Petit retour en arrière, je suis originaire d’un pays d’Afrique… où ce mot est employé quotidiennement exactement sous la forme « Bantu » ou sous diverses formes. Aussi loin que je me souvienne, depuis l’enfance que ce soit ici et au pays, ce mot est soufflé, chuchoté, parlé, crié et chanté… dans mes oreilles… comme par exemple : « Bantu… » « bant(u) yango », « Bato mingi » « bato nyonso », « Batu ba bi » « batu botsu » etc…Sans en comprendre son sens étymologique, j’ai plus ou moins pu comprendre assez tôt le sens d’origine et l’emploi du mot bantu bien mieux que d’autres mots de mes langues maternelles…
Je dis bien langues maternelles au pluriel, car ce mot apparaît déjà parmi les trois langues maternelles que je suis censé maîtriser… bien qu’il puisse subir de légères variations dans sa forme…Cependant, même l’emploi de « langues maternelles » au pluriel peut s’avérer lui aussi biaisé car ces dernières forment une unité linguistique comme bien d’autres langues africaines entre elles…
Le mot bantu n’est donc pas seulement employé dans le pays… d’où je proviens puisqu’il s’étend dans l’« aire » géographique dite bantu…Le but est de savoir si l’emploi du mot bantu par les populations de cette zone… tend à les qualifier comme un groupe distinct d’autres groupes… en Afrique ? Dans le cas contraire, son usage actuel n’a-t-il pas aussi subi l’empreinte d’une dénomination extérieure… ?
Si on fréquente certains dit Bantu ou si on regarde des reportages ou documentaires, des émissions ou bien des films ou séries de cette zone géographique… certain(e)s disent : « Nous sommes Bantu… Ainsi nous faisons telle chose de telle manière… ». Cela est même dit par des gens qualifiés de Bantu alors que ce mot n’apparaît pas sous cette forme « classique » dans leurs langues locales. Les réalisateurs de documentaires diront quant à eux diront « Les Bantu font ceci, les Bantu font cela… » tout comme ceux qui se sont « immergés » au sein des Bantu… afin de les définir ou définir leur philosophie…
C’est le cas du Prêtre Franciscain Belge, Placide Frans Tempels… Son livre « La Philosophie Bantoue » est devenu ou devint une référence, pour ne pas dire la référence dans le domaine pour certains afin de comprendre cette dite « philosophie ». À vrai dire, en revenant de nouveau à mon histoire personnelle lorsque je prenais connaissance de ce livre à l’approche de l’âge adulte légal… je me disais que je devais le lire afin de nous connaître, de me connaître… afin de me comprendre et nous comprendre mieux, nous les Bantu…Cependant l’aperçu que j’avais eu de ce livre était vraiment sommaire, je n’avais même pas vraiment prêté attention au nom de l’auteur… J’avais peut-être été trop intrigué par le fait de voir le mot bantu dans le titre d’un livre et le fait d’y voir associé le mot philosophie…
J’ai même dû croire pendant longtemps que ce livre avait été écrit par un Bantu… étant donné qu’il semblait être une référence parmi des Africains et pas seulement les dit Bantu…Quelle fut ma surprise quand je réalisais que ce n’était pas le cas…Mais j’ai fini par lire ce livre bien plus tard…En lisant ce livre, on comprend pourquoi Aimé Césaire, par exemple, était très critique vis-à-vis de ce dernier dans son « Discours sur le colonialisme », tandis que Léopold Sédar Senghor l’appréciait…Comme l’Abbé Alexis Kagame l’a rappelé, ce livre fut à l’époque de sa sortie « un ouvrage déjà alors contesté et chaudement loué à la fois »
L’Abbé Alexis Kagame, issu du terroir bantu… a, quant à lui, publié en 1956, « La philosophie Bantu-Rwandaise de l’Être », le titre ne prêtait à aucune équivoque. Certes, il s’agissait de parler des Bantu, mais il était clair que cette étude se focalisait premièrement sur le Rwanda.
Le livre du prêtre Tempels a focalisé son étude sur une dite « ethnie bantu » à savoir les Luba ou Baluba ou le Muluba… mais le titre donnait déjà l’impression d’une étude basée sur toute la zone bantu…C’est déjà cette approche que l’Abbé Alexis Kagame critiquait… sans pour autant minimiser le travail du prêtre Tempels qu’il qualifiait de « Pionnier », mais il jugeait la méthode « déficiente et que le titre de son ouvrage n’avait pas de relation avec son contenu »
À la suite de 17 ans de recherche, Alexis Kagame publie en 1972 « La Philosophie Bantu Comparée ». Bien qu’il dise ne pas avoir « fouillé l’aire bantu de fond en comble », ces résultats se sont « portés sur un certain nombre de cartes de l’aire bantu » et permettent « d’en avoir obtenu un ensemble d’informations représentatives qui permettent de tirer des conclusions valables ». Les exemples dans son livre sont probants…Dans un chapitre intitulé « Le sens réel de la « Force vitale » (fameux sujet qui ne sera pas abordé ici car ce n’est pas le propos), Alexis Kagame ajoute : « Partout où l’auteur parle des bantu, lisez baLuba-Kasayi, car sa philosophie bantu ne puise aucune autre documentation en dehors de leur frontière. »
Plus loin, il conclut sur le sujet et dit : « Nous ne disons pas que le livre du P. Tempels ne renferme pas une certaine philosophie. Mais elle aurait gagné à être présentée comme cogitations personnelles de l’auteur, sans la qualifier de bantu. En d’autres termes, ce livre qui fourmille de données de valeur dans le cadre des sciences ethnologiques, a été mal intitulé. L’explosion soudaine cependant de la courageuse sympathie que l’auteur manifestait ainsi pour les Africains, à une époque où leur infériorité radicale était un dogme indiscuté, favorisa malheureusement la diffusion de sa terminologie que certains acceptèrent aveuglément. »
Cependant, bien qu’il semble avoir ouvert une porte d’analyse pour certains « le propos de Tempels reste un propos colonial (il s’agit de comprendre les Africains pour mieux asseoir la colonisation et l’évangélisation) » dit Séverine Kodjo-Grandvaux, philosophe et journaliste.
(…)
J’en reviens à mon cas personnel, un jour, un de mes oncles un Bantu pur jus… puis qu’élevé dans le « terroir bantu », s’amusait avec ironie avec un autre de mes oncles sur l’usage du mot bantu, durant une veillée… dont des Bantu sont friands…
Il disait grosso modo : « Vraiment, nous sommes bizarres, nous avons voulu appliquer le mot bantu au monde entier… » à l’humanité donc. Il ironisait car il savait très bien de quoi il parlait, car en réalité le mot bantu signifie tout simplement « Les humains ».
Extrait de l’ouvrage : Échos d’un présumé Bantu