Investi ce 10 décembre comme douzième président de l'Argentine depuis le retour de la démocratie il y a 40 ans, Javier Milei a promis un choc d'austérité. Pour accueillir son investiture des milliers de sympathisants ont acclamé son discours aux cris de "Liberté" et "tronçonneuse". Parmi les personnalités présentes: Jair Bolsonaro, Viktor Orban, le chef du parti d'extrême droite espagnol Vox ainsi que le roi d'Espagne Felipe VI, le Chilien Gabriel Boric ainsi que Volodymyr Zelensky. Nous avons interrogé Julio C. Gambina, économiste et membre d'ATTAC/ACDTM Argentine.
Quelle est votre impression suite à la victoire de Milei ?
C’est un projet de droite qui s’est consolidé en Argentine avec un fort consensus électoral, plus qu’un consensus politique. Nous verrons comment réagira la population après les mesures réactionnaires d’ajustement structurel et de restructuration capitaliste que le gouvernement Milei mettra en œuvre à partir d’aujourd’hui.
Ce phénomène exprime un nouveau changement dans le régime politique local, qui, lors de la crise de 2001, a mis fin au bipartisme traditionnel de l’époque constitutionnelle : radicalisme et péronisme, pour prendre ces dernières années la configuration de deux coalitions : le macrisme et le kirchnerisme. Aujourd’hui, un troisième parti émerge, qui non seulement réorganise la droite, mais conteste également le consensus social électoral en faveur d’un projet économique libéral. Les échecs des gouvernements Macri (2015/2019) et Fernández (2019/2023) ont produit une société appauvrie et ont permis l’émergence d’un nouveau venu en politique, Milei, député depuis 2021. Avec ses idées ultra-libérales et ses propositions de dollarisation pour répondre à l’inflation et pour mettre fin à l’insécurité croissante dans le pays, ce qui risque d’arriver est une répression accrue de la mobilisation populaire et de la résistance sociale.
Comment sa victoire a-t-elle été possible ?
Le mécontentement social a été croissant face à la hausse des prix et à la réalité des indicateurs socio-économiques préoccupants en termes de pauvreté, de revenus insuffisants et l’absence de sécurité sociale.
Tout cela est un produit des évolutions du capitalisme, global et local, caractérisé par une offensive du capital contre le travail, la nature et la société. L’avancée de la droite est globale et la spécificité locale qui nous caractérise est que Milei n’est pas un “nationaliste” comme d’autres qui lui sont associés, tels que Trump, Bolsonaro ou Meloni. En fait, Milei lui-même se distingue comme le premier libéral libertaire à gagner une élection et, qui plus est, en proposant un ajustement fiscal aux conséquences sociales sévères, même et surtout pour ses électeurs. Il a été présenté par les médias comme un orateur irrévérencieux. Il a su capter l’audience, puis a utilisé les réseaux sociaux pour toucher les plus jeunes.
C’est aussi le triomphe d’une combinaison de stratégies et de tactiques médiatiques avec les besoins du grand capital afin de récupérer l’hégémonie politique pour rendre le capitalisme local plus rentable, à travers la recomposition des entreprises et la baisse des coûts de la main-d’œuvre.
La victoire de Milei peut-elle s’expliquer par le soutien des médias ?
Milei est né politiquement il y a environ cinq ans en tant qu’invité dans des programmes télévisés, séduisant par son côté exubérant, sa tenue et sa coiffure, ses discours critiques à l’égard de la “caste politique”. De là, il y a deux ans, il est devenu député du district de la ville de Buenos Aires et a projeté son image jusqu’à aujourd’hui. Il est un produit des médias et des réseaux sociaux, en lien avec la lassitude entrainée par la politique traditionnelle et la recherche de quelque chose de différent par de larges secteurs insatisfaits des partis traditionnels.
Quels sont les plus grands dangers pour l’Argentine avec Milei à la tête du pays ?
L’ajustement économique qu’il prévoit signifie plus d’inégalités, de pauvreté et de la misère. Le capitalisme local se présente comme une possibilité de croissance de l’activité économique au profit de la rentabilité du capital. Ce qui en découle c’est une aggravation de la débâcle sociale.
L’alternative consiste dans l’émergence d’une confrontation sociale avec un projet politique qui lui est préjudiciable, au-delà même de la logique du capital, de la logique économique, ce qui implique une proposition d’articulation de la gauche.
Quels sont les contre-pouvoirs à Milei ?
La tradition d’organisation syndicale et sociale en Argentine est aux antipodes de la pensée libérale libertaire de Milei et constitue la base pour penser un regroupement du mouvement populaire dans une perspective de critique et d’opposition au gouvernement de Milei. Dans ce processus électoral, la droite et les forces du capital se sont regroupés et réorganisés, d’où la nécessité de réarticuler un bloc populaire, même sous de nouvelles identités politiques qui dépassent les identités traditionnelles. L’année 2023 s’est terminée avec les deux principales coalitions qui se disputaient le gouvernement : le kirchnerisme et le macrisme, il est donc nécessaire d’organiser à partir de la gauche et de l’ensemble du mouvement populaire une nouvelle identité pour se disputer le gouvernement et le pouvoir.
Quelle est la position de la gauche ?
La gauche, avec 5 députés nationaux, sera une opposition qui pourra faire appel à divers groupes de gauche sans statut légal et avec un large espace sociopolitique. Il y a aussi une tradition de gauche sans représentation parlementaire. Mais il faudra qu’elle abandonne une logique autocentrée et se consacre à la constitution d’une gauche plurielle, anticapitaliste, antipatriarcale avec une vision latino-américaniste.
Quelles sont ses propositions relatives à la dette ?
Il est nécessaire de suspendre les paiements de la dette et annuler l’accord avec le FMI, une proposition faite par notre groupe pour la suspension des paiements de la dette et un audit avec participation populaire. C’est un collectif composé de groupes sociaux et politiques de gauche qui a participé aux mobilisations avec la gauche au Parlement et dont l’axe principal est l’annulation de l’accord avec le FMI.
Il semble que l’inflation et la pauvreté soient l’une des explications de la victoire de Milei, pouvez-vous nous dire comment expliquer le problème de l’inflation en Argentine ?
Il s’agit d’un conflit pour l’appropriation de l’excédent économique. L’inflation est une guerre des prix entre les capitalistes qui se disputent l’hégémonie dans le pays. Tout le monde ne peut pas augmenter les prix et c’est pour cela que cette guerre a lieu. Milei tentera de discipliner le conflit entre les propriétaires des moyens de production et les travailleurs, mais aussi entre les secteurs mêmes de la bourgeoisie locale et mondiale qui cherchent à s’approprier le surplus social
Source : Investig’Action
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