Nordine Saidi : « Les Belges complices d’actes de génocide doivent être traduits en justice »

Pour dresser un bilan des mobilisations belges en faveur de l'arrêt du génocide perpétré à Gaza, porter un regard sur le verdict de la CIJ et l'escalade guerrière au Moyen-Orient dont la Belgique est partie prenante : trois questions à Nordine Saidi, militant au Mouvement Citoyen Palestine.   


Investig’Action : Après plus de 3 mois de manifestations planétaire en faveur de la Palestine et le verdict de la Cour Internationale de justice (CIJ) accablant Israël et ses alliés, quel bilan tirez-vous des mobilisations en Belgique ?

Nordine Saidi : Les mobilisations dans les rues de Bruxelles sont exceptionnelles, marquant une période de mobilisation sans précédent en faveur de la Palestine. Avant le 7 octobre, la frustration persistait chez de nombreux militants et citoyens, déçus par des années de quasi-inaction en faveur de la cause palestinienne.

L’ampleur actuelle des manifestations dépasse toutes les attentes, témoignant non seulement des grandes manifestations rassemblant 40 000 ou 50 000 personnes, mais également de la mobilisation quotidienne devant des symboles tels que la Bourse et la Gare centrale. Cela dit, il est intéressant de ne pas limiter l’évaluation à la seule participation massive aux grandes manifestations. La mobilisation quotidienne, illustrée par des rassemblements devant des lieux clés de la ville, ainsi que des actions individuelles et collectives telles que le boycott multiforme et le blocage d’Elbit, est une démonstration manifeste de l’engagement citoyen. Ces diverses initiatives soulignent la profondeur de la mobilisation.

L’attaque héroïque du 7 octobre a émergé comme un moment symbolique de victoire, stimulant davantage l’élan des mobilisations. Cet événement a galvanisé les efforts et renforcé la conviction des manifestants, créant une dynamique positive qui doit être consolidée et amplifiée.

La mobilisation actuelle représente un acquis précieux, mais la responsabilité nous incombe désormais de maintenir cette dynamique. La pérennité de cet engagement nécessite une vision à long terme et une stratégie coordonnée. Les mobilisations pro-Palestine à Bruxelles marquent le début d’une nouvelle ère de mobilisation pro palestinienne, caractérisée par une diversité d’actions et une participation exceptionnelle. L’impact positif de ces manifestations doit être capitalisé pour favoriser un changement dans les politiques internationales.

Quant à la décision significative de la Cour internationale de Justice (CIJ), il est clair que les pays qui soutiennent Israël ont à présent une responsabilité majeure de mettre fin à ce soutien, que ce soit sur le plan politique, militaire, financier, ou autre. Ces pays sont dans l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter qu’Israël commette des actes considérés par la CIJ comme « graves » et qui pourraient être assimilés à « des actes de génocide ». Ainsi, chacun d’entre nous, en Belgique, en France et ailleurs, doit interpeller son gouvernement en mettant en avant que « ce n’est plus seulement une question politique ; il y a maintenant une obligation légale de prévenir tout acte de génocide et d’empêcher Israël de s’engager dans cette voie ! »

Avec cette décision de la CIJ, il est légitime d’attendre du gouvernement belge des actions concrètes pour mettre fin à ce génocide. C’est un moment crucial qui nécessite une réponse immédiate et des mesures concrètes. Il est également crucial de déterminer combien de ressortissants belges servent actuellement dans les rangs de l’armée israélienne ? La Belgique doit examiner la responsabilité de ses ressortissants impliqués tant à Gaza qu’en Cisjordanie, afin que les personnes de nationalité belge, y compris les binationaux coupables de crimes de guerre, soient traduites devant la justice belge.

Investig’Action : Le gouvernement belge est entré en guerre contre les Houthis du Yémen. Une pétition circule appelant à refuser que la Belgique ne s’associe à cette énième sale guerre nord-américaine. Envisagez-vous, là aussi, d’appeler à des manifestations à Bruxelles voire à d’autres actions ?

Nordine Saidi : Il apparaît manifeste que la position du gouvernement belge dans le conflit yéménite est teintée d’hypocrisie. D’un côté, il tente de nous rassurer, tel le serpent du Livre de la Jungle avec son « aie confiance », en affichant une demande de cessez-le-feu à Gaza. Cependant, de l’autre côté, il se lance dans une guerre contre les Houthis, acteurs majeurs du blocus maritime, en solidarité avec Gaza. Cette dualité soulève des questions cruciales quant à la cohérence des actions belges, posant un défi à la crédibilité de ses engagements en faveur de la paix au Moyen-Orient.

L’incohérence entre la demande de cessez-le-feu à Gaza et l’engagement militaire contre les Houthis est déconcertante. Cela révèle une contradiction fondamentale dans la politique étrangère belge, sapant la crédibilité de ses intentions pacifiques. La prétendue solidarité avec Gaza semble masquer une réalité plus complexe, mettant en lumière le jeu politique ambigu entre les discours officiels et les actions concrètes sur la scène internationale.

Du point de vue des citoyens, cette contradiction gouvernementale soulève des préoccupations quant à la cohérence des actions politiques. Les Belges peuvent légitimement remettre en question l’engagement militaire au Yémen et exiger une explication claire sur la manière dont cela s’aligne avec les appels à la paix à Gaza.

Par contre, lorsque certains me demandent pourquoi, à Bruxelles, il n’y a pas de manifs « en soutien aux Israéliens dissidents qui s’opposent ouvertement au gouvernement Netanyahou ? », déjà, je suis en désaccord avec la formulation de la question. Celle-ci insinuerait qu’il y aurait une « résistance » israélienne à la politique génocidaire de Netanyahou : je n’y crois pas et surtout, je ne la vois pas ! S’il y a des opposants israéliens à Netanyahou, c’est pour défendre leur propre intérêt, pas pour la paix. Aujourd’hui, les seuls que je peux considérer comme opposants à la politique génocidaire du régime sioniste sont celles et ceux qui refusent de servir dans l’armée israélienne et disent ouvertement que c’est pour dire non au génocide et à l’occupation.

Investig’Action : Pour quelles raisons est-il devenu si difficile de réactiver un large mouvement anti-guerre, belge et européen, comme il y en a eu dans le passé pour s’opposer à la guerre en Irak (2003) ?

Nordine Saidi : La politique va-t-en-guerre des États-Unis semble avoir gagné les cœurs des Européens, influençant leur attitude envers les conflits militaires. Actuellement, une grande partie de la population européenne ne semble pas s’opposer à l’usage de la force militaire, justifiée souvent au nom de la sécurité.

Pour moi, le mouvement anti-guerre a perdu de sa vigueur en Belgique et en Europe grâce à l’efficacité de la propagande islamophobe. Cette stratégie a contribué à déformer les perceptions des populations, créant une acceptation tacite des opérations militaires. Si les Européens sont devenus plus complaisants envers l’usage de la force militaire, cela souligne le suprématisme Blanc ou suprématisme Occidental.

Si une part significative de la population considère les musulmans comme « moins humains », cela a évidemment des implications majeures sur la solidarité. L’analyse de l’absence de mouvement anti-guerre en Europe met en lumière la puissance de la propagande islamophobe et les préjugés profonds envers les musulmans.

Propos recueillis par Olivier Mukuna



  

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