussi horrible qu’elle ait été, la mauvaise nouvelle est qu’il ne s’agit pas d’un événement qui changera la donne, malgré l’énorme coût humain pour les deux parties. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ?

Israël restera un État fondé par un mouvement de colons, qui continuera à influencer son ADN politique et à déterminer sa nature idéologique. Cela signifie qu’en dépit du fait qu’il se considère comme la seule démocratie du Moyen-Orient, il restera une démocratie uniquement pour ses citoyens juifs.

La lutte interne en Israël entre ce que nous pouvons appeler l’État de Judée – l’État des colons qui veut qu’Israël devienne plus théocratique et raciste – et l’État d’Israël – qui veut maintenir le statu quo – qui a préoccupé Israël jusqu’au 7 octobre, va reprendre de plus belle. En fait, il y a déjà des signes de son retour.

Israël restera un État d’apartheid – comme l’ont déclaré plusieurs organisations de défense des droits de l’homme – quelle que soit l’évolution de la situation à Gaza. Les Palestiniens ne disparaîtront pas et poursuivront leur lutte pour la libération, avec de nombreuses sociétés civiles à leurs côtés et leurs gouvernements qui soutiennent Israël et lui accordent une immunité exceptionnelle.

La solution reste la même : un changement de régime en Israël qui garantisse l’égalité des droits pour tous, de la rivière à la mer, et permette aux réfugiés palestiniens de rentrer chez eux. Sinon, le cycle de l’effusion de sang ne s’arrêtera pas.

Ilan Pappe est directeur du Centre européen d’études palestiniennes à l’Université d’Exeter. Il a publié 15 ouvrages sur le Moyen-Orient et la question palestinienne.


Source originale: Al Jazeera
Traduit de l’anglais par Bernard Tornare

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.

One thought on

Pourquoi Israël veut-il effacer le contexte et l’histoire de la guerre de Gaza ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.