L’UNRWA, nouvel instrument pour étouffer l’identité palestinienne

Avant, l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, assurait aux enfants palestiniens une éducation dans le respect de leur identité. Mais ça, c’était avant que les USA stoppent leur financement de l’UNRWA sous Trump, puis décident de le reprendre avec de nouvelles conditions. Aujourd’hui, l’agence onusienne a atteint un tel degré d’instrumentalisation que ses enseignants se voient interdits d’encore entretenir l’identité palestinienne et l’espoir, pour leurs élèves, de retourner un jour sur leur terre, comme en témoigne un enseignant de l’UNRWA. (I’A)

En juillet 1949, après la destruction complète de la Palestine et l’expulsion des Palestiniens, David Ben Gourion (*) s’est adressé à ses officiers, qui n’étaient pas sûrs que la Palestine reste vide indéfiniment. Il plaisanta : « les vieux mourront et les jeunes oublieront ». Pendant 75 ans, il n’a pas réussi à réaliser son souhait concernant les jeunes. Aujourd’hui, le moment semble venu. Par un retournement de l’histoire, les donateurs occidentaux de l’UNRWA font le travail à sa place.

Les jeunes n’ont pas oublié ou n’ont pas essayé d’oublier. Ils sont devenus les leaders du mouvement de résistance qui a créé le Conseil national palestinien et l’OLP. Après le fiasco d’Oslo, les dirigeants palestiniens n’ont pas suivi la voie nationale. Les puissances coloniales occidentales ont sauté sur le seul élément restant de la résolution 194, appelant au retour des réfugiés dans leurs foyers, à savoir l’UNRWA. L’UNRWA n’était responsable que devant l’Assemblée générale [de l’ONU] et avait donc pour talon d’Achille son financement, principalement par les puissances occidentales qui ont versé des fonds pour protéger Israël des conséquences de la Nakba. Saper l’UNRWA revient à saper sa principale fonction : l’éducation de 500 000 enfants palestiniens.

Les bailleurs de fonds occidentaux ont mis en application le vieux diktat de Ben Gourion : les enfants oublieront la Palestine, sinon il n’y aura pas de financement pour l’UNRWA. À la demande des organisations israéliennes Impact SE et UN Watch qui publient des rapports diffamatoires sur le fonctionnement de l’UNRWA, un stratagème a été mis au point pour donner à cette campagne diffamatoire une couverture acceptable. Le « principe de neutralité », sert de couverture à ce plan sioniste, soit, en version à peine déguisée, le plan de Ben Gourion pour effacer la Palestine des mémoires. Ce plan ne trouve son équivalent dans aucune agence de l’ONU et n’a aucun fondement juridique.

Ci-dessous, voici le témoignage poignant d’un enseignant palestinien sur les pratiques imposées à l’UNRWA dans le cadre de l’accord de neutralité, faisant chanter l’UNRWA pour que l’agence se soumette, sous peine de voir l’Occident lui retirer ses financements.

Témoignage d’un enseignant de l’UNRWA

J’écris ces quelques lignes parce que vous m’avez demandé de vous relater mon expérience.

J’ai grandi dans les écoles de l’UNRWA et je suis reconnaissant envers cette institution qui m’a donné une éducation et qui m’a assuré qu’elle me protégerait et me soutiendrait jusqu’à ce que je retourne dans ma ville natale, d’où les sionistes ont expulsé mes ancêtres.

Dans les écoles de l’UNRWA, nous avons toujours reçu une éducation solide et chacun peut en témoigner. Les écoles de l’UNRWA se distinguent des écoles publiques et privées, en nous fournissant des programmes d’études enrichis et des supports qui soutiennent et développent ce que nous apprenons et qui soutiennent notre cause. Pour notre part, en tant qu’étudiants réfugiés très déterminés, nous étudions avec diligence, car nous avons un objectif commun : sortir de notre situation de réfugiés, retrouver la vie de notre famille déracinée et reprendre possession des biens qui nous ont été volés.

Dans les écoles de l’UNRWA, nous avons appris la carte de la Palestine et ses frontières, et nous avons appris que notre présence dans cette ville est temporaire, jusqu’à ce que nous retournions dans notre pays d’où nous avons été expulsés. En tant qu’élèves, nous savions que seuls les réfugiés entraient dans ces écoles. Nous savions que tous les élèves de l’école partageaient la même préoccupation, le “déplacement”, et le même objectif, le “retour”. Il en allait de même pour l’UNRWA, ou du moins c’est ce que je pensais dans mon esprit de jeune étudiant, puisque tel est le mandat de l’UNRWA.

Au lycée, nous sommes entrés dans des écoles publiques, car les écoles de l’UNRWA étaient limitées au collège, et nous nous différencions toujours – en tant qu’élèves réfugiés – des autres élèves, non pas en termes de niveau d’éducation, mais plutôt en termes de statut social. Mais notre cause est différente de la leur. Notre cause est la question du retour et de la récupération de nos droits usurpés. C’est ce que nous avons appris dans les écoles de l’UNRWA, où on nous a enseigné la vérité, à savoir le fait que je possède une terre et que j’ai une maison, mais qu’on me l’a volée, et que l’UNRWA est à nos côtés, jusqu’à ce que nous retournions dans nos maisons et que nous mettions fin à tout ce malheur.

J’ai grandi et mon seul objectif était de travailler dans cette institution. À l’époque, je la considérais comme une institution sublime dont l’objectif était le même que le mien : “La terre et le retour”. D’où venons-nous et pourquoi sommes-nous ici ? Comment échapper à cette catastrophe ?.. Tel était mon désir.

J’ai travaillé dur et j’ai beaucoup étudié, jusqu’à ce que je devienne enseignant dans ces écoles qui n’avaient jamais manqué de nous servir. Dès que je suis entré dans ces écoles, j’ai été surprise de voir que le professeur qui m’avait appris à tracer les lettres de la Palestine, le professeur qui m’avait appris à dessiner la carte, le professeur qui nous demandait d’écrire des dissertations sur la patrie et qui, pour enseigner la grammaire, écrivait des exemples évoquant la liberté, la patrie et la lutte, ce professeur est devenu un enseignant menacé de suspension pour « violation de la neutralité ». C’était l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes, faisant exploser tout l’édifice de notre être et de ce que nous sommes.

Ce professeur est devenu un enseignant qui se promène dans les couloirs, cherchant sur les murs une photo de Jérusalem ou une photo d’un homme symbolisant la lutte, que l’UNRWA avait l’habitude de nous présenter comme un héros courageux dont nous devrions suivre le chemin. Le même professeur qui me demandait d’écrire sur ma ville natale et me posait toujours des questions à son sujet s’est mis à hésiter à mentionner le nom de la Palestine. J’ai commencé à entendre des phrases comme « une équipe d’inspection viendra à l’école au nom de la neutralité », ce nouveau monstre venu nous hanter. Une photo du Dôme du Rocher dans le bureau du professeur est devenue un handicap. À l’époque, j’étais stupéfait d’entendre ces mots dans une institution où ne résonnaient auparavant que des échos sur l’amour de la patrie et la nécessité de la défendre et d’y retourner, et bien d’autres mots que nous gardions dans nos cœurs en tant que réfugiés.

Le principe de “neutralité” a soulevé de nombreuses questions dans mon esprit. Étrange, dans une institution qui louait la performance d’un enseignant à sa capacité à faire le lien entre son cours et la réalité de notre vie. Par exemple, si un professeur de mathématiques établissait un lien entre la question de l’arithmétique et le nombre de prisonniers, cela faisait de lui le meilleur des enseignants. Le bon professeur faisait passer un petit test en prélude à la leçon : « Quelle est votre ville natale ? » et concluait par la question suivante : « Rêvez-vous d’y retourner ? »

A cette époque, nous étions fiers de notre ville d’origine et nous nous questionnions pour savoir où nos villes respectives se situaient sur la carte, pour savoir si elles étaient proches les unes des autres, afin de pouvoir nous rendre visite après la libération. Ce n’est que maintenant que nous n’avons appris que, dans les écoles de l’UNRWA, il est interdit de mentionner le mot “Palestine”. L’administration consigne les noms des enseignants soupçonnés de violer le principe de neutralité. J’ai commencé à voir le nom de la Palestine marqué en rouge dans un rapport public comme preuve de violation de la neutralité.

Carte de la Palestine
Aujourd’hui, un enseignant de l’UNRWA qui montre une carte de la Palestine à ses élèves risque des sanctions (illustration: Dr Abu Sitta/Palestine Land Society).

L’enseignant qui affiche cette carte pour informer les réfugiés est puni par l’UNRWA, laquelle, initialement, existait pourtant pour soutenir son droit à parler de la Palestine. Si l’enseignant n’est pas sanctionné par un licenciement, il est suspendu jusqu’à la fin de l’enquête. C’est une grande humiliation pour l’enseignant. C’est un exemple parmi tant d’autres autour de moi.

Je ne juge pas ces enseignants qui ont changé leur boussole morale en fonction de l’institution dans laquelle ils travaillent. Ils font cela pour nourrir leurs enfants et leurs familles qui les soutiennent dans ces circonstances difficiles. Je condamne ceux qui nous menacent, voire qui nous font chanter en nous disant : vous devez choisir, une miche de pain ou le droit à votre maison. Je suis vraiment désolé, et même en colère, que nos enseignants se sentent ainsi menacés dans leur gagne-pain.

J’ai toujours publié des informations sur la Palestine, partagé les problèmes de mes compatriotes, posté des photos des martyrs sur les réseaux sociaux et écrit des commentaires appelant à prier pour la miséricorde pour les martyrs, la guérison des blessés et la liberté pour la patrie volée. J’écris librement, sans censure. J’avais l’habitude de partager les histoires des martyrs et la façon dont ils ont été martyrisés. J’étais loin de me douter que le jour viendrait où je supprimerais ces photos et ces informations de mes comptes sur les réseaux sociaux, et que je cacherais le pendentif à l’effigie de la Palestine autour mon cou lorsqu’une équipe d’inspection de l’UNRWA (leur vue me rappelle les histoires d’horreur de la Seconde Guerre mondiale) visiterait l’école où je travaille, afin de ne pas être sanctionné.

Je ne comprends pas la “neutralité” ; neutralité à propos de quoi ! Comment peut-on mettre sur un pied d’égalité le criminel et sa victime ? Comment peut-on empêcher la victime de parler de ce qui lui est arrivé ? Qui la contraint au silence ? Le criminel et ses comparses. Je ne vois pas le lien entre “l’UNRWA”, une institution créée pour apporter de l’aide et donner du travail à des réfugiés, et le concept de “neutralité”, au regard duquel le mot Palestine serait interdit.

En tant que réfugié palestinien, je suis profondément affligé et désolé par cette problématique, et je serais curieux de savoir qui est à l’origine de ce principe, comment cette idée lui est venue à l’esprit et comment il peut la trouver acceptable. Ce principe n’a rien de logique.

J’ai le regret de dire que l’UNRWA, avec sa réglementation, a violé non seulement mon droit d’exprimer mon opinion, mais aussi mon humanité et ma dignité. J’ai le sentiment d’être une personne sans valeur, ni identité, un être humain vide qui ne sait pas qui il est, qui se voit interdit de dire qu’il est un réfugié palestinien possédant des droits sur une terre occupée et usurpée par les Juifs israéliens.

Sans doute le pire ne concernera pas ma génération, mais plutôt la génération actuelle, qui ne trouvera personne pour lui enseigner qui elle est, d’où elle vient et pourquoi elle est ici. Les premiers jours, j’ai été choqué de voir que les élèves ne savaient pas quelle était leur ville natale. Leur esprit était comme une page blanche, où ne figuraient que leurs quatre noms et le nom de Gaza ou de Khan Yunis, en raison des restrictions répétées imposées aux enseignants quant au contenu de leur cours.

J’ai commencé à remettre en question les intentions de l’UNRWA et la raison de son existence, tout en étant reconnaissant pour sa beauté et ses faveurs à mon égard au début. Je ne sais plus s’il s’agit d’une institution qui a été créée pour me protéger et me soutenir, ou pour me faire taire, passer mon cas sous silence, me “canceller” et effacer mon identité ! Mais il semble que le sujet dépasse mon entendement, et peut-être qu’un jour je comprendrai, au cas où il y aurait des choses à l’arrière-plan que je ne vois pas aujourd’hui.

Je suis toujours entre deux feux : Dois-je me taire et acquiescer à propos de ce crime ? Ou dois-je prendre position et suivre mes principes, non seulement en tant que réfugié, mais aussi en tant qu’être humain ? Ce à quoi nous assistons n’est rien d’autre qu’un crime contre un être humain. Tout le monde cherche à détruire notre être et notre identité. Ils veulent un être humain vide, muet et obéissant.

En vérité, le conflit auquel j’ai fait face concerne mon désir de rester enseignant au sein de l’UNRWA, parce que l’autre solution serait de quitter mon travail et cela ne changera rien, sauf que nos enfants ne trouveront personne pour leur dire, par exemple, que Jérusalem est la capitale de la Palestine. J’ai choisi de rester et d’enseigner aux enfants ce que je pouvais, parce qu’ils ont besoin de moi. Je resterai en appliquant le conseil de mon patron : « Dites ce que vous voulez, mais ne laissez aucune preuve derrière vous ».

Je suis professeur de langues, mais je consacre quelques minutes de mon temps de cours à discuter avec mes élèves de notre patrie et de leur ville ou village d’origine, des raisons pour lesquelles ils sont ici et de leur désir de rester ou de retourner dans leur pays. Nous nous posons même mutuellement des questions : D’où venez-vous ? Est-ce loin pour vous rendre visite après le retour ?

Nous reviendrons. Nous reviendrons. Rien ne nous arrêtera.

Je ne vous cache pas que, en écrivant ces mots, je ne suis pas à l’abri de la menace qui pèse sur ceux qui sont accusés de ce que l’on appelle la « violation du principe de neutralité ».

Mais je ne changerai pas un mot de ce que j’ai écrit.

(*) Fondateur de l’État d’Israël et Premier ministre israélien à partir de 1948.

Source : Middle East Monitor
Traduit de l’anglais par CV pour Investig’Action

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