L’ensemble qui vous est soumis éclaire vivement la polémique qui a surgi sur le Grand Livre des commémorations et sur les raisons profondes des omissions historiques d’Olivier Dard, qui n’a cessé de tonner depuis vingt ans contre l’histoire complotiste, contre mes travaux et ma personne et , et qui, vous le constaterez, juge que des historiens à la Lacroix-Riz entretiennent « les thèses complotistes », mais en revanche estime que la re-publication à haute dose de tous les auteurs et praticiens fascisto-nazis est une excellente chose : pour cette littérature, le « public français » serait « mûr », alors que, malheureusement il ne l’est pas pour lire des historiennes aussi sulfureuses que moi-même. Ne manquez pas la dégustation de ce dossier, il est savoureux. Vous l’apprécierez, j’en suis sûre, autant que moi-même.
Je ne suis pas des historiens qu’on invite : bien que je sois très académique dans la forme, j’ai l’audace de dire ce que je découvre dans les archives, dont le contenu est malheureusement moins policé ou plus vulgaire.
Je suis en sus et peut-être surtout mise au banc d’infamie comme « marxiste » et « communiste », bien que l’historien que l’Action française invite à présenter ses travaux à son siège parisien ou dans la maison de Maurras à Martigues ou ailleurs, et appelle « notre ami Olivier Dard », ne soit pas classé sur l’échiquier politique, de même que Denis Peschanski, élu socialiste, n’est pas présenté comme « historien socialiste ».
Je ne compte plus les invitations à des « débats » audiovisuels annulées sous des prétextes divers mais pour un motif unique clairement exprimé par nombre de mes collègues, dont un célèbre directeur de l’Institut d’études politiques aujourd’hui décédé : « Si elle vient, je ne viens pas ».
Dernier exemple en date, un débat annulé par la RTBF invitante (billets de train envoyés pour Bruxelles) en décembre 2017 sur le documentaire consacré à Pie XII et la Deuxième Guerre mondiale (« la face cachée », qui l’est restée…), documentaire diffusé sans débat le 26 janvier 2018. Je ne songe naturellement pas à dénoncer particulièrement le service public de télévision belge, qui a seulement reproduit ce qui m’arrive en France depuis des décennies.
Ce veto contre le débat de mes collègues exaspérés par les archives originales ne s’est presque jamais heurté à la réaction indignée de journalistes ou producteurs courageux, alors que dans certains domaines non historiques (rares, je l’admets), des débats ont lieu en l’absence de « ceux qui ont décliné les invitations ».
Je comprends bien pourquoi les historiens médiatiques qui négligent ou déprécient les sources originales refusent de débattre de réalités historiques qu’ils nient catégoriquement. Je n’en demeure pas moins ouverte au débat.
Sur la question présente de la « commémoration » de Maurras, j’adresse aujourd’hui ce texte aux professionnels de l’information alarmés par le mutisme d’Olivier Dard sur l’antisémitisme du « maître », qu’il a certifié en revanche comme « germanophobe et antinazi ».
Même si, comme à l’ordinaire, il n’y a pas de débat, ces quelques pages documentées éclaireront ces professionnels, qui ne pourront plus dire « on ne savait pas ».
A moins que, dans le climat délétère qui règne actuellement, on ne finisse par accuser les Archives nationales et les archives étrangères, notamment allemandes, des années 1920-1944 de répandre des « fake news » ?
Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine, université Paris 7
5-6 février 2018
Source : Investig’Action