Pas de sanctions, pas d’armes nucléaires, pas de guerre !

Militante pour la paix, Sara Flounders connait bien l’effet des sanctions économiques. Dans les années 90, elle a organisé des délégations en Irak, alors que le pays était durement étranglé par Washington. Elle analyse les enjeux de la guerre en Ukraine et des sanctions imposées par les États-Unis à la Russie. Des sanctions qui ne font pas le bonheur de tous. Si l’Europe suit aveuglément, d’autres pays à travers le monde n’hésitent pas à manifester leur opposition. Et c’est toute l’architecture de l’économie mondiale qui pourrait ainsi être bouleversée. (IGA)

Bien ancré, le désordre capitaliste dominé par l’impérialisme US depuis la Seconde Guerre mondiale est en train de vaciller. Les sanctions économiques extrêmes imposées à la Russie entraînent le monde entier dans une guerre qui a commencé bien avant l’intervention russe en Ukraine le 24 février.

Des pays représentant une majorité de la population mondiale ne sont pas disposés à soumettre leur souveraineté au contrôle total de Wall Street. À la grande surprise des stratèges de guerre US, la quasi-totalité de l’Amérique latine, les Caraïbes, de nombreux pays d’Afrique et la plupart des pays d’Asie ont rejeté les sanctions contre la Russie.

La défiance ouverte d’un si grand nombre de pays et de grands blocs commerciaux est une confirmation éclatante de l’affaiblissement de la puissance économique étasunienne.

La domination des États-Unis remise en question

Il est bien connu que la domination économique des États-Unis en Europe et dans le monde est remise en question par l’augmentation des échanges de l’Union européenne avec la Russie et la Chine. L’intégration croissante de ce bloc de pays eurasiens, qui s’étend de la Chine et de l’Asie du Sud à l’Europe en passant par l’Asie centrale et la Russie, confère un avantage économique considérable aux pays concernés.

L’intégration croissante du commerce et des investissements de l’UE avec la Russie et la Chine menace à la fois la domination du pouvoir des entreprises US en Europe et l’hégémonie mondiale des États-Unis. Il est dans l’intérêt des entreprises US de cyniquement provoquer un conflit là où elles seront le moins affectées et dans une région où ses rivaux capitalistes de l’UE porteront le plus lourd fardeau.

Les États-Unis brandissent la menace d’une guerre nucléaire pour obtenir des sanctions

Les États-Unis ont provoqué une crise en encerclant la Russie avec les bases de l’OTAN, en organisant des opérations militaires constantes et en fournissant des armes lourdes à l’Ukraine pour qu’elle tire sur les frontières de la Russie.

Les États-Unis sont le seul pays à avoir jamais utilisé des armes nucléaires. Ils ont incinéré deux villes entières – Hiroshima et Nagasaki – en 1945. Les États-Unis ont en outre refusé d’accepter une politique nucléaire “No First Use”.

En plaçant des armes nucléaires en Europe et en installant des armes à capacité nucléaire aux frontières de la Russie, les États-Unis ont ouvertement provoqué la Russie à frapper en état de légitime défense. Ils ont utilisé la menace nucléaire non seulement contre la Russie, mais aussi pour pousser l’Union européenne à imposer des sanctions sévères à la Russie, même si ce n’était pas dans l’intérêt de l’UE de couper les liens économiques avec Moscou.

L’UE, et en particulier l’Allemagne, n’étant pas disposée à imposer des sanctions qui rompraient toute relation avec la Russie, les États-Unis ont durci leur jeu. Le 26 février, deux jours après le début de l’opération militaire russe en Ukraine, le président Joe Biden a menacé l’UE que la seule alternative à l’application des sanctions US “serait la Troisième Guerre mondiale”.

“Vous avez deux options. Commencer une Troisième Guerre mondiale, entrer en guerre avec la Russie, physiquement. Ou, deux, faire en sorte que le pays qui agit de manière si contraire au droit international finisse par payer le prix. . . . Je sais que ces sanctions sont les plus larges de l’histoire des sanctions économiques et des sanctions politiques.”

Dans une interview avec le blogueur Brian Tyler Cohen, Biden a déclaré que son “objectif depuis le tout début” était de garder l’OTAN et l’Union européenne “sur la même page.” ()

L’UE, un bloc d’économies capitalistes dominé par l’Allemagne, ne peut pas et ne veut pas défier directement l’hégémonie US, surtout lorsqu’elle est menacée d’une guerre nucléaire en Europe si elle n’obéit pas. L’UE a imposé toutes les sanctions exigées par les États-Unis. Les sanctions européennes reflètent ainsi celles imposées par Washington. Toutefois, après un accord passé avec les États-Unis, l’UE reste en mesure d’acheter du gaz à la Russie.

Des sanctions ont été imposées à la Russie en 2014 après que la population majoritairement russe de Crimée a voté pour rejoindre la Russie. Cela faisait suite au coup d’État soutenu par les États-Unis et incluant des éléments fascistes dans la capitale ukrainienne de Kiev. À cette époque, deux régions de l’est de l’Ukraine – les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk – se sont détachées des gangs fascistes de Kiev.

Les États-Unis et l’OTAN ont bombardé la Yougoslavie en 1999. Depuis, malgré de perpétuels avertissements, notamment de ses propres stratèges politiques, la politique du gouvernement US a été de continuer à absorber davantage de pays d’Europe de l’Est dans l’OTAN, de construire des bases de l’OTAN autour de la Russie, de recruter et d’entraîner des soldats ou des mercenaires, de créer des provocations à la frontière russe et d’utiliser l’Ukraine comme un pion pour déstabiliser toute la région.

Ces années d’attaques économiques et militaires constantes contre la Russie sont cachées au public des États-Unis et de l’UE.

Qu’est-ce qui se cache derrière la politique de guerre des États-Unis ?

Pourquoi le commerce et l’intégration UE/Russie sont-ils si menaçants pour l’impérialisme US ?

L’UE est le plus gros investisseur en Russie. Un nouveau double gazoduc plus grand, appelé Nord Stream 2, a été construit pour transporter du gaz naturel bon marché de Russie en Europe à travers la mer Baltique. Il fournit du carburant aux industries européennes et du chauffage à des millions de foyers. Il permet d’éviter de dépendre du charbon et du pétrole, qui sont très polluants.

L’énergie représente 62 % des importations de l’UE provenant de Russie. Elle coûte beaucoup moins cher que le gaz provenant des États-Unis qui sont le plus grand exportateur de gaz GNL fracturé. C’est un défi pour l’ouverture de nouveaux marchés. Avec la guerre et les sanctions, les sociétés gazières et pétrolières US profiteront immédiatement de la montée en flèche des prix du carburant et garantiront leur futur contrôle du marché européen.

Cet affrontement va toutefois bien au-delà d’un simple gazoduc. L’économie US est axée sur la production militaire. Les États-Unis sont le plus grand exportateur de systèmes d’armes. Mais l’impérialisme US est incapable de rivaliser avec les plans de développement des Nouvelles Routes de la Soie que propose la Chine. Plus de 138 pays ont signé pour obtenir de nouveaux ports, des voies ferrées, des centres industriels et des prêts à faible taux d’intérêt.

Les prêts de la Chine pour le développement des “Nouvelles Routes de la Soie” sont bien plus attrayants que les systèmes d’armes US et les sévères plans d’austérité accompagnant les prêts du FMI et de la Banque mondiale.

Les capitalistes financiers US sont alarmés par le fait que deux tiers des pays membres de l’Union européenne ont signé en tant que membres officiels des projets des Nouvelles Routes de la Soie chinoises. Les villes portuaires de Grèce, d’Italie, du Portugal et de Hongrie sont en reconstruction. De nouveaux projets énergétiques sont en cours. Le commerce de l’Europe avec la Chine dépasse désormais son commerce avec les États-Unis.

Dans sa lutte pour maintenir sa position dominante, l’impérialisme US n’a qu’un seul outil contre ces relations économiques qui se développent rapidement et se concurrencent fortement : la guerre. Tant la guerre militaire que la guerre économique des sanctions.

Les sanctions sont une guerre

Les sanctions ne constituent pas un moyen d’empêcher la guerre ou de se substituer à la guerre. Elles représentent en fait une escalade de la guerre.

En utilisant le rôle dominant du dollar dans l’économie mondiale, Washington a imposé plus de 5.500 sanctions à la Russie et oblige les autres pays à reconfigurer leur économie pour se conformer à ces sanctions économiques extrêmes. Les sanctions contre la Russie sont les mesures de guerre économique les plus extrêmes au monde.

Les sanctions créent une hyperinflation, des famines artificielles, des bouleversements sociaux et des crises sanitaires qui punissent les populations civiles. Aussi meurtrières que les bombes, les sanctions sont un acte de guerre. Elles sont qualifiées à juste titre de crime contre l’humanité[1].

Les sanctions réussiront-elles à rétablir la position de l’impérialisme US ? C’est clairement le calcul.

La numéro 2 du Fonds monétaire international, Gita Gopinath, a rendu un avis faisant autorité sur la prédiction que les sanctions financières entraîneront la Russie dans une “profonde récession” et “modifieront l’ordre économique mondial… Cela a des implications pour l’ordre économique mondial tel que nous le connaissons.” D’autres articles de presse prédisent que l’économie russe va “tomber dans le vide”, “dégringoler”, “tomber en chute libre”, etc.

Plusieurs économistes préviennent que cela aura un impact sur l’économie mondiale. Pour les banquiers et les financiers, la douleur de millions de personnes, même aux États-Unis, n’est pas un problème, tant qu’ils peuvent ramasser les morceaux par la suite.

Les spéculateurs prédisent que les industries de “défense” et les entreprises énergétiques vont prospérer. Toutes les prédictions financières aux États-Unis et en Europe sont que l’économie européenne sera beaucoup plus durement touchée.

Un tiers du monde est sanctionné

Aujourd’hui, plus de 40 pays, regroupant un tiers de la population mondiale, souffrent déjà des mesures économiques imposées par Washington. Les États-Unis ont sanctionné, entre autres, Cuba, le Venezuela, le Nicaragua, la Chine, l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Palestine, l’Afghanistan, le Zimbabwe, l’Éthiopie et le Soudan. Les pays qui commercent avec les cibles des sanctions US s’exposent à de lourdes amendes. Cette forme mortelle de guerre économique a des répercussions sur tous les pays environnants et détruit le développement régional.

Beaucoup de ces pays trouvent cependant des moyens de survivre grâce à des programmes complexes de troc et d’échange qui se développent à mesure que le nombre de pays sanctionnés augmente.

La quasi-totalité des pays frappés par ces sévères mesures de déstabilisation et de confiscation des avoirs imposées par les États-Unis a adhéré aux programmes chinois de développement des Nouvelles Routes de la Soie. Bon nombre des pays sanctionnés, dont le Venezuela, Cuba et la Syrie, reçoivent de la Russie des livraisons fiables de carburant et de céréales dont ils ont besoin. Ces nouvelles formes d’échange, développées par nécessité, commencent à affaiblir l’étranglement économique voulu. La Russie dispose toujours d’un marché solide pour ses exportations, hors de portée des sanctions US.

La Russie est également membre de l’Organisation de coopération de Shanghai. Il s’agit d’une alliance économique et sécuritaire qui est la plus grande organisation régionale du monde, couvrant environ 60 % de la superficie de l’Eurasie, 40 % de la population mondiale et plus de 20 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Sur les 14 membres de ce bloc commercial, six sont déjà sous le coup de sanctions US, mais ils maintiennent des relations économiques normales.

Les pays refusent d’obtempérer

À la stupéfaction des stratèges de guerre de Washington, de nombreux pays qui ne sont pas actuellement sous sanctions US refusent de se conformer aux sanctions que les États-Unis et l’Union européenne imposent à la Russie. À ce jour, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, la Turquie, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, le Mexique et d’autres pays aux économies plus modestes ont refusé de se conformer aux mesures US qui nuisent à leurs propres relations commerciales.

Il s’agit de nations dont l’économie est en croissance et dont la population importante. Par ailleurs, plusieurs pays qui faisaient autrefois partie de l’Union soviétique et qui font maintenant partie de l’Union économique eurasienne (UEE) – le Bélarus, l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan – ne sont pas susceptibles de se conformer.

Plusieurs pays ne souhaitant pas affronter ouvertement la colère économique des États-Unis ont vaguement déclaré qu’ils ne se conformeraient qu’aux sanctions imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU où un veto russe ou chinois rend un tel vote improbable.

La pression économique et politique exercée par les États-Unis sur tous ces pays pour qu’ils se conforment aux sanctions s’intensifiera au cours de la période à venir.

Menace sur la Chine

Le principal régulateur bancaire chinois, Guo Shuqing, déclare : “Nous ne participerons pas à de telles sanctions, et nous continuons à maintenir des échanges économiques, commerciaux et financiers normaux avec les parties concernées.” (New York Times, 11 mars). Après que Mastercard et Visa ont cessé leurs activités, les banques russes se sont tournées vers la société chinoise UnionPay qui offre des options de paiement dans 180 pays.

La Chine n’a pas encore apporté d’aide économique ou militaire à la Russie. Elle a simplement refusé de rompre ses relations économiques normales. Cette situation exaspère le gouvernement Biden.

Les États-Unis ont publiquement menacé la Chine pour avoir aidé la Russie à échapper aux sanctions. Il a été rappelé à la Chine que deux de ses principaux partenaires commerciaux sont les États-Unis et l’Union européenne. La Chine a donc besoin d’accéder à ces marchés.

Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, a menacé directement la Chine en déclarant : “Nous communiquons directement et en privé à Pékin qu’il y aura absolument des conséquences” si la Chine aide la Russie à “combler” ses pertes dues aux sanctions. “Nous ne permettrons pas que cela aille de l’avant et que n’importe quel pays dans le monde offre une bouée de sauvetage à la Russie pour ces sanctions économiques.”

Sullivan a déclaré que la Chine et tous les pays ont été avertis qu’ils ne pouvaient pas “renflouer la Russie… donner à la Russie un moyen de contourner les sanctions” en toute impunité. 

Si des menaces aussi effrontées et insultantes sont ouvertement proférées à l’encontre de la Chine, des menaces plus sévères encore sont proférées à l’encontre d’autres pays.

Les nouvelles formes de commerce et d’échange remettent effectivement en question le pouvoir hégémonique du dollar américain. Mais les mesures extrêmes imposées à la Russie vont créer une douleur économique intense, une spirale d’inflation et de chômage à l’échelle mondiale.

À l’heure actuelle, la classe dirigeante US, le Congrès US et les médias dominants US sont unanimement favorables à une guerre économique et même à une confrontation militaire, indépendamment de leur caractère destructeur pour la vie humaine. L’important est d’ouvrir de nouveaux marchés et de détruire les rivaux.

Les démocrates ont rapidement abandonné les promesses de “Build Back Better” et le paquet santé COVID-19 afin de saturer l’Ukraine d’armes. Les travailleurs étasuniens et européens en paieront le prix.

Le danger grandit. Une guerre impérialiste US de cette ampleur et des pressions plus fortes pour que le monde entier y participe pourraient s’intensifier gravement.

 

Source originale: Workers World

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Photo: Lors d’un match de la Coupe de l’Europa League à Belgrade, le 17 mars, des supporters de football serbes brandissent des banderoles sur lesquelles sont mentionnées les “interventions” militaires US menées depuis les années 1950, y compris avec l’OTAN, condamnant ainsi les États-Unis comme faiseurs de guerre.

[1] Voir notamment l’article d’Alfred de Zayas, spécialiste du droit international.

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