Mathis ou le tabou de la violence scolaire raciste

En rassemblant près de 500 personnes dimanche à Bruxelles, le collectif citoyen de soutien à Mathis a (re)mis le projecteur sur les violences policières et le racisme en milieu scolaire belges. Des enjeux de société qui ne se résument pas au cas vidéo de Mathis et demeurent éludés ou niés par les médias traditionnels comme par les institutions compétentes.


Sans aucun doute, le point fort du rassemblement dominical devant le Palais de justice de Bruxelles fût la prise de parole de la mère de Mathis. Le discours de Rita Bayang, mère afro-descendante de deux enfants, fût poignant, digne et rejetant tout amalgames ou généralisations. Est-ce l’une des « raisons » pour lesquelles aucun extrait de celui-ci n’a été repris par le ou la journaliste de l’agence Belga ? Ainsi que par les médias traditionnels (BX1, La Dernière Heure, l’Avenir, 7sur7, Le Soir, etc.) qui, tous, se sont contentés de répercuter la courte dépêche Belga ? Heureusement que nous ne sommes pas en Russie et que le « pluralisme » de la presse belge francophone se porte comme un charme…

Un mois après les violences exercées contre Mathis qui ont scandalisé jusqu’en France, Rita Bayang commence par contextualiser : « On a diagnostiqué des troubles de comportement chez mon fils. Le PMS [centre psycho-médico-social] m’a dit qu’il devait aller dans une école spécialisée de type 3. Qu’est-ce que c’est ? C’est une école où sont scolarisés des enfants ayant une intelligence normale et même au-dessus de la normale ; par conséquent, ils peuvent être sujets à des troubles de comportement ou de la personnalité. Tel est le cas de Mathis. »

 

Rita Bayang, mère de Mathis, 9 ans.

 

Avec une précision de cheffe de gare, la maman enchaîne sur ce qu’elle a enduré début septembre : « Le mardi 5 septembre, à 14h23, l’école de Mathys m’a appelée. A ce moment-là, j’étais en train de faire des courses et n’avait pas mon portable qui rechargeait à la maison. A 14h24, la directrice de l’école appelle mon compagnon. Celui-ci lui répond que je ne suis pas là et qu’il me transmettra leur message dès mon retour. La directrice lui dit : « Il faut venir chercher Mathis maintenant ! Parce qu’il a piqué une crise et fait des bêtises

Mon compagnon lui explique que nous n’avons pas de voiture pour venir immédiatement et il demande à pouvoir parler à Mathis afin de le calmer. La directrice refuse ! Elle dit : « Comme vous n’avez pas de voiture et que personne ne peut venir chercher Mathis maintenant, nous avons appelé la police qui va vous le ramener ». Mon compagnon acquiesce. Quelques minutes plus tard, un policier le rappelle : «Nous avons dû intervenir pour votre fils en crise. Maintenant, vous devez venir le chercher ! Ce n’est pas notre job de ramener les enfants ». Le policier refuse également de passer Mathis au téléphone à mon compagnon. Il a raccroché et est sorti pour aller à ma rencontre. Il m’a trouvée et informée. Arrivés à la maison, j’ai vu deux appels en absence de l’école sur mon téléphone – à 14h23 et 15h23 – et j’ai rappelé. Il était 15h34. »

 

« C’est un brigand ! »


En ignorance de ce qui s’est exactement passé, la mère prend un taxi pour se rendre à l’école de Nalinnes. Pendant le trajet, elle est encore mise sous pression par les policiers qui l’appellent à nouveau pour la presser de venir chercher son fils… Sur place, quand Rita Bayang pénètre dans l’école, c’est l’effroi : « Là, mon Dieu, au fond du couloir, je vois une policière debout à côté d’un autre policier qui était sur mon fils, plaqué au sol… Ils étaient trois : deux femmes et un homme. Je ne voyais pas la tête de mon enfant, uniquement ses pieds… Je leur ai alors demandé si je pouvais filmer ? Ils m’ont dit que je pouvais faire ce que voulais, prendre des photos, enfin comme vous l’avez entendu dans la vidéo… Je commence à filmer mon fils au sol.

Deux des policiers me disent que Mathis a lancé un bloc sur les instituteurs et a fait un doigt d’honneur à la police. Puis la policière, qui m’avait reçue à l’entrée, l’interroge : « Mathis, maintenant que ta maman est là, tu vas te calmer ? […] Tu insultes Maman à la maison ? ». Je réponds qu’il ne m’a jamais insulté. Elle me coupe : « Non mais c’est à lui que je parle, Madame ! ». L’autre policière dit à son collègue: « Tu peux le lâcher ». Il répond: « Tant qu’il ne dira pas qu’il est calme, je ne le lâche pas ! ». Mathis lui répond qu’il est calmé ; le policier le libère.

 


Lorsque mon fils a pu se relever, j’ai cessé de filmer et lui ai dit : « Tu vois comment on te traite quand tu fais des bêtises. On appelle Maman et on te traite comme un brigand ». Et la police m’a dit : « On ne le traite pas comme un brigand : c’est un brigand ! »… J’avais peur et ne savais pas comment réagir. Je me suis tournée vers la directrice et lui ai demandé de pouvoir lui parler, car j’avais besoin de comprendre ce qui s’était passé. La directrice a accepté à condition que notre échange se déroule en présence des policiers ».

 

« Je vais aussi plaquer ta mère au sol ! »


« Nous nous retrouvons dans son bureau et je lui demande des explications. La directrice me dit : « Dans la cour de récréation, votre fils s’est fait insulté de « sale noir », de « chocolat gratiné », par un autre enfant ; ensuite, il a piqué une crise ». Je lui ai demandé ce qu’elle avait fait après que Mathis se soit fait insulter ? Elle m’a répondu: « Je verrai l’enfant demain ». Je lui réponds qu’en attendant j’ai trouvé mon fils plaqué au sol par des policiers… Il y avait pourtant trois instituteurs qui auraient dû intervenir envers l’autre enfant. Si vous ne réagissez pas, mon fils a probablement ressenti une injustice. Il s’est senti blessé et, fatalement, s’est mis en colère. La directrice a juste répété qu’elle verrait l’autre enfant demain.

Choquée, épuisée par ce que je venais de vivre, j’ai proposé d’organiser une rencontre, le plus tôt possible, avec le PMS, les parents de l’autre enfant, Mathis et moi-même. La directrice a accepté. La policière, qui m’avait coupé la parole, a ajouté : « Madame, j’ai dit à votre fils que ce n’est pas parce qu’il a été insulté qu’il doit réagir violemment ». Je n’étais pas bien, je voulais juste rentrer chez moi avec mon fils et le taxi nous attendait. En entendant mes mots, la policière s’est énervée : « Le taxi vous attend ; vous ne vous sentez pas bien ; c’est votre problème : je m’en fous ! Comme vous ne voulez pas m’écouter, je vais dresser un P-V contre votre fils pour mise en danger sur mineurs »…

 

Près de 500 personnes se sont réunies dimanche dernier, place Poelaert à Bruxelles, en solidarité avec Mathis et sa mère ainsi que  pour dénoncer les violences policières et scolaires négrophobes.

 

Arrivés à leur maison, en sécurité, Rita Bayang peut enfin écouter son fils. Et la version de celui-ci fait encore plus froid dans le dos : « Mathys m’a confirmé qu’il était en train de jouer lorsque cet enfant est venu l’insulter. Il faut savoir que la semaine précédente, il avait déjà été insulté de « sale nègre » par un autre enfant. Ce jour-là, un assistant social, que Mathys aime bien, était intervenu judicieusement et avait réglé le problème. Mais le 5 septembre, ce Monsieur n’était pas là. L’enfant insulte donc Mathis puis, lui donne un coup de poing. Mathis a répliqué. Il y a donc eu une bagarre entre enfants et les éducatrices présentes sont intervenues. Elles ont laissé l’enfant, qui avait insulté et frappé mon fils, continuer à jouer et elles ont isolé Mathys. C’est là que mon fils a pété un câble. C’est lui qui avait été provoqué et frappé et c’est lui qu’on a puni…

Suite à cela, il a commencé à courir dans l’école, il voulait trouver l’assistant social pour lui expliquer ce qui venait d’arriver. Il faut savoir que, lors de son inscription, cet homme nous a gentiment accueilli et, la première fois où Mathys a subi des propos racistes, c’est lui qui est parvenu à le calmer. Là, Mathys n’écoutait plus et courait dans les couloirs. Un ouvrier de l’école l’a attrapé, maîtrisé et tenu au sol. Pendant 30 minutes ! Avant que la police n’arrive, mon fils avait donc déjà été victime d’une longue contention et personne ne nous l’a dit !

Quand les policiers sont arrivés, l’ouvrier a relâché Mathis, qui était calmé. Il se trouvait debout contre un mur, les mains dans le dos, surveillé par l’une des policières. Les deux autres sont entrés dans le bureau de la directrice. Lorsqu’ils en sont ressortis, ils se sont précipité sur mon fils, l’ont retourné contre le mur et lui ont fait une balayette ! Mathis s’est à nouveau retrouvé au sol. Au même moment, la directrice sort de son bureau et lui crie : « Tu n’as pas ta place dans cette école, tu vas être renvoyé ! ». Mathis lui répond par un doigt d’honneur. Le policier a pris ce geste pour lui et a plaqué son genou dans le dos de Mathis en l’immobilisant. Ensuite, il lui a dit  : « Je veux que ta maman te voie dans cette position. Si elle essaye de faire la maline ou de crier, je vais aussi la plaquer au sol ! »

 

Une violence scolaire négrophobe répandue


Victime de racisme dans son école, de la passivité voire la complicité d’une partie du corps enseignant et victime de violences policières inadmissibles, Mathys, 9 ans, ne dort plus la nuit. Depuis le 5 septembre, l’enfant afro-descendant n’est pas retourné dans l’établissement scolaire de Nalinnes, il fait des cauchemars à répétition et présente toutes les caractéristiques d’un stress post-traumatique…

Prise en charge, psychologiquement et juridiquement, grâce à l’aide du collectif citoyen, Rita Bayang, la voix brisée, conclut : « Mathis m’a dit : ‘Maman quand j’étais au sol, j’étouffais, je toussais, le policier a retiré son genou et je pouvais respirer, puis il l’a remis… j’avais mal, j’avais peur de ne plus jamais te revoir, j’avais peur qu’il ne te fasse la même chose’… J’ai cherché sur internet pour voir si une autre famille avait déjà vécu ce qui nous est arrivé. Je n’ai rien trouvé. Nous sommes dans un pays où il y a des droits. Nous sommes des victimes et pas des coupables ! Or, mon fils et moi sommes poursuivis ; lui pour « rébellion » et « mise en danger sur mineurs » ; moi, pour « bashing » de la police. Mais je crois en la justice et – inch’Allah, s’il plaît à Dieu – nous retrouverons notre statut de victimes. Justice pour Mathis ! »

 

Combien de violences racistes n’ont pas pu être filmées ? C’est ce que se demande tout parent afro-descendant vivant en Belgique…

 


A la fin du rassemblement, 11 mères de famille sont venues se présenter aux membres du collectif citoyen, organisateur de la manif pacifique. Celles-ci ont dénoncé d’autres faits de racisme dont ont été victimes leur enfant afro-descendant dans leurs écoles respectives. Des violences qui vont du tabassage d’un enfant noir couvert par des profs qui n’interviennent pas à un enfant qui a été physiquement maintenu par un enseignant pendant qu’un autre élève le frappait, en passant par un enfant dont la tête a été violemment cognée contre un mur par un professeur…

Des témoignages insupportables qui font écho aux déclarations de la porte-parole du collectif citoyen, Véronique Clette-Gakuba : « Il est très important d’agir collectivement autour et contre ce racisme en milieu scolaire. Parce que, pour ce fait, ici visible, le cas de Mathis, combien d’autres, au quotidien, ne ne sont pas médiatisés ? » Déterminées et écoeurées, le groupe des onze mamans assure représenter d’autres parents qui vont se constituer en collectif parental afin de lutter contre ce phénomène des violences négrophobes en milieu scolaire.

 

Allô ? Allô, Madame la ministre ? Allôôô…


A l’évidence, derrière l’affaire Mathis, se cache une hideuse réalité raciste qui n’intéresse guère les médias ni les pouvoirs publics francophones. Ces derniers, davantage soucieux d’enterrer « l’incident » que de répondre politiquement et avec célérité aux graves dysfonctionnements que celui-ci a révélé. Pour preuve, nos sollicitations d’interview, répétées durant deux jours, auprès du cabinet de la ministre de l’Enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir (PS), sont restées lettres mortes.

Pourtant, interpellée au début de l’affaire, sur son compte Instagram, par une de ses connaissances, Caroline Désir se montrait plus loquace, écrivant notamment ceci : « Le point de départ est une dispute violente, entre Mathis et un autre enfant de 9 ans, lors de laquelle des propos racistes auraient été réciproquement échangés. Mathys étant rentré dans une crise aigüe, la direction a finalement décidé de faire appel à la police, craignant qu’il ne se blesse ou ne blesse d’autres enfants ».

 

Caroline Désir, ministre de l’Enseignement en FWB et… “du téléphone coupé” pour les journalistes d’Investig’Action.

 

Si Caroline Désir assure s’être entretenue au téléphone avec Rita Bayang, les deux femmes n’ont, visiblement, pas la même perception des faits survenus le 5 septembre à Nalinnes. Là où la ministre charge uniquement l’intervention policière, la mère de famille fustige les trois policiers et l’attitude de la direction d’école. Si son cabinet ou la ministre elle-même ne faisaient pas barrage, il aurait été intéressant de savoir dans quelle mesure sa position politique a « évolué » ou non, un mois après les faits…

Après avoir évacué toute responsabilité ou dysfonctionnement négrophobes dans le chef de l’établissement scolaire hennuyer, la ministre de l’Enseignement écrit « comprendre la vague d’indignation » suscitée par « ces images choquantes ». « Je ne vois pas ce qui pourrait justifier de maintenir au sol, un genou dans le dos, un enfant de 9 ans », poursuit Caroline Désir. « Ce sont des images que je ne veux plus voir dans une école, ni aujourd’hui ni demain. Dans cette perspective, j’ai écrit à la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, afin de l’alerter sur cette affaire et lui proposer une rencontre visant à identifier des solutions pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise ».

Au final, la ministre Désir estime que « tout doit être mis en place pour que Mathis puisse retrouver l’école le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions possibles». Et c’est peu dire que ça traîne ! Même si l’on sait que le temps politicien n’est pas celui du citoyen, et encore moins celui du citoyen afro-descendant, cela va faire un mois que Mathis est déscolarisé… Pire, selon une invraisemblable inversion accusatoire, c’est l’enfant et sa mère qui sont poursuivis en justice par l’école de Nalinnes et la police ! Vous avez dit « surréaliste » ? La presse belgo-blanche francophone, elle, ne le dit pas. Au contraire d’un des chroniqueurs blancs de l’émission de Cyril Hanouna

 

Olivier Mukuna

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