Alors que le sommet de Glasgow pour le climat approche à grands pas, Medea Benjamin et Nicolas Davies, du mouvement pacifiste CodePink, soulignent comment les États-Unis dépensent des sommes astronomiques pour l’armement, alors que les investissements pour la crise climatique ne répondent pas au défi. Les États-Unis doivent privilégier la coopération et la diplomatie pour sortir de la spirale militariste dans laquelle ils se sont engouffrés. (IGA)
Le président Biden, parlant devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le 21 septembre[i] a averti que la crise climatique approchait rapidement d’un «point de non-retour»; il a promis que les États-Unis agiraient aux côtés du reste du monde. « Nous dirigerons non seulement par l’exemple de notre puissance, mais, si Dieu le veut, par la puissance de notre exemple », a-t-il annoncé[ii].
Mais les États-Unis sont loin de se comporter en dirigeants exemplaires pour sauver notre planète. Yahoo News a récemment publié un reportage intitulé « Pourquoi les États-Unis sont-ils en retard de 10 ou 15 ans sur les objectifs climatiques de l’Europe ? ». L’article[iii] soulignait avec une clarté inaccoutumée dans les médias mainstream US que les États-Unis n’ont pas seulement échoué à diriger le monde sur la crise climatique, mais qu’ils en sont les principaux responsables par leur blocage d’une action collective judicieuse visant à éviter une crise mondiale vitale.
L’anniversaire du 11 septembre et la défaite des États-Unis en Afghanistan devraient sonner le tocsin dans la tête de tout Américain, nous avertissant que nous avons laissé notre gouvernement dépenser des milliards de dollars pour faire la guerre, chasser des ombres, vendre des armes et alimenter les conflits partout dans le monde, tout en ignorant les réels dangers vitaux menaçant notre civilisation et toute l’humanité.
Les jeunes du monde entier sont consternés par l’échec de leurs parents face à la crise climatique. Une enquête récente[iv] menée auprès de 10.000 personnes âgées de 16 à 25 ans dans dix pays du monde a révélé que beaucoup de jeunes pensent que l’humanité est condamnée et qu’ils n’ont pas d’avenir.
Les trois quarts des jeunes interrogés déclarent avoir peur de l’avenir et 40 % déclarent que la crise les fait hésiter à procréer. Ils sont également effrayés, déconcertés et irrités par l’incapacité des gouvernements à réagir à cette crise. Comme l’a rapporté la BBC , « Ils se sentent trahis, ignorés et abandonnés par les politiciens et les adultes. »[v]
Les jeunes Américains ont encore plus de raisons de se sentir trahis que leurs homologues européens. Les États-Unis sont loin derrière l’Europe en ce qui concerne les énergies renouvelables[vi]. Les pays européens ont commencé à respecter leurs engagements climatiques dans le cadre du protocole de Kyoto[vii] dans les années 1990 et tirent désormais 40 % de leur électricité de sources renouvelables, contre 20 % aux États-Unis.
Depuis 1990, année de référence pour les réductions d’émissions dans le cadre du protocole de Kyoto, l’Europe a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 24%, tandis que les États-Unis, loin de les réduire, les ont augmentées de 2% depuis 1990. En 2019 , avant la pandémie de Covid, les États-Unis produisaient plus de pétrole[viii] et plus de gaz naturel[ix] que jamais auparavant dans leur histoire.
L’OTAN, nos politiciens et les grands médias des deux côtés de l’Atlantique promeuvent l’idée que les États-Unis et l’Europe partagent une culture et des valeurs « occidentales » communes. Mais nos modes de vie très différents, nos priorités et nos réponses à cette crise climatique racontent l’histoire de deux systèmes économiques et politiques très dissemblables, voire divergents.
L’idée que l’activité humaine est responsable du changement climatique a été comprise il y a des décennies et n’est pas controversée en Europe. Mais aux États-Unis, les politiciens et les médias ont aveuglément ou cyniquement répété des campagnes de désinformation[x] frauduleuses et vénales influencées par ExxonMobil et d’autres intérêts privés.
Alors que les démocrates ont su mieux « écouter les scientifiques », n’oublions pas que, tandis que l’Europe remplaçait les énergies fossiles et les centrales nucléaires par des énergies renouvelables, l’administration Obama déclenchait un boom de la fracturation hydraulique pour passer des centrales au charbon aux nouvelles usines fonctionnant au gaz de fracturation.
Pourquoi les États-Unis sont-ils si loin derrière l’Europe lorsqu’il s’agit de lutter contre le réchauffement climatique ? Pourquoi seuls 60 % des Européens possèdent-ils une voiture, contre 90 % des Américains ? Pourquoi le conducteur américain parcourt-il deux fois plus de kilomètres que le conducteur européen ? Pourquoi les États-Unis ne disposent-ils pas, comme l’Europe, de transports publics modernes, économes en énergie et largement accessibles ?
Nous pouvons poser des questions similaires sur d’autres différences marquées entre les États-Unis et l’Europe. En ce qui concerne la pauvreté, les inégalités, les soins de santé, l’éducation et l’assurance sociale, pourquoi les États-Unis conçoivent-ils aberrant ce qui est considéré comme des normes sociétales dans d’autres pays riches ?
La réponse tient dans l’énorme quantité d’argent que les États-Unis consacrent au militarisme. Depuis 2001, les États-Unis ont alloué 15.000 milliards de dollars (en dollars de l’exercice 2022)[xi] à leur budget militaire, dépassant la somme des budgets de leurs 20 concurrents militaires les plus proches[xii].
Les États-Unis consacrent à l’armée une fraction de leur PIB (la valeur totale des biens produits et des services) supérieure à n’importe lequel des 29 autres pays de l’OTAN – 3,7 % en 2020 contre 1,77 %. Et tandis que les États-Unis ont exercé une pression intense sur les pays de l’OTAN pour qu’ils consacrent au moins 2 % de leur PIB à leurs forces armées, seuls dix d’entre eux l’ont accepté. Contrairement aux États-Unis, l’establishment militaire en Europe[xiii] doit faire face à une opposition importante de la part des politiciens progressistes et d’un public mieux éduqué et plus mobilisé.
Depuis les carences dans les soins de santé universels[xiv] jusqu’aux niveaux de pauvreté infantile[xv] qui seraient inacceptables dans d’autres pays riches, le sous-investissement de notre gouvernement dans tous ces domaines est le résultat inévitable de ces priorités erronées, qui laissent l’Amérique se débrouiller difficilement avec les restes que la bureaucratie militaire américaine abandonne après s’être taillé la part du lion – ou devrions-nous plutôt dire la « part des généraux » ? – dans les ressources disponibles.
Les dépenses concernant l’infrastructure fédérale et les dépenses « sociales » en 2021[xvi], ne représentent qu’environ un tiers de l’argent dilapidé en faveur du militarisme. Le paquet d’infrastructures dont débat le Congrès est désespérément nécessaire, mais 3.500 milliards de dollars, étalés sur 10 ans sont insuffisants.
Concernant le changement climatique, le budget des infrastructures ne comprend que 10 milliards de dollars par an pour la conversion aux énergies vertes[xvii], un pas important, mais modeste qui ne changera pas notre trajectoire actuelle vers un avenir catastrophique. Les investissements dans un New Deal vert doivent être accompagnés de réductions correspondantes du budget militaire si nous voulons corriger de manière durable les priorités perverses et destructrices de notre gouvernement. Cela signifie tenir tête à l’industrie de l’armement et aux sous-traitants militaires, ce que l’administration Biden n’a pas fait jusqu’à présent.
Depuis 20 ans, les États-Unis mènent une course aux armements contre eux-mêmes. Les affirmations du gouvernement US paraissent dès lors complètement absurdes lorsqu’il affirme que la récente accumulation d’armes par la Chine oblige désormais les États-Unis à dépenser encore plus. Les dépenses de la Chine ne représentent qu’un tiers de celles des États-Unis[xviii], et elles sont motivées par la nécessité de se défendre contre la machine de guerre américaine incessamment croissante qui, depuis l’administration Obama, se « réoriente » vers les eaux, le ciel et les îles entourant les côtes chinoises .
Biden a déclaré à l’Assemblée générale des Nations Unies que « .. alors que nous terminons cette période de guerre implacable, nous ouvrons une nouvelle ère de diplomatie implacable ». Mais sa nouvelle alliance militaire exclusive avec le Royaume-Uni et l’Australie[xix], ainsi que sa demande d’une nouvelle augmentation des dépenses militaires pour intensifier une dangereuse course aux armements avec la Chine -course initiée en premier lieu par les États-Unis- révèlent jusqu’où Biden doit aller pour assumer sa propre rhétorique, tant sur le plan diplomatique que sur celui du changement climatique.
Il faut que les États-Unis se rendent au Sommet des Nations Unies sur le climat à Glasgow en novembre, en étant préparés à souscrire au type de mesures radicales exigées par l’ONU et par les pays moins développés[xx]. Ils doivent s’engager fermement à éliminer les énergies fossiles; à se tourner rapidement vers une économie d’énergie renouvelable de bilan net nul; et à aider les pays en développement à faire de même. Comme le dit le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, le sommet de Glasgow « doit être le tournant » de la crise climatique.
Cela exigera des États-Unis une sérieuse réduction de leur budget militaire et un engagement dans une diplomatie pacifique et pragmatique avec la Chine et la Russie. En prenant du recul vis-à-vis de leurs échecs militaires auto-infligés et du militarisme qui les a générés, les États-Unis pourraient mettre en œuvre des programmes qui répondent à la crise véritablement vitale à laquelle notre planète est confrontée – une crise contre laquelle les navires de guerre, les bombes et les missiles sont non seulement inutiles, mais néfastes[xxi].
Medea Benjamin est cofondatrice de CODEPINK for Peace[xxii] et auteur de plusieurs livres, dont Inside Iran : The Real, History and Politics of the Islamic Republic of Iran[xxiii].
Nicolas JS Davies est un journaliste indépendant, chercheur à CODEPINK et auteur de Blood On Ours Hands : the American Invasion and Destruction of Iraq[xxiv].
Source originale: Dissident Voices
Traduit de l’anglais par Martin pour Investig’Action
Notes:
[i] https://abcnews.go.com/Politics/full-transcript-biden-addresses-76th-general-assembly/story?id=80146170
[ii]https://abcnews.go.com/Politics/full-transcript-biden-addresses-76th-general-assembly/story?id=80146170
[iii] https://news.yahoo.com/why-the-us-lags-behind-europe-on-climate-change-goals-by-10-or-15-years-090008777.html
[iv] https://www-bbc-com.translate.goog/news/world-58549373 _x_tr_sl=ru&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=nui
[v] https://www.bbc.com/news/world-58549373
[vi] https://news.yahoo.com/why-the-us-lags-behind-europe-on-climate-change-goals-by-10-or-15-years-090008777.html
[vii] https://www.wikiwand.com/en/Kyoto_Protocol
[viii] https://www.eia.gov/dnav/pet/hist/LeafHandler.ashx?n=PET&s=RCRR10NUS_1&f=A
[ix] https://www.eia.gov/dnav/ng/hist/n9010us2m.htm
[x] https://www.independent.co.uk/climate-change/news/fossil-fuel-oil-disinformation-exxon-b1921555.html
[xi] https://comptroller.defense.gov/Portals/45/Documents/defbudget/FY2022/FY22_Green_Book.pdf
[xii] https://www.sipri.org/databases/milex
[xiii] https://www.no-to-nato.org/
[xiv] https://www.wikiwand.com/en/Universal_health_care
[xv] https://www.statista.com/statistics/264424/child-poverty-in-oecd-countries/
[xvi] https://www.govinfo.gov/content/pkg/BUDGET-2021-BUD/pdf/BUDGET-2021-BUD.pdf
[xvii] https://www.uschamber.com/series/above-the-fold/the-biggest-winner-the-senate-s-bipartisan-infrastructure-deal-may-be-our
[xviii] https://sipri.org/sites/default/files/2021-04/fs_2104_milex_0.pdf
[xix] https://www.stopwar.org.uk/article/the-aukus-pact-is-a-costly-and-dangerous-provocation/
[xx] https://www.un.org/sg/en/node/259106
[xxi] https://www.commondreams.org/views/2021/03/04/trump-bidens-secret-bombing-wars
[xxii] https://www.codepink.org/
[xxiii] https://www.orbooks.com/catalog/inside-iran-medea-benjamin/
[xxiv] https://www.amazon.com/exec/obidos/ASIN/193484098X/dissivoice-20